Les écoles parallèles... Un parallèle fâcheux !

mis en ligne le 20 octobre 1977
Depuis quelques années déjà, la liberté de l'enfant est à l'ordre du jour chez tous ceux qui veulent conjuguer la révolution au présent. Les petites annonces de Libération sont révélatrices de ce phénomène. Regroupement des parents, écoles parallèles, alternatives... fleurissent ici et là dans l'enthousiasme et les difficultés de tous ordres. Chaque année qui passe apporte son lot d'échecs, de dissolutions mais aussi de créations en nombre croissant. Quelle que soit l'opinion que l'on puisse porter sur ces expériences, force est bien de constater qu'elles existent, qu'elles intéressent, qu'elles représentent une alternative à l'école.
L'école laïque, gratuite et obligatoire : l'école de l'État a sans aucun doute représenté un « progrès social » à une époque où sévissait l'analphabétisme. Aujourd'hui, presque tout le monde sait lire et écrire, et l'école s'est vue adjuger une autre fonction.
C'est un lieu commun de nos jours de dire que l'école est triste, ennuyeuse... qu'elle suinte la mort par tous ses pores. Entre ses murs gris, sous la pression névrotique d'intellectuels rabougris, passés « maîtres » dans l'art de transmettre un savoir figé et glacé, les dernières petites lueurs de vie, de spontanéité créatrice des enfants s'éteignent peu à peu. Oui, l'école, « l'éducastration nationale » 1 est devenue un abattoir, une espèce d'usine à décerveler qui chaque année, vomit sur le marché du travail sa production d'adolescents brisés, mutilés, préparés et rodés à l'humiliation de la vie, à l'exploitation.
Comment dès lors que l'on a conscience de cette réalité-là, n'aurait-on pas envie de lui soustraire ses propres enfants ?
Ce ne sont pas les anarchistes qui vont s'inscrire en faux contre cette volonté de vivre au présent la liberté de l'enfant. Toute l'histoire de notre mouvement va en ce sens. En 1876, Paul Robin impulsait déjà, à Cempuis, une expérience éducative plus que remarquable de ce point de vue. Pensez, il était même question d'éducation sexuelle ! De 1904 à 1919 à la Ruche, Sébastien Faure alla encore plus avant...
Oui, les anarchistes n'ont jamais attendu les lendemains qui chantent de ceux qui parlent toujours de la révolution au futur, pour mettre en pratique leur volonté de changer la vie.
C'est pourquoi bien que notre sympathie pour les écoles parallèles soit acquise, nous souhaitons que se lèvent les ambiguïtés qui leur collent à la peau. L'illusion du changement débouche toujours sur le changement d'illusions, aussi convient-il d'être clair pour briser ce cercle infernal.
Les écoles parallèles, en se battant prioritairement contre un aspect particulier de l'oppression, en arrivent souvent à théoriser en système leur lutte parcellaire : c'est l'illusion pédagogique.
Comme toute l'illusion, elle repose sur un certain nombre d'incompréhensions, dans le cas présent celles de l'institution école et de la notion d'éducation.
Si l'école capitaliste secrète l'ennui et la misère, ce n'est pas seulement parce qu'elle est une « école de classe » enregistrant des différences pour les reproduire sous forme d'inégalités. C'est également la logique interne de l'école en tant qu'institution, qui l'amène à ce résultat. Par définition l'école est un lieu spécialisé chargé de gérer dans le temps et l'espace une tranche de la vie de l'enfant; par nature cela est inhumain. En effet, la vie est une totalité qu'il est toujours mutilant de diviser en tranches, S'il est logique que la transmission de savoir s'effectue quelque part, il n'est pas nécessaire que ce lieu soit réservé aux seuls enfants ni qu'il soit coupé de la vie sociale en ne servant qu'à cela.
Les anarchistes sont pour l'éducation permanente (pendant toute la vie de l'homme). Enfants, adultes, vieillards doivent y avoir accès. Dans cet esprit, nous ne concevons les lieux réservés à l'éducation que comme étant intégrés à la vie sociale, à la vie de la cité, ouverts à la production économique, culturelle ou autre.
En ce sens on peut dire, avec Illich, qu'il faut détruire l'école. Capitaliste, marxiste ou parallèle, l'école participe en effet toujours de cette volonté de faire éclater la vie pour mieux la gérer.
C'est pourquoi le terme même d'école parallèle est ambigu : il suppose qu'il puisse exister un type d'école qui ne relève pas de cette problématique.
Pour ma part je ne crois plus aux sirènes démagogiques de la dialectique : capitaliste ou marxiste, l'armée reste l'armée, l'État un État et un flic un flic. Il en est de même pour l'école.
Cette ambiguïté dramatique des écoles parallèles plonge également ses racines dans l'incompréhension de la notion d'éducation.
Cette dernière en effet n'est pas le seul privilège de l'école. L'enfant dans son évolution physique et psychique est soumis à l'ensemble de la pression de son environnement. Ses parents, l'école et la société le conditionnent de manière simultanée. Alors, vouloir changer l'école sans changer le reste revient à vouloir restaurer le premier étage d'une maison où la cave est pourrie et la toiture en ruines. C'est vraiment l'illusion pédagogique !
Que d'ores et déjà on mette en place des contre-institutions permettant à l'enfant d'échapper à l'école, soit ; mais soyons clairs, la liberté est chose impossible dans ce système, même et surtout si l'on s'en tient au seul plan de l'éducation. Pour le présent, l'émancipation de l'homme ne peut se concevoir que dans une dynamique globale de lutte contre la réalité actuelle de l'oppression. La lutte pour la liberté de l'enfant doit s'intégrer en tant qu'aspect particulier à la lutte globale visant à abattre l'aliénation générale que nous subissons au plan politique, économique, social, quotidien... La liberté de l'enfant est un aspect de la lutte des classes.
En ce sens les écoles parallèles doivent sortir du ghetto pédagogique pour entrer de plein-pied dans le champ social. Ce n'est pas en copiant à contrario les institutions actuelles que l'on avancera dans la voie de l'émancipation humaine.
Oui il faut détruire l'école, même et surtout si elle est parallèle, car le parallélisme signifie trop souvent la similitude





1. Voir le livre de Jules Celma : L'Éducastreur (éd. Maspéro).