Il était temps…

mis en ligne le 8 décembre 2011
Pendant que l’intouchable Intouchables nous ramollit le ciboulot à grands coups de morale catho sur fond de collaboration de classes (y compris, récemment, dans nos propres colonnes…), d’autres films – défrayant un peu moins les chroniques (mais tout de même assez médiatiques) – sauvent l’honneur de nos écrans de cinéma. Et c’est le cas, notamment, de l’excellent Time Out, film d’anticipation qui s’efforce de rendre compte de l’absurdité et de l’injustice incarnées par le capitalisme.
In Time dans sa version originale, Time Out est sorti il y a peu sur nos écrans, le 23 novembre pour être précis. Réalisé par le néo-zélandais Andrew Niccol, qui avait déjà commis en 1998 le superbe Bienvenue à Gattaca (ainsi que le scénario visionnaire de The Truman Show), Time Out nous plonge dans un futur proche où pièces et billets ont été remplacés par une monnaie d’un genre nouveau : le temps. Dans ce monde, pas si éloigné du notre, des recherches scientifiques ont permis de modifier génétiquement le corps humain pour qu’il ne vieillisse plus à partir de 25 ans. Jusqu’à cet âge ultime, chacun évolue « librement », mais une fois les 25 bougies soufflées, chacun doit gagner son temps de vie, sans quoi la mort frappe. Les gens sont donc payés en heures de vie qu’ils dépensent ensuite pour financer leur loyer, leur bouffe et leurs loisirs éventuels. Mais comme dans toute société basée sur l’argent et le salariat, celle de Time Out est une société de classes où une petite bourgeoisie immortelle accumule le temps tandis qu’une masse innombrable de prolétaires se tue quotidiennement à la tâche pour gagner les quelques heures de vie qui lui permettront d’échapper à la grande faucheuse. Exposés à la mort chaque jour, certains y échappent de justesse, à quelques minutes près, et d’autres, ruinés, s’écroulent en pleine rue.
Voilà pour le background. Pour l’histoire qui y plante ses racines, elle est somme toute assez classique : un prolo (Will Salas, interprété par Justin Timberlake), accusé à tort du meurtre d’un bourgeois, prend la poudre d’escampette, en compagnie de la fille d’un des plus riches banquiers de la cité (Sylvia Weis, interprétée par Amanda Seyfried). Au cours de leur cavale, les deux comparses vont se forger une conscience sociale – et politique – qui les conduira à remettre en cause radicalement la société injuste et absurde dans laquelle ils évoluent. Bien joué, esthétiquement très chouette – on retrouve ici les influences de Bienvenue à Gattaca –, Time Out dégomme sans fioritures (et parfois de façon un peu maladroite, notamment au début) le modèle de société capitaliste, « dévoilant » au grand jour l’absurdité de son fonctionnement et les conséquences odieuses de la marchandisation de la vie qu’il instaure. Film qu’on pourrait sans se tromper qualifier de « lutte de classes », il rappelle que, dans une société classiste, on est soit d’un côté, soit de l’autre. Et que le passage du camp des bourgeois au camp des prolétaires ne peut se faire sans l’abandon des valeurs et des privilèges associés au premier. Et c’est d’ailleurs ce qu’incarne parfaitement le personnage de Sylvia Weis qui, une fois rangée du côté de Will Salas, abandonne le confort de son milieu, voire se retourne carrément contre sa propre famille et les valeurs qu’elle représente. On est ici bien loin du discours porté par Intouchables où, s’il est clairement question de classes sociales, les antagonismes qui existent entre les deux ne sont jamais montrés comme inconciliables, ce qu’ils sont pourtant bel et bien. On pourra toutefois reprocher à Time Out de concevoir le changement social à travers un prisme quelque peu « bourgeois » qui relègue le rôle des « masses » au second plan, au profit de l’action de deux individus providentiels. Dommage. En tout cas, une chose est sûre, Time Out tombe pile à l’heure.