Lettre ouverte à un terroriste

mis en ligne le 2 octobre 1986
Nous ne céderons pas au chantage terroriste. Vous avez beau agiter sous notre nez les cadavres de la rue de Rennes, vous ne nous ferez pas trouver meilleure l'odeur de votre démocratie.
Vous avez plein la bouche des valeurs et des libertés démocratiques quand pas moins de cinq cents réfractaires à l'armée croupissent dans les prisons. Anarchistes, pacifistes ou témoins de Jéhovah, ils paient cher l'étrange idée que vous vous faites de la liberté d'opinion.
Allez monsieur, on ne pontifie pas sur l'exercice de la terreur le doigt sur le bouton de la force de frappe. On ne prêche pas le respect de la vie quand on vend les moyens du meurtre sur toute la planète. Vous êtes un clown pas moins sanglant que d'autres.
Paris s'est couvert de policiers. Ils traquent le faciès comme ils l'ont toujours fait mais c'est aujourd'hui une tâche patriotique. On a placardé sur les murs les visages des suspects, tabassé et expulsé des hommes qui n'étaient suspectés de rien. On a institué des contrôles aux frontières et aux portes des supermarchés. Rien qui puisse gêner les assassins. Il ne s'agit d'ailleurs pas de cela mais de faire croire à la guerre. À la guerre, c'est-à-dire et surtout à la nécessaire Union sacrée de tous autour de l'État.
Il a suffit à une demi-douzaine d'assassins de quelques kilos d'explosifs et de moins de morts que la route n'en produit un week-end de Pentecôte pour bricoler une image de guerre suffisamment crédible pour que le deuxième personnage de l'État s'en saisisse aussitôt. Et vous avez approuvé. C'est la guerre, dit-on aux braves gens ! Va pour la guerre ! Ils pensent, parlent et demain agiront en conséquence. La haine des « Arabes » s'exprime de plus en plus ouvertement. Vous seriez mal fondé à vous en étonner. La guerre réclame et justifie l'union de tous les patriotes. Or cette pseudo communauté n'a — ne peut avoir — comme ciment que le racisme et la xénophobie. C'est l'État qui a donné le mot. C'est votre œuvre aussi bien que celle des assassins.
Le 2 octobre prochain 1, cinq libertaires seront traduits devant le tribunal correctionnel de Rennes pour avoir refusé tout service national qu'il fût militaire ou civil. Il est vrai qu'ils conchient l'armée française comme certain poète dont votre gouvernement a salué avec émotion la dépouille. Mais le poète chantait l’Armée rouge et le Guépéou, tandis que les cinq de Rennes exècrent tous les uniformes. Depuis que vous êtes au pouvoir, les années de prison tombent sur les réfractaires plus drues que sous le règne de la droite. Et vous, vous continuez à parler de liberté (mes hommages à madame !).
J'entends déjà le procureur de la République requérir contre mes camarades au nom de l'Union Nationale, des temps troublés que nous vivons, du défi lancé à la démocratie et autres fadaises de circonstance. II pourra leur donner en exemple tous ceux, tortionnaires de la guerre d'Algérie, admirateurs du Goulag, assassins de Machoro, dynamiteurs mercenaires, qui se pressent à l'appel de l'État. Tous enrôlés contre la « barbarie ». Laissez-moi rire !
Objecteur de conscience, insoumis au service civil depuis 1976, j'ai commis le même crime que les jeunes libertaires que l'on va juger. Vous vous êtes débarrassés par l'amnistie de 1981 de plus de trois mille de mes semblables. J'ai donc prêché d'exemple sans jamais être poursuivi. J'ai, dans un guide pour les adolescents intitulé Ni vieux ni maîtres (1979) décrit en détail les moyens de refuser tout service national. À l'heure où des jeunes, de dix ans mes cadets, risquent leur liberté pour les mêmes convictions que j'ai toujours défendues, je persiste et signe.
Nous ne céderons pas au chantage terroriste de l'État.
L'état de siège que vous voulez décréter dans les esprits avant de l'instituer dans la rue ne m'empêchera pas de vomir la France et son armée, vous, votre grande culture, vos juges, vos flics et vos maisons d'arrêt.





1. Cf Le Monde libertaire, n° 630 (N.d.R).