Les briseurs de grèves

mis en ligne le 23 février 2012
Depuis trois semaines, une vingtaine de marins de la SNCM, syndiqués à la CGT, bloquaient le navire Le Corse au port de Marseille, l’empêchant d’appareiller pour rejoindre Toulon. Ce blocage, appuyé par une grève, visait à dénoncer l’ouverture, par la SNCM, d’une liaison Toulon-Corse, créée par la direction pour, selon les dires d’un représentant du syndicat CGT, « faire le jeu de la Corsica Ferries en défendant le maintien des subventions qui lui sont attribuées au titre des fameuses aides dites sociales, tout en réduisant le périmètre du service public ». Les marins entendaient également s’opposer, par cette action directe, à la renégociation en cours des accords salariaux. Mardi 14 février, le tribunal de grande instance de Marseille déclarait la grève illégale et exigeait, par ordonnance, l’arrêt immédiat du blocage, sous peine de 200 euros d’amende par heure de retard prise par le navire. Il autorisait également le recours aux forces dites de l’ordre pour balayer le blocage en cas de non-respect de la décision de justice. Pour légitimer cette nouvelle atteinte au droit de grève, le juge prétendait que celui-ci « n’emporte pas celui de disposer des biens de l’employeur ». Une petite mise au point historique ne lui aurait sans doute pas fait de mal, histoire de lui rappeler ces quelques mots que le syndicaliste anarchiste Émile Pouget – à l’origine de la création de la CGT en 1895 – écrivait en 1910 : « Le syndicalisme est apte à préparer et à réaliser, sans interventions extérieures, par la grève générale, l’expropriation capitaliste et la réorganisation sociale, avec pour base le syndicat, qui de groupement de résistance se transformera en groupement de production et de répartition 1. »
Déterminés dans leur combat, les marins n’ont pas bougé d’un pouce, conscients que la lutte des classes ne se mène pas ailleurs que sur le terrain, avec l’action directe. Vers 20 heures, plus de 400 CRS ont débarqué et, dans une violence qui leur est depuis longtemps coutumière, ont brisé le blocage et la grève. La répression ne se limitant jamais à quelques coups de matraque, dix-sept salariés grévistes ont été convoqués pour « participation à un arrêt de travail jugé illicite » et deux représentants syndicaux sont poursuivis pour « fautes lourdes ». La lutte n’est pas terminée pour autant et Frédéric Alpozzo, le représentant de la CGT, promet une suite au mouvement.
Ce énième coup de force contre la grève, avec intervention policière musclée (400 flics pour 20 marins), intervient dans un climat général de remise en cause du droit de grève. Des réquisitions préfectorales de l’automne 2010 aux mobilisations de flics pour remplacer les agents de sécurité dans les aéroports, en passant par la récente loi dite « relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises du transport aérien », l’État et ses avatars – justice et police – n’en finissent plus de lécher les cuissardes du patronat. Pendant ce temps-là, l’actuel président annonce sa volonté de briguer un nouveau mandat en vue de consolider une présidence « du peuple, par le peuple et pour le peuple », et les autres guignols – de Le Pen à Mélenchon en passant par Hollande – se gargarisent avec des promesses de bien-être social et de sécurité grâce auxquelles ils espèrent gravir les marches du pouvoir. Dans les discours, le bon peuple se voit ainsi l’objet de toutes les attentions, mais dans la réalité, on le matraque et on le traîne devant les tribunaux dès qu’il se fout en grève. C’est ça la démocratie parlementaire.






1. La Confédération générale du travail, Bibliothèque du Mouvement prolétarien, Librairie des sciences politiques et sociales Marcel Rivière, Paris, 1910.