Enfin !

mis en ligne le 10 novembre 2011
Un peu d’histoire
1959. Création d’ETA par cinq jeunes dissidents du PNV (part nationaliste basque, conservateur bourgeois), dont Iulen de Madariaga. Franco est au pouvoir. Le pays basque espagnol, qui avait pris le parti de la république en 1936, est littéralement colonisé. Interdiction de sa langue. Exploitation éhontée du pays et de ses travailleurs. La guerre d’Algérie bat son plein. Ces jeunes gens voulaient libérer leur pays et y instaurer le socialisme.
1968. Premier attentat mortel attribué à l’ETA.
1973. Pulvérisation de l’amiral Carrero Blanco, chef du gouvernement et successeur pressenti de Franco. Ici et ailleurs, on fait péter le champagne.
1975. Mort de Francisco Franco. Dans son lit.
1977. Amnistie des prisonniers politiques hormis ceux condamnés pour terrorisme. La démocratie bourgeoise est, une fois de plus, pitoyable !
1978. Création de Herri Batasuna, bras politique d’ETA.
1979. Approbation du statut d’autonomie du pays basque espagnol.
1980. Premières élections au parlement basque, remportées par le PNV.
1983. Apparition des GAL, organisation para-policière qui, en quatre ans, assassinera 14 militants d’ETA.
1986. Assassinat par l’ETA de Dolorès Gonzalez Catarain, alias Yoyes. Elle avait intégré ETA début des années soixante-dix. C’était la première femme membre de la direction. En 1980, en désaccord avec la ligne « dure » du moment, elle quitte ETA et se réfugie au Mexique. En 1984, elle obtient, en France, le statut de réfugié politique. Le 11 novembre 1985, elle décide de rentrer en Espagne avec son mari et son fils. Pour continuer son combat, mais d’une autre manière qu’auparavant. Le 10 septembre 1986, elle est assassinée devant son fils. ETA l’avait condamnée à mort, comme « traître ». Txomin, son ami, le dirigeant historique, exilé en Algérie par la France, n’a pas pu la protéger. Dès ce jour, la petite sympathie que j’éprouvai pour ETA s’est définitivement estompée.
1987. Explosion d’une voiture piégée à l’Hypercor de Barcelone. 21 morts et 45 blessés. ETA affirmera avoir prévenu la police. Naïveté ou crétinisme. Pour moi, la messe est dite.
1997. Assassinat de Miguel Angel. Un simple conseiller municipal du PP (Parti populaire, de droite). Des centaines de milliers de gens crient leur dégoût dans la rue.
2006. Après une trêve, attentat à l’aéroport de Madrid. Deux morts. Deux énièmes innocents. La légitimité d’une lutte comme les tortures subies par les militants ne peuvent plus justifier cette succession d’assassinats imbéciles.
2010. Le 17 mars, le brigadier Serge Nerin est tué à Dammarie-les-Lys. Une fusillade avec la police.
Le 29 mars, déclaration de Bruxelles. Une vingtaine de personnalités, dont cinq prix Nobel de la paix, appellent ETA à déclarer un « cessez le feu permanent et vérifiable ».
Le 5 septembre, ETA dit mettre un terme à ses « actions offensives armées ».
Le 1er octobre, Ekin (agir), l’appareil politique d’ETA, annonce son auto dissolution.
2011. 19 octobre. La « conférence internationale pour promouvoir la résolution du conflit au pays basque » lance un appel à « l’arrêt définitif de l’activité armée » d’ETA.
Le 20 octobre. ETA renonce définitivement à la lutte armée.

Pourquoi cet adieu aux armes ?

L’adieu aux armes que vient de formuler ETA ce 20 octobre 2011 aurait du être formulé il y a déjà longtemps. Dans la décennie qui a suivi la mort de Franco, pour être tout à fait précis. Pourquoi ? Tout simplement parce que la démocratie bourgeoise, c’est très différent d’une dictature fasciste, même si… Parce que la population en avait marre de voir couler le sang. Parce que l’intégration de l’Espagne à l’Europe ouvrait des horizons sur des recompositions transnationales. Parce que le statut d’autonomie du pays basque a, comme en Catalogne, fait bouger les lignes… Tout cela, ETA ne l’a ni vu ni compris. Logique d’une clandestinité qui vous coupe du réel ? Logique militaire aveugle aux évolutions politiques ?

Alors pourquoi aujourd’hui ?
Pour deux raisons essentielles.
La première est qu’ETA a été défait militairement. La collaboration entre l’Espagne et la France a décimé ses rangs. Traqués en Espagne et en France par des flics disposant de moyens de plus en plus sophistiqués (traces ADN, balises Argos, infiltrations, suivis par satellites…), l’organisation est aujourd’hui exsangue. Tout cela était prévisible. Sans base arrière, sans alliés, comme le FLN en Tunisie, au Maroc, sans appui militaire, il n’est pas de lutte armée viable sauf à se complaire dans une charge de cavalerie contre des tanks qui font du tir aux pigeons.
La seconde est qu’ETA a été défait politiquement, en ce sens que ses sympathisants, de plus en plus de ses combattants emprisonnés et même une bonne part du peuple basque, ont décidé de s’affranchir de sa tutelle et de poursuivre le combat sous d’autres formes et d’une autre manière. C’est ainsi que, le 22 mars 2011, les nationalistes basques, toutes tendances confondues, ont récolté 61 % des voix aux élections régionales. San Sébastien et des tas de villes et villages, sont désormais aux mains de l’ex mouvance d’ETA.

Et la suite ?
Elle est mathématique.
Comme l’écrit Pierre Hazan (membre du groupe international de contact) dans le journal Le Monde du 29 octobre 2011, « le processus de normalisation peut enfin commencer et conduire, à terme, à la légalisation de la formation Sortu, à la remise des armes de l’ETA et à sa dissolution ».
Cela mettra sûrement un peu de temps. Mais cela se fera. Les prisonniers seront rapprochés de chez eux. Et des libérations auront lieu, avant une amnistie générale. Devant l’émergence d’une vague politique telle qu’elle s’est manifestée au pays basque espagnol et dont il est clair qu’elle va s’amplifier, l’Espagne comme la France vont se retrouvées désarmées. Plus moyen de se cacher derrière le cache sexe de la lutte antiterroriste pour affronter la revendication nationale. Le peuple basque existe. Il le démontre depuis des lustres dans la réalité de tous les jours. Et il vient de décider de se prendre en main et de se battre sur le seul terrain politique, culturel et social.
Reste à savoir ce qu’il sera fait de cet espoir. Pour l’heure le peuple basque est sorti d’une impasse. Espérons qu’il saura défricher le chemin qui mène du droit à disposer de soi-même à l’a-nationalisme d’une citoyenneté du monde.

Et les anars dans tout çà ?
Dans la lignée de notre camarade vitamine, Michel Bakounine, les anarchistes se revendiquent du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Encore heureux ! Mais c’est quoi un peuple ? Une langue, une culture, un État, une race, une volonté de vivre ensemble ? Et que signifie le droit d’un peuple à disposer de lui-même ? S’agit-il, simplement, de remplacer un patronat par un autre, une police par une autre, une armée par une autre ? Ou bien de libérer, également, le peuple, de l’intérieur, en jetant les bases d’une révolution sociale ? Et puis, comment se battre pour accéder à ce droit ? Lutte armée, culturelle, sociale, politique ? Et sur quelles bases éthiques ?
Les anarchistes se sont posés ces questions depuis toujours et continuent de se les poser.
La conclusion s’impose d’elle-même. Le droit de chaque peuple à disposer de lui-même n’a de sens que s’il s’inscrit dans le droit de l’individu à disposer de lui-même, d’une révolution sociale et d’une citoyenneté du monde. Le contraire, donc, du crétinisme nationaliste !