Notre sommet social est à la base

mis en ligne le 26 janvier 2012
Il y a quelques jours, un estimé camarade m’avouait ne plus croire en la capacité du syndicalisme à instaurer un vrai rapport de classe conflictuel au sein de la société. Je n’étais, bien sûr, pas de son avis. Si le syndicalisme de 2012 n’est, certes, plus celui de la fin du XIXe et du début du XXe siècles, s’il est loin, aujourd’hui, de constituer un front uni du Travail contre le Capital, il y reste néanmoins des potentialités de résistance. Des potentialités qui se réveillent régulièrement et qui, parfois, accouchent de victoires. Et pas forcément des moindres. Récemment, deux épisodes viennent conforter ce propos.
Le premier, c’est la victoire des pompiers de la gare d’Austerlitz qui, après 98 jours de grève téméraire et implacable, sont parvenus à faire plier les patrons de Lancry, l’entreprise qui les emploie. Soutenus, depuis le début du conflit, par l’UL CGT du 13 et l’US CGT Commerce Paris, ils ont obtenu de leur direction des augmentations de salaire (108,13 euros pour les agents de sécurité incendie, 148,57 euros pour les chefs d’équipe, à quoi il faut aussi ajouter 30 euros de frais de transport – 45 euros pour ceux habitant en dehors de l’Île-de-France) et la garantie que les équipes déjà constituées ne bougeraient pas d’un iota.
Autre victoire dans le commerce pour les salariés du Monoprix Courcelles du XVIIe arrondissement de Paris. Vendredi 13 janvier dernier, ils se sont mis en grève pour réclamer des embauches, un remplacement systématique des salariés absents et, surtout, l’arrêt immédiat des sanctions dues aux erreurs de caisse liées au manque de personnel. Contrairement aux pompiers d’Austerlitz, il n’aura fallu que peu de temps aux salariés de Monoprix pour imposer leurs revendications à la direction. Au bout de trois heures de débrayage, celle-ci s’est engagée « à embaucher deux CDD à temps complet, dès mercredi prochain, pour le début de la deuxième démarque ; les contrats étudiants seront renforcés et les salariés qui le souhaitent seront appelés à faire des heures supplémentaires ; deux personnes en plus seront affectées au rayon non alimentaire pour aider à l’étiquetage ; la chef de caisse du soir, sanctionnée pour ses erreurs de caisse, ne fera que des encaissements chèques et cartes bancaires ». Avant de retourner au chagrin, les salariés du magasin ont menacé la direction d’un nouveau débrayage si les accords conclus n’étaient pas suivis d’effet dans les jours à venir. À bon entendeur…
Enfin, samedi 14 janvier dernier, c’est l’ensemble des salariés de chez Tati qui, à son tour, a embrassé la grève, peu après l’annonce du suicide d’une de leur collègue, poussée à bout à son travail par une directrice jouant les Gengis Khan. Depuis 2008, la colère gronde dans le magasin de Barbès où règnent des pratiques managériales indignes. Il y a quatre ans, l’US CGT Commerce Paris dénonçait déjà les méthodes de la directrice : « Depuis sa prise de fonction, elle voit partout des salariés qui auraient eu des problèmes durant leur enfance, diagnostique des déficiences intellectuelles, envoie des salariés voir le médecin du travail pour se faire conseiller un suivi psychologique et un traitement médicamenteux. Elle repère des « fainéants » ou des « incapables » « dont on ne veut plus dans l’entreprise », refuse de serrer la main de salariés « atteints de rhume de cerveau ». Elle rapporte les propos qui lui sont confiés, grossissant et exagérant des situations parfois banales et cherche, d’une manière générale, à diviser pour régner. » La grève n’a pour l’instant rien donné de concret, mais l’US envisage d’entreprendre des poursuites pénales contre la marâtre en mal de domination.
Toujours est-il que le syndicalisme reste le principal vecteur de la lutte des classes au sein du monde du travail. Par « syndicalisme », entendons bien les luttes revendicatives des travailleurs – comme celles des pompiers d’Austerlitz ou des salariés du Monoprix Courcelles –, et non les parades spectaculaires des bureaucraties confédérales au sommet « social » de l’État, en compagnie de la vérole patronale. Un syndicalisme libéré, aussi, de l’atonie d’une partie de sa base et des ficelles avec lesquelles ses dirigeants le manipulent pour des intérêts personnels, bien différents de ceux de la classe laborieuse.
De là à dire que le syndicat sera le point de départ d’un front émancipateur, je n’en sais rien. Reste, cependant, que les autres formes de luttes sociales ne sont pour le moment pas plus prometteuses de lendemains radieux pour l’humanité. Mais, malgré tout, une chose semble certaine : tant que nous ne resterons pas les bras croisés au turbin et que nous ne relèverons pas nos manches pour la grève, aucune perspective de sortie du capitalisme ne paraît envisageable.