Grève des pompiers de la gare d’Austerlitz

mis en ligne le 8 décembre 2011
1654PompiersSoixante-et-un jours de grève
Mercredi 22 novembre 2011, alertée sur la grève des pompiers de la gare d’Austerlitz, la Wesh Team a rendu visite au piquet de grève devant l’entrée du local de la sécurité afin de mieux comprendre leur lutte depuis 61 jours et de la médiatiser. Une discussion avec le porte-parole (syndicaliste CGT, société Lancry Protection Sécurité) pour la durée du conflit nous a permis d’en savoir plus. On remarque sans peine leur installation avec tente côté Seine.
Il faut noter qu’ils ne sont pas rattachés à l’armée et qu’ils bossent pour la société Lancry Protection Sécurité, sous-traitante de la SNCF. Leur responsabilité, en qualité de sapeurs-pompiers, recouvre la sécurité des usagers et la prévention incendie mais ce statut leur est refusé. Treize personnes sur quinze de l’équipe sécurité incendie sont en grève et syndiquées à la CGT. Cette sous-traitance vise à décharger les brigades des pompiers de Paris. C’est donc la cellule sécurité incendie qui gère tout de A à Z sur le site de la gare d’Austerlitz à l’exception du transport délégué au service public.
Théoriquement, la gare devrait être fermée depuis le 3 octobre. Des cadres (service recrutement, service habillement de LPS) ont été réquisitionnés pour casser la grève. Clairement, ils n’ont ni les compétences pour ce poste, ni les diplômes nécessaires et encore moins la connaissance réelle du site. La SNCF refuse de fermer la gare et se contente de se cacher derrière son petit doigt en se basant uniquement sur un calcul numéraire des effectifs présents pour la sécurité incendie du site. Six CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail) de la gare, ayant déposé un droit d’alerte (délai réponse de rigueur maximum 24 heures), n’ont pas obtenu de réponse à cette date. La commission sécurité de la SNCF chargée de contrôler le service sécurité incendie auprès de la sous-traitance devait se réunir mais étrangement la réunion fut annulée… puis reportée au 30 novembre. Aucune nouvelle à ce jour.
Les enjeux de sécurité des usagers ne sont pas négligeables pour une gare de cette importance mais, tant que l’exploitation n’est pas touchée, la SNCF joue la montre. La bonne nouvelle c’est que le mouvement de grève est solide, inscrit dans la durée, et sans interruption, n’en déplaise au service communication de la SNCF et de la gare opérant un black-out complet de la situation. Médias et institutions, dont préfecture et mairie de Paris, ont été contactées. Réponse des institutions ? « Cela ne nous concerne pas. » Côté médias, il faut tout de même signaler que l’Humanité et Le Parisien ont fait un article en octobre sur cette lutte et certains blogs, également en novembre.
Pour devenir sapeur-pompier il est nécessaire d’avoir validé les diplômes PSE 1 et PSE 2 : premiers secours en équipe niveau 1 et 2 visent à « être capable de s’intégrer au sein d’une équipe de secours, pour prendre en charge, sur les plans technique et humain, une victime d’un accident ou d’une détresse vitale, afin de la mettre dans les meilleures conditions possibles pour une éventuelle prise en charge médicale ultérieure. À ce titre, il doit aussi savoir dialoguer avec les équipes médicales qui seront appelées à prendre le relais et, le cas échéant à s’intégrer à leur action ». La prévention incendie classique requiert le diplôme « PSC1 – prévention et secours civiques » niveau 1 (ex-AFPS : Attestation de formation aux premiers secours), mais c’est insuffisant pour prendre en charge des victimes avec du matériel.
Cette irresponsabilité ahurissante résume bien les méfaits de la sous-traitance comme mode de gestion dans les entreprises qu’elles soient publiques ou privées.
Ce mouvement de grève a été lancé sur ce site le 3 octobre et a fait tache d’huile sur les six plus grosses gares parisiennes (gare du Nord, gare de Lyon, gare de l’Est, gare Montparnasse, gare Saint-Lazare, gare d’Austerlitz) qui ont suivi le mouvement et repris les revendications légitimes (reconnaissance du diplôme et salaire correspondant) proposées pour les autres sites… Tellement légitimes que le site de la gare du Nord a obtenu satisfaction avec une grève de quatre heures (7 h-11 h) dès le premier jour alors qu’à Austerlitz ils en étaient déjà à seize jours de conflit. Par ailleurs une société dix fois plus petite que Lancry Protection Sécurité et salariant 35 personnes a également accepté les revendications. LPS refuse, avec ses quinze salariés et dix fois plus de chiffre d’affaire (94 millions d’euros de CA), de régulariser la situation, bien que cela ne leur reviendrait qu’à 50 000 euros par an pour tout l’effectif. Nul besoin de démontrer la rapacité de cette société créée en août 2000.
Dans les autres gares, les grévistes ont eu gain de cause avec les différentes sociétés sous-traitantes pour la sécurité incendie dans lesquelles ils travaillent. Le site de la gare d’Austerlitz est le dernier à ne pas voir reconnu ses droits bien qu’ils soient les initiateurs du mouvement durant maintenant depuis soixante et un jours (en date du samedi 3 décembre 2011).
Symboliquement, ils bloquaient l’accès mais ne pouvaient légalement empêcher les « vendus » de rentrer dans le local sécurité incendie. La mauvaise prise en charge d’une personne ayant fait un malaise et qu’ils connaissaient va les pousser à investir le local, sortir les « vendus » et laisser le système automatique de fermeture bloquer l’accès. Le 6 octobre, les quinze sapeurs-pompiers grévistes occupent donc l’espace public devant l’entrée de leur local 24 heures sur 24.
La réaction répressive ne s’est pas faite attendre puisque cent CRS interviennent alors de façon musclée. L’intervention du type « opération spéciale » a consisté à tout défoncer avec pieds de biche et béliers. L’huissier accompagnant les forces du désordre a alors pu constater qu’il n’y avait personne à l’intérieur. Cinquante à soixante cheminots sont venus spontanément en soutien devant l’excessive affluence répressive. Le CE (comité d’entreprise) de la SNCF a déposé plainte pour dégradation des locaux et les portes ont été réparées pour « calmer le jeu ».
Au regard de la longue durée de ce conflit, on s’interroge sur les mécanismes de solidarité mis en œuvre pour tenir aussi longtemps et ne rien lâcher sur les revendications initiales. C’est là que l’intérêt de décloisonner les luttes se révèle intéressant puisque la CGT cheminots SNCF va venir en soutien auprès des travailleurs de la sous-traitance dès le premier jour : présence régulière, ouverture d’une caisse de solidarité (via l’union syndicale du département comptant environ 1 500 syndicats).
Le piquet de grève organise des rassemblements, des distributions de tracts, des soirées de soutien sur site et crée un t-shirt de soutien pour le mouvement. Au-delà de tout ça, l’esprit d’équipe entre collègues joue également beaucoup. Par exemple, ceux qui ont un peu plus de moyens financiers cotisent plus pour l’occasion.
Le soutien syndical de cadres de la CGT, électoraliste du NPA ou Front de Gauche, d’étudiants et de passants, sensibles au fait qu’ils soient pompiers, y contribue également. Cette solidarité mise en œuvre ne permet pas de combler les deux mois de salaire déjà laissés dans la lutte mais évite qu’elle ne s’essouffle.
Au bout du quinzième jour l’arbitrage des grévistes contre Lancry Protection Sécurité est pris en charge par l’inspection du travail plutôt favorable aux grévistes. La société sous-traitante sentant la situation lui échapper conditionne alors statut et salaire à un changement du rythme de travail. Le rythme de travail des sapeurs-pompiers prend en compte le fait qu’ils doivent bénéficier de temps de repos suffisant et de plages horaires de disponibilité pour leur activité de pompiers volontaires (interventions hors travail salarié chez LPS). Ce chantage sera rejeté par les grévistes dès le seizième jour. Depuis, silence radio de la part de l’employeur… Malgré l’usure psychologique, chaque jour les grévistes sont plus déterminés et les solutions trouvées dans les autres gares parisiennes sont autant de bonnes raisons de ne rien lâcher. Cependant, le besoin de plus de soutien physique se fait sentir pour des actions car tenir une grève à 13-15 personnes n’est pas aisé. La visibilité du mouvement en bénéficierait directement.
La possible issue du conflit serait une dénonciation du contrat par la SNCF pour changer de prestataire et porter les salariés vers une autre société sous-traitante s’occupant déjà d’autres gares. Les grévistes y seraient favorables. Et pour cause puisque l’historique de Lancry Protection Sécurité est plutôt crapuleux.
Juin 2010, la société récupère, bien que ce ne soit pas sa spécialité, la gestion de la sécurité incendie pour la gare d’Austerlitz car elle était la moins-disant lors de la compétition (appel d’offre) entre sociétés sous-traitantes. Elle ne paye pas les heures supplémentaires grâce à une clause de modulation lui permettant de lisser les horaires sur un trimestre. C’est en partie le déclencheur de la grève car le prestataire les employant auparavant les prenaient en charge. Soit une perte nette de 200 à 300 euros sur leur salaire avoisinant, depuis, les 1 200 euros net par mois.
Une tentative de changement des horaires sera tentée mais échouera lors d’un premier conflit. Le second conflit fera suite à la tentative de sucrer l’indemnisation des frais de transports des salariés. Enfin le troisième conflit dont il est question maintenant leur vaudra le surnom de « gaulois d’Austerlix ».
Pour faire bouger la SNCF, et notamment la pousser à une gestion tripartite de ce conflit (ce qui devrait être le cas depuis le début), les revendications des grévistes se radicalisent : « Nous reprendrons le travail si Lancry part ! » La création d’un syndicat sécurité-incendie fédérant les gares de Paris fait également son chemin.
Politique de l’autruche (dédicace), que ce soit du côté SNCF donneuse d’ordres ou du côté prestataire Lancry Protection Sécurité, l’incompétence à tous les étages de la hiérarchie, le mépris des salariés et la remise en cause de l’imposture permanente sont de mise au sein de la sous-traitance dans ce conflit.
Passez les voir, boire, manger avec eux pour mieux connaître leur lutte. Des t-shirts de soutien, à l’image de leur lutte, sont en vente.

John Wesh Poulaille