Détruisons l’idée de Dieu

mis en ligne le 1 novembre 1969
Au moment même où les catholiques d’Irlande du Nord subissent les assauts conjugués des protestants et des flics, parce qu’ils avaient convoité un peu de cette liberté et de pouvoir politique qu’ils n’ont jamais accordés à qui que ce soit durant leur règne, Sa Majesté Paul VI termine semble-t-il la rédaction d’une nouvelle encyclique, pour répondre aux critiques lancées par des curés contestataires et libéraux (mais qu’est-ce qu’un curé libéral ?) contre une organisation traditionnelle de l’empire ecclésiastique qu’ils désireraient démocratiser. Du fait même de l’évolution intellectuelle, la religion est aujourd’hui en perte de vitesse. Des prêtres s’en rendent parfaitement compte qui voudraient affranchir le catholicisme de sa rigidité, de sa lourdeur bureaucratique, de son sectarisme, de son retard idéologique et de ses œillères, pour l’adapter à la société, à cette société qui court à sa perte, à sa destruction. Ils voudraient refaçonner une religion moderne, se moulant parfaitement à l’état d’esprit actuel des gens qu’il est encore possible d’aliéner. Seulement ils se heurtent à deux barrières, l’infaillibilité pontificale qui reste un dogme catholique, l’autorité de l’Église ne sachant être que monarchique, et notre propagande qui ne cesse de dénoncer leurs véritables objectifs.
Mais en fait qu’est-ce que Dieu ? Il fut créé par l’homme contre l’homme, il est le mal. Il est apparu sous forme d’explication du lointain passé et du devenir de l’homme à une époque stagnante de la science et de la philosophie. Ensuite sa pseudo-existence s’est perpétrée grâce à un bourrage de crâne intensif et une habile propagande. Ses représentants terrestres invitaient l’homme à se vautrer dans ses misères ici bas pour pouvoir accéder au paradis après sa mort (mais en fait qu’est-ce que le paradis, sinon un mot vide de sens ?). De l’idée de Dieu, découle l’abdication de la justice et de la raison, elle est la négation la plus arrêtée de la liberté ; elle conduit nécessairement à l’aliénation et à l’exploitation ; elle engloutit et détruit tout ce qui n’est pas Dieu, imposant des fictions divines où normalement devraient être des réalités humaines. « Dieu écrase, absorbe, anéantit, dévore, dénature, dissout et dessèche, surtout tout ce qui a le malheur de l’approcher » écrivait Bakounine. Dieu est sectaire, il est l’antique Jehovah, l’égoïste, le jaloux, le cruel Dieu des Juifs. Et ils ont baptisé ce produit de leur imagination, ce Dieu fantôme qui est le néant : « Etre suprême », l’homme doit reprendre sa place.
D’autre part les inspirés religieux qui furent touchés par la grâce sont si jaloux de la puissance de leur Dieu et de la gloire de leurs idées, qu’ils n’ont plus de cœur ni pour la dignité ni pour le malheur des hommes vivants, encore moins pour la liberté.
« Les hommes, je les veux esclaves de Dieu autant que moi. Et s’il plaît au Maître tout-puissant de me désigner pour imposer sa sainte volonté sur la terre, je saurai bien les faire s’agenouiller et plier l’échine ». tel est le véritable sens de ce que les adorateurs sincères et sérieux de Dieu, nomment amour de l’humanité ! N’est-ce pas à l’Église qu’incombe le soin de pervertir les jeunes générations et avant tout les femmes ? N’est-ce pas elle qui par ses dogmes, ses inventions, sa bêtise et son esprit malfaisant tend à détruire la logique dans le raisonnement et les sciences ? Ne viole-t-elle pas la dignité des hommes, en détruisant la notion de droit et de justice ? Ne tue-t-elle pas ce qui est vivant, n’emprisonne-t-elle pas ceux qui sont libres, ne prêche-t-elle pas l’esclavage éternel des masses au bénéfice des exploiteurs ? N’est-ce pas elle qui propage le règne de la misère, de l’ignorance et du crime ? Or, après s’être solidement assise sur le peuple, non contente de l’enfoncer dans la tombe de la pauvreté et de la souffrance quotidienne, l’autorité divine accoucha de l’autorité humaine, l’Église accoucha de l’État. La théorie de l’État, « négation de la liberté » est basée sur cette idée évidemment théologique et métaphysique que les masses ne pouvant se gouverner elles-mêmes, subiront obligatoirement le joug bonification d’une sagesse et d’une justice imposées d’en haut, la religion et l’Etat étant toujours au rendez-vous pour conduire le troupeau humain dans la voie la plus raisonnable, celle de l’obéissance aveugle, sans omettre naturellement de le tondre. D’autre part ces deux génies du mal aussi anciens que l’histoire, qui ont détruit tout ce qu’elle a produit d’humain et de beau, ces éternels rivaux, ces alliés inséparables nous font assister à leur chassé-croisé, à leurs combats, puis à leurs réconciliations et à leurs étreintes amoureuses. On les voit absorber, écraser ensemble l’humanité. C’est avec leurs sophismes et leurs absurdités, aussi abjectes qu’écœurantes que l’on a perverti l’esprit et le sens moral des masses.
Mais revenons à la sainte fureur des chrétiens qui, en quelque sorte, et par la grâce de Dieu, sont des crétins divinement inspirés. Leurs actes de sainte barbarie contre l’esprit humain furent les principales causes de la dépravation, non seulement intellectuelle et morale, mais également politique et sociale, et l’asservissement des masses qui jalonnent l’histoire. Si les premiers d’entre eux n’avaient pas fanatiquement détruit les musées, les bibliothèques et les monuments de l’Antiquité, nous ne serions pas aujourd’hui dans l’obligation de combattre ce lot d’absurdités qui bouchent les esprits au point, quelquefois, de nous faire douter d’un avenir plus humain.
Et, aujourd’hui, la chrétienté nourrit encore l’espoir d’étouffer complètement la liberté et l’intelligence dans notre monde. Pourquoi ? Parce que malgré son érudition, son esprit raffiné et malgré une subtilité empoisonnée et un machiavélisme affiné pendant plus de dix siècles, elle est couronnée d’une naïveté incomparable, stupide, produit de son immense infatuation d’elle-même, du doux contact de la démagogie où elle se vautre et surtout de son refus grossier d’analyser les idées, les intérêts des masses contemporaines et de la puissance intellectuelle et vitale qui, en marge de la société capitaliste pousse inexorablement celle-ci vers l’écroulement de toutes les institutions aussi bien religieuses que politiques, juridiques et économiques, pour fonder sur ses ruines un ordre social révolutionnaire. Mais elle ne nous trompe pas, elle se trompe : voilà son incurable sottise.
Nulle part la religion n’a tenu compte de la raison et tout homme qui ose s’abandonner à celle-ci est indiciblement conduit à renier sa foi. La religion fut le premier réveil de l’homme sous la forme de la déraison divine. Elle commence par la crainte et est fondée sur la crainte. Aujourd’hui notre rôle consiste entre autres à la détruire, à détruire ses manifestations et toutes ses aberrantes créations. Nous devons détruire l’idée de Dieu.

Claude Laporte