Le wagon ivre ? Les dérives du CE de la RATP

mis en ligne le 15 décembre 2011
On n’a pas pu manquer l’affaire (il y en aura d’autres, les élections approchent) : la presse s’est fait largement l’écho du rapport de la Cour des comptes qui épingle le fonctionnement pour le moins opaque du Comité d’entreprise (CE) de la RATP.
Après les irrégularités signalées en 2010 dans celui d’EDF/GDF, et les déficits de ceux de la SNCF, d’Air France et de France Télécom pour ne signaler que les plus connus parmi les plus gros budgets, c’est encore une fois la gestion des organisations syndicales (CGT en tête) qui est mise en cause. Avant d’aller plus loin, il serait bon de faire un bref rappel de ce qu’est ce CE et de ses buts.
Créé en 1947, le Comité central d’entreprise de la compagnie métropolitaine des transports deviendra le 21 mars 1948, le CE de la RATP. Son fonctionnement repose dès le début sur un principe : les élus du CE sont seuls décisionnels en matière économique et professionnelle, ainsi que dans la gestion des Activités sociales et culturelles (ASC). Pour ce qui est de ces ASC, le CE se donne comme mission :
– D’offrir la possibilité aux agents de la RATP de bénéficier au moins une fois par jour d’un repas équilibré.
– De favoriser le droit aux vacances pour tous, et en priorité le droit aux vacances pour les enfants d’agents.
– De 2004 à 2010 (période faisant l’objet du contrôle de la Cour des comptes), le Comité régie d’entreprise (CRE) de la RATP a été géré principalement (à 85 %) par les organisations suivantes : CGT, UNSA, CFDT, FO et CFE/CGC. Cette gestion par le CRE a consisté à :
– D’organiser chaque année le séjour de 38 000 personnes dans l’un des centres vacances familiales.
– D’accueillir tous les ans près de 8 000 jeunes dans ses centres de vacances enfance/jeunesse.
– De gérer un patrimoine immobilier constitué de 14 centres familles, 20 centres enfance/jeunesse et assumer sa participation dans dix Sociétés civiles immobilières (SCI).
– De servir 1 567 000 repas par an dans 27 restaurants.
– De mettre à disposition de 45 000 agents les différentes activités proposées par l’action
culturelle.
– De distribuer 30 000 jouets et accueillir 45 000 personnes lors de la journée de l’Arbre de Noël du CRE.
– De rassembler plus de 10 000 visiteurs à la fête annuelle du CRE de la RATP.
– De permettre à 2 000 agents de participer aux différentes manifestations sportives.
Voilà pour les objectifs, mais la Cour des comptes, dans un rapport de 234 pages intitulé Les Dysfonctionnements du CE de la RATP, s’inquiète de l’opacité d’un système qui génère, selon elle, défaillances de gestion, manque de contrôles, climat social dégradé, mauvaise gestion des 27 restaurants du CE qui lui ont coûté 290 000 euros de 2006 à 2009, « disparition » de recettes de caisses, manquement aux règles d’hygiène dans le restaurant du siège à Paris, prix des denrées achetées surévalués… Il faut dire que le montant du budget de ce CE est colossal : 53 millions d’euros avec un effectif de 450 salariés.
En ce qui concerne les activités vacances, le CE a mené de 2004 à 2010 six rénovations immobilières (sur une quarantaine de centres). Et là aussi on constate des surévaluations dans les devis, voire des travaux facturés alors qu’ils n’ont pas été réalisés… Et cerise sur le gâteau : la fête annuelle du personnel au château de Fontenay-les-Briis qui coûte environ 447 000 euros (et ce, depuis quatre ans). On notera aussi les dépenses à caractère visiblement privé : bouteilles de champ’ à étiquette personnalisée pour mariage, achats de GPS et de produits de beauté etc.
À part la Cour des comptes, personne ne peut contrôler les CE qui dès leur création (21 mars 1948) ont affirmé l’indépendance de leurs élus. Ce sont donc ces élus qui choisissent seuls les différents fournisseurs (pas d’appel à la concurrence, pas de publication des comptes).
Que la Cour des comptes ait constitué un dossier uniquement à charge pour affaiblir les organisations syndicales (et particulièrement la CGT), c’est possible. Mais souvenons-nous qu’un autre rapport sur les « malversations » de ces organisations avait été établi pour être présenté au parlement, puis finalement, l’UMP avait renoncé à sa présentation. Trop de monde mouillé à gauche et à droite ? Cette fois-ci encore on entrevoit la porte de sortie : la Cour des comptes préconise une reprise en main du CE, quant à Michel Mercier, ministre de la Justice, il estime « légitime de soumettre les CE aux obligations comptables du code du commerce ». La CGT-RATP a évidemment saisi la balle au bond en déclarant : « Si des dysfonctionnements nouveaux d’ordre organisationnel et/ou structurel apparaissaient, il va sans dire que les élus CGT mettraient tout en œuvre pour y remédier… Si des malversations, de l’enrichissement personnel, des surfacturations, etc. étaient démontrés, notre organisation syndicale mettrait tout en œuvre devant les autorités judiciaires compétentes, pour que le CE recouvre les sommes prétendument extorquées. Dans ce cadre, nous porterions plainte ou nous nous porterions partie civile sur une plainte déposée par le CRE. » Le parapluie est ouvert. Peu avant ce communiqué de presse, la CGT-RATP a adressé (le 2 décembre) un courrier à ses militants consistant en un argumentaire « qui n’a pas vocation à être affiché ou diffusé au-delà de nos militants ». Seules trois instances sont habilitées à s’exprimer sur le rapport de la Cour des comptes : le secrétaire du CRE, le secrétaire général de l’Union CGT/RATP, les secrétaires généraux des organisations syndicales gestionnaire.
La CGT gagnerait en crédibilité si elle ne s’acharnait pas à cadenasser l’information. Le résultat va être une fois de plus, la décrédibilisation de ses adhérents que l’on ne peut toutefois pas assimiler à leurs états-majors, et c’est valable pour les autres organisations syndicales. On voit bien à chaque temps fort dans les luttes, le décalage existant entre une base (pas assez forte ni coordonnée) et une bureaucratie arc-boutée sur ses prérogatives. Cette fois encore, la bureaucratie fera le dos rond. Elle a déjà enclenché son auto absolution en élaborant depuis le 16 novembre un projet de restructuration de son organisation. Alors ? Une nouvelle voie pour le CE-RATP ? Sûrement pas plus de lumière qu’au CE-EDF !
Enfin, si certains se sont jetés sur cette affaire pour faire valoir à nouveau leurs basses critiques des organisations de travailleurs, voire pour remettre en cause des droits sociaux acquis de longue date, essayons, quant à nous, de faire un minimum la part des choses. Les dysfonctionnements révélés au grand jour sont bel et bien condamnables, et devraient désespérer tout syndicaliste consciencieux, mais la corruption contemporaine se limite-t-elle à des bouteilles de champagne ? Il faudrait là questionner tous les politiques qui ont pris position dans cette affaire et qui, c’est bien connu, portent haut le flambeau des magouilles financières. Que les grands médias, les partis, voire le patronat s’insurgent contre les dérives du CE-RATP a un gout prononcé d’hypocrisie, quand on sait les arnaques, les malversations, les ponctions et les manipulations dont ces gens-là sont capables. Reste que la bureaucratie en charge du comité est fautive, légalement certes, mais aussi, et surtout, envers les travailleurs de la RATP dont elle est sensée être une institution représentative.