Buenaventura Durruti : 75e anniversaire de sa mort (1896-1936)

mis en ligne le 24 novembre 2011
1652DurrutiLa philosophie de Marx proposait le principe de l’ordre et de la création, tandis que Bakounine était partisan du chaos et de la rébellion. Rimbaud pour sa part, considérait que pour transformer le monde, il fallait d’abord changer la vie. Le monde des avant-gardes et des mouvements ouvriers révolutionnaires qui suivirent ces paramètres philosophiques, initièrent le chemin vers l’émancipation sociale.
Buenaventura Durruti était un homme d’action, son combat était émancipateur, son charisme anarchiste imposait le respect… Durruti transformait son action et sa lutte en pure poésie comme le montre à l’évidence l’entretien qu’il accorda au journaliste Van Passen pour le périodique canadien Toronto Star, où ses paroles atteignent une grande sensibilité poétique : « “Les ruines ne nous font pas peur. Nous savons que nous n’allons hériter que de ruines car la bourgeoisie, dans la phase finale de son histoire, essaie de ruiner le monde. Mais, je le répète, nous n’avons pas peur des ruines, parce que nous portons un monde nouveau dans nos cœurs” dit-il en murmurant avec âpreté. Puis il ajouta : “Ce monde est en train de grandir en ce moment même.”  »
Les mots de Durruti étaient de la poésie révolutionnaire en action, une poésie destinée à changer la vie et à transformer le monde. Mais, le 20 novembre 1936, Durruti trouva la mort à la Cité universitaire de Madrid, et c’est pourquoi on commémore à présent les 75 ans de sa mort. Durruti mourut d’un coup de feu reçu à la poitrine. Un coup de feu dont on ignore encore aujourd’hui l’origine… On a beaucoup parlé des sept morts de Durruti… Mais peut-être la mort fut-elle causée accidentellement par la balle de son propre naranjero. La mort de Durruti comme celle d’Achille dans L’Iliade, renforça encore plus son statut de héros. Durruti fut le héros libertaire par excellence. Durruti fut célébré et transformé en légende par les miliciens des colonnes confédérales qui luttaient sur le front contre le fascisme, et par les anarcho-syndicalistes qui, à l’arrière avaient commencé à construire la nouvelle société sous le signe de l’autogestion libertaire. Le corps sans vie de Durruti fut transporté de Madrid à Barcelone, et exposé dans le hall du siège de la CNT-FAI Via Laietana qui, depuis ce jour, devint la Via Durruti. Son cercueil fut recouvert d’un drapeau rouge et noir… Sa mort suscita beaucoup d’éloges, mais beaucoup d’entre eux n’étaient pas sincères, et très vite les aspirations révolutionnaires de Durruti furent trahies.
La manifestation que provoqua son enterrement fut impressionnante, près d’un million de personnes occupèrent toutes les artères par où passa le cortège funèbre pour se rendre au cimetière de Montjuic. À la tête de la manifestation, tous les drapeaux antifascistes ouvraient le passage aux responsables politiques, syndicaux et militaires : Companys, Comorera, García Sandino, Pi y Sunyer, García Oliver, Montseny, Peiró, Marianet, Puig Elias, Nin et, entre autres, le consul d’URSS Ovseenko. Tous les syndicats de la CNT, les groupes de la FAI, les comités des Jeunesses libertaires et de Femmes libres suivaient le cortège avec, derrière eux, des milliers et des milliers de travailleurs. Les miliciens de la Colonne Durruti manifestaient aussi avec douleur et colère en réclamant « vengeance » sur leurs pancartes. En définitive tout le peuple était dans la rue pour accompagner Durruti dans son dernier voyage…
C’était la dernière manifestation unitaire du peuple travailleur et antifasciste, bientôt la révolution serait remise en question, la lutte fratricide commencerait, et la contre-révolution en finirait avec les espérances émancipatrices du peuple travailleur. Et les désirs de transformation sociale deviendraient histoire… Ce jour gris et pluvieux de novembre, la manifestation populaire qui s’écoulait par les rues de Barcelone était seulement couverte par le trot des chevaux des miliciens de la FAI, du POUM et des gardiens de la paix qui rendaient les honneurs au combattant anarchiste. Les motards des patrouilles de contrôle ouvraient la marche… Parmi l’immense foule qui accompagnait les restes de Durruti, deux fanfares interprétaient, sur un rythme différent, Hijos del Pueblo. Durruti fut enterré le jour suivant. L’enterrement fut une métaphore, une espèce de chant du cygne prédisant qu’avec Durruti on enterrait la révolution espagnole.

Ferrán Aísa
Traduction Ramón Pino