Madrid 40 ans après : les anarchistes et la CNT

mis en ligne le 1 mai 1977
A l'intérieur, dans les réunions de syndicats ou dans les plénums de l'organisation confédérale, une polémique aussi bizarre que désagréable est à l'ordre du jour.
Il s'agit pour quelques-uns uns du droit qu'ont ou non les anarchistes de se réorganiser en tant qu'anarchistes tout en appartenant à la CNT
Pour certains, l'idée est novice parce qu'elle représente un morcellement d'activités dans une période où tous les efforts doivent être concentrés autour de la réorganisation de la CNT
Pour d'autres, la réorganisation des anarchistes signifie un danger pour que ceux-ci interviennent dans la CNT comme interviennent les socialistes dans l'UGT
Enfin, pour une troisième catégorie d'individus, la réorganisation des groupes anarchistes entre dans le contexte logique du mouvement libertaire dans son ensemble. Il ne faut pas oublier que le mouvement libertaire espagnol était composé par les trois branches : la CNT, la FAI et les FIJL (jeunesses libertaires).
Nous sommes tous anarcho-syndicalistes, en étant partisans et membres de l'organisation ouvrière. Ceci nous donne le droit de donner notre opinion et d'agir dans le cœur de la CNT Celle-ci est la seule manière qu'ont utilisée les anarchistes pour agir dans la CNT L'histoire de l'intervention et de la tutelle de la FAI sur la CNT est une invention de l'ennemi : presse bourgeoise, républicains et socialistes du passé, des trentistes, etc.
Quand la FAI fut constituée en 1927, un mouvement ouvrier dans lequel agissaient les anarchistes, ses fondateurs et ses animateurs, existait depuis 50 ans. La CNT avait déjà 17 ans, étant le prolongement des diverses organisations ouvrières suivant la ligne de la Première Internationale. Depuis la Fédération Ouvrière Régionale Espagnole, section de cette internationale, jusqu'à la CNT se sont succédées les diverses reconstructions de la Fédération des Travailleurs qui succéda à la F.O.R.E. mille fois dissoute par les pouvoirs publics et autant de fois réimplantée par les prolétaires, animés et orientés par les anarchistes.
Déjà en 1870 dans le congrès ouvrier de Barcelone ; ce congrès, d'accord avec la définition libertaire de l'époque, déclara que les affiliés à la F.O.R.E. étaient : « de religion athées, en politique anarchistes, en économie collectivistes ». On utilisa ce mot « politique » dans le pur sens étymologique pour définir précisément l'antipolititisme et l'antiétatisme de la filiale espagnole de la Première Internationale.
Pendant plusieurs années, après la fondation de la FAI de nombreux anarchistes continuèrent d'être anarchistes sans appartenir à l'organisation anarchiste. Par exemple mon père n'adhéra jamais. Moi-même, je n'entrai à la FAI qu'en 1936. Valerio Mas, par exemple, comme tant d'estimés camarades anarcho-syndicalistes n'adhérèrent jamais à la FAI On a souvent entendu dire que tous les anarchistes n'étaient pas dans la FAI et que tous ceux qui étaient dans la FAI n'étaient pas forcément anarchistes ceci en allusion aux tendances semi-bolcheviques introduites à une certaine époque.
En tous cas, ce qui est clair et certain c'est que la CNT a été fondée par les anarchistes, par des éléments dynamiques et dévoués qui ont influencé le prolétariat précisément par leur comportement. Une autre chose aussi est sûre : si la CNT n'est pas tombée dans les mains des politiciens à diverses occasions, c'est bien parce que les compagnons ont veillé en permanence pour lui conserver ses propriétés.
C'est ainsi que dans les années qui ont suivi la révolution russe, la CNT a échappé à l'influence marxiste, et dans les années 30, suite à des infiltrations politiques, à d'autres manipulations.
Si les militants libertaires n'avaient pas dans ces situations été maîtres de leur organisation, la CNT aurait fini comme la C.G.T. en France. Abandonnée par les syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes, elle fut d'abord récupérée par les socialistes avant d'être reprise par les communistes qui restent encore aujourd'hui les seuls maîtres à bord ne laissant agir à l'intérieur d'autres forces syndicales ou politiques.
Dans un autre ordre d'idées, personne ne peut nier le droit aux anarchistes que l'on admet chez les socialistes ou n'importe quelle autre formation politique, celui de se réorganiser en Espagne.
La FAI a autant le droit à la vie que n'importe quel autre mouvement.
Quant à l'indépendance de la CNT, nuls mieux que les anarchistes n'ont été les plus fidèles gardiens. Le terme d'anarcho-syndicaliste définit très bien cette qualité d'anarchiste militant ouvrier qui n'ont jamais accepté ni toléré que d'autres éléments étrangers à leur pensée appartiennent et agissent dans l'organisation qu'ils ont construit pour changer leur vie et leur destin. Même ceux qui, idéologiquement pouvaient appartenir à la FAI, dès l'instant qu'ils occupaient des postes de responsabilité à la CNT ne s'occupaient exclusivement que de mener à bien leur tâche sans permettre aucune ingérence. Sur ce point, quantités de témoignages et de preuves peuvent être apportées par les militants libertaires et confédéraux.
La polémique entamée est vaine et mal venue. La CNT va vers le communisme libertaire : vers une société sans classes, basée sur le pacte de l'égalité, sur le libre accord et sur l'économie socialisée dans les mains des producteurs... Tous les ouvriers ont leur place à la CNT, manuels et intellectuels. Mais tous doivent établir la pratique d'un code nécessaire pour éviter que s'introduisent les éléments politiques qui désirent s'emparer de la CNT afin de l'utiliser à des fins qui n'auront rien de commun avec le véritable intérêt de la classe ouvrière.
Pour que la CNT vive et remplisse sa tâche, il faut que les militants anarcho-syndicalistes continuent à l'animer, avec leur loyauté, leur dynamisme habituel et la fidélité aux principes de la Première Internationale, transmise de congrès en congrès de l'AIT et des Congrès Nationaux de notre CNT.

Federica Montseny