Raffineries françaises : quand les patrons abandonnent le terrain

mis en ligne le 9 février 2012
1659PetroleCe 2 février, les patrons du pétrole se réunissaient rue Godillot à Saint-Ouen (93) pour présenter un pseudo livre blanc du pétrole. Le siège de l’Union des patrons de l’industrie des pétroles se trouve non loin de l’Élysée mais, apprenant qu’une manifestation devait avoir lieu, ces patrons ont jugé bon de s’expatrier en banlieue rouge, ça fait moins sale.
Plus de 600 militants travaillant dans les raffineries (dont 200 de Pétroplus) manifestaient devant les grilles en ce jour glacial, parce que ça ne va pas du tout dans ce secteur. Si ces salariés ont été plutôt privilégiés jusqu’à ces dernières années (du moins au niveau des salaires, parce qu’au niveau des maladies professionnelles, c’est beaucoup moins bien), cela en est bien fini désormais. Le secteur de la raffinerie subit une crise : non pas que les trusts pétroliers voient leurs bénéfices s’écrouler, loin s’en faut, mais ces derniers restructurent et délocalisent à tout va.
Prétextant tout ce qu’on voudra bien – le Grenelle de l’environnement, les quotas de CO2, le coût du travail, les voitures qui consomment moins de carburant –, ces multinationales ont décidé de changer leur stratégie, non plus en fabriquant les carburants dans les pays consommateurs mais en raffinant dans les pays producteurs et en amenant l’essence ou le gasoil par supertankers en Europe, dans d’immenses stockages comme ceux construits récemment près de Marseille et du Havre.
Les installations européennes sont vieillissantes, et le coût social et environnemental est plus faible à Abou Dabit ou dans la région qu’ici. Ces nouvelles unités construites au Moyen-Orient l’ont été à l’origine pour alimenter l’Asie. Elles ont des capacités de production quatre fois supérieure à celles des vieilles raffineries. Sauf que l’Asie ne consomme pas autant que prévu. Donc, malgré la raréfaction en cours du pétrole, il y a une surcapacité de ce côté-là (pas en Europe qui doit importer). Il s’agit d’un carburant plus rentable à fabriquer, donc les Total, Exxon, Shell et consorts cherchent d’autres débouchés que le marché asiatique.
C’est Total qui a lancé la première offensive en fermant une unité à Gonfreville, près du Havre, et en fermant définitivement la raffinerie des Flandres à Dunkerque. Lors de ces premières fermetures, un mouvement de grève jamais vu dans ce milieu a montré aux salariés raffineurs qu’ils pouvaient bloquer le pays en fermant les robinets d’essence. Malheureusement, la grève a tourné en eau de boudin. Comme si les syndicats avaient eu peur de leur force. Ça s’est terminé par une table ronde et par la promesse de Total de ne pas fermer une seule raffinerie (outre celle de Dunkerque) dans les cinq prochaines années. Et on arrive bientôt au terme de la promesse. Ce premier mouvement de grèves a quand même permis aux raffineurs de reprendre le chemin du blocage et des grèves lors du mouvement des retraites de 2010.
Le pétrolier Shell avait préalablement anticipé le pas en se séparant de son raffinage, sans trop de casse sociale à l’époque, en cédant Shell-Berre à la société Lyondell et celles de Petit-Couronne et Reischett à Pétroplus. Pétroplus est un groupe d’investissement basé en Suisse qui ne dispose ni d’exploitation ni d’accès aux puits comme les trusts pétroliers.
Aujourd’hui, la raffinerie Lyondell de Berre est mise sous cocon pour au moins deux ans, ce qui veut dire qu’elle va fermer car si des travaux ne sont pas faits, il sera impossible de la redémarrer. Quant à celles relevant de Pétroplus, Reischett vient d’être fermée et celle de Petit Couronne est dans l’attente d’une décision. Le groupe Pétroplus est en cessation de paiement et serait en liquidation pour payer ses créanciers.
C’est une stratégie éprouvée ces dernières années. Les multinationales, sauf cas de force majeure, ferment rarement elles-mêmes leurs sites. Elles laissent le sale travail à des entreprises plus petites et moins solvables. Du coup, au bout de quelques années, au cours desquelles les salariés ont souvent perdu des avantages, les repreneurs ferment les boîtes, suite, les trois-quarts du temps, à des problèmes financiers.
Du coup, pas de plan « social ». C’est le Fond de garantie des salaires qui finance les salariés le temps de la fermeture, les primes de licenciement se font à minima après recours à la justice et, surtout, en ce qui concerne le démantèlement des installations et la dépollution des sites, cela tombe souvent dans les mains des pouvoirs publics. Le trust pétrolier (ou chimique, ou autres) qui avait géré et pollué le site pendant des dizaines d’années n’a plus qu’à se laver les mains.
Pour les Pétroplus de Petit-Couronne, près de Rouen, il y a d’abord eu une annonce en décembre comme quoi l’usine n’allait plus traiter les huiles, puis début janvier c’est de fermeture totale dont il a été question, ainsi que le licenciement des 80 salariés restant à Reischett.
Dans la région rouennaise l’annonce de la fermeture de la raffinerie a été une grande claque. Cette usine existe depuis 1929 et fait partie de l’histoire sociale (et environnementale, elle pue vraiment) de l’agglomération. Plusieurs communes limitrophes de la raffinerie ont connu un enrichissement grâce à elle et à ses milliers de salariés. Aujourd’hui, la raffinerie compte encore 550 salariés à statut et presque autant de salariés sous-traitants, sans compter les emplois induits, commerces et autres. Ceci explique aussi le fort mouvement de soutien de la part de la population alentour et des militants syndicaux des boites de la région. Chaque jour, lors des assemblées générales au cours desquelles les « Pétro » décident de la continuité du blocage de la raffinerie, de nombreux soutiens viennent apporter un coup de main. Manifestations, blocages, distributions de tracts et autres sont devenus quotidiens.
Reste que tout cela n’amène pas grand-chose dans le sens où les salariés sont à la merci de décisions prisent par l’État ou par d’autres pseudo-industriels. Il faudrait faire monter les actions d’au moins un cran. Si les syndicats du site demandent la prise de contrôle de l’industrie pétrolière par l’État (on ne parle pas de coopérative ou d’autogestion, dans ce type d’usines trop grosses et trop lourdes), il faudra autre chose que des manifestations et des élections.
Parce que c’est un des problèmes de ce conflit. L’intersyndicale (très majoritairement menée par la CGT) a voulu médiatiser le conflit. Des salariés victimes d’un patron-voyou – et qui plus est, Suisse – ça plaît toujours, d’où une présence importante et quotidienne de télés, journalistes et autres. Pour être encore plus visibles, les syndicats ont invité les candidats à l’élection présidentielle à venir, et ceux-ci ne se sont pas fait prier pour trouver une tribune « sociale », de Nathalie Arthaud à Hervé Morin (plutôt mal passé). Évidemment, tous promettent de s’occuper d’eux, mais comment les croire ? Enfin, c’est là où le bât blesse, la CGT Pétroplus ne propose plus comme solution à leur situation que de voter Mélenchon, ce qui est un peu court.
La situation des salariés sera bien pire une fois l’élection passée. D’autant que d’autres raffineries risquent de subir le même sort dans les prochaines années (il n’en reste plus que 8).
Au moment où j’écris ces lignes Garry Klecht semble sur les rangs du rachat de la raffinerie. Ce type, suisso-américain est un financier aux dents longues (type Tapie) qui passe sa vie à acheter et vendre des usines. Les salariés de la branche vinyle d’Arkhéma, en savent quelque chose, après avoir été fourgué par Total à Arkhéma, c’est ce type qui se propose de les racheter moyennant restructuration et suppression d’emplois. Ils sont actuellement en lutte contre ce rachat.
Concernant la raffinerie, Besson est venu les voir et aurait dans son chapeau une autre « solution industrielle » qui consisterait à la faire fonctionner à façon et à la demande pour différents groupes pétroliers. Solution complètement ridicule qui ne rendra pas le site pérenne. Ça permettrait juste de tenir jusqu’aux élections.
Voilà où on en est en ce moment de ce conflit. Pour les libertaires il n’est pas toujours facile de s’y retrouver, lutter pour une raffinerie polluante, alimentant des voitures polluantes, exploitant une énergie fossile en cours d’épuisement, une forme d’usine qui nécessite une telle différenciation des métiers et une telle technicité qui empêche d’y penser en terme d’autogestion, c’est plus que compliqué. N’empêche que ces copains luttent pour le maintien de leurs conditions de vie et la révolution n’étant pas tout à fait pour demain, la solidarité avec eux est plus qu’à l’ordre du jour.