Fin de règne ? Famille-Patrie-Police !

mis en ligne le 1 mars 2012
Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir l’évolution d’un clan politique, de plus en plus nostalgique de l’époque où le tandem Pétain-Laval gouvernait à Vichy. Cette réflexion n’est peut-être pas originale mais, particulièrement depuis 2002, par petites touches puis, sans même s’inquiéter d’une opinion publique plutôt nonchalante, celle qu’on qualifie de « France profonde », entendez « qui ne fait pas de politique », était clairement avertie que c’en était terminé de l’État-providence. C’est ainsi qu’un vibrion, déjà très marqué à droite, subjuguait un électorat déçu par une gauche qui n’avait rien de neuf à proposer. En 2007, très crûment, Nicolas Sarkozy informait ses futurs sujets que s’ils voulaient gagner plus, il leur faudrait travailler davantage. Cela en un temps où le chômage ne faisait qu’augmenter, tandis que les salaires étaient pratiquement bloqués.

Ne surtout pas oublier le passé chrétien de la France !
Très rapidement, les gogos qui se contentent de faire confiance aux résultats sortant des urnes devaient s’apercevoir qu’ils n’avaient pas seulement accordé leur confiance à un bateleur de foire, mais à l’héritier d’un groupe de pensée désireux de ramener la France au niveau social qui étaient le sien à la fin du XIXe siècle. Le credo du petit Nicolas X était cruellement simpliste : les braves gens qui peuplent le pays des droits de l’homme devaient comprendre qu’il n’était plus possible de respecter ce droit du travail conquis au cours de décennies de luttes. Surtout si l’on voulait encore continuer à assurer les privilèges de ceux qui avaient encore le bon goût de continuer à accueillir des salariés dans leurs entreprises. D’un bout à l’autre du camp des exploiteurs, c’était le même refrain : il est temps de siffler la fin de la récréation ! La présidente du Medef, Laurence Parisot, assurait avec un bon sourire, comme si c’était une évidence, que la liberté de pensée s’arrêtait là où commencent les articles du Code du travail. Avant d’ajouter finement que si la vie et la santé sont précaires, pourquoi n’en irait-il pas de même du travail. Refrain repris très récemment par Serge Dassault, l’avionneur sinistrement réputé pour ses positions antisociales.
À tous les niveaux de l’action du pouvoir le plus réactionnaire que la France ait connu depuis la période 1940-1944, il y avait une unique volonté : ramener le pays à des décennies en arrière. Outre le rappel constant au passé chrétien de la France, les vieux démons revanchards reprenaient de la vigueur. C’était tout d’abord l’attaque frontale contre l’État laïque, dans le même temps que se développait cette célébration de la « méritocratie » chère à ce président de la République qui préfère se faire appeler « chef de l’État », comme Pétain.
Autre étape. Tandis que les statistiques du chômage ne faisaient que démontrer le champ de ruines provoqué par les délocalisations, il y avait la volonté d’en terminer rapidement avec les trente-cinq heures « qui ruinaient la France », il y avait l’instauration de la défiscalisation des heures supplémentaires ; avec cette explication paradoxale que le travail ne pouvait se partager. En arrière-plan, il y avait surtout le mépris de ceux que l’on incitait à se lever tôt. En clair, le culte du travail à la sauce Sarkozy s’apparente surtout à l’une des croisades du régime de Vichy : le retour à la terre. Dans notre France des riches, ou tout au moins de ceux dont l’unique ambition serait d’accéder à la richesse, l’unique réponse des détenteurs du pouvoir se réduit à la menace de la matraque.

Sous le signe de la répression
Si le nombre de policiers et de gendarmes était en diminution, il n’en va pas de même dans les faits. Peut-être voit-on moins les forces de l’ordre dans la rue – ce qui ne devrait pas nous chagriner outre mesure –, mais on retrouve ces excellents défenseurs de l’ordre public aux portillons du métro pour traquer d’éventuels sans-papiers. À chaque mouvement social, la réponse est policière et il suffit d’assister au déploiement des chevaliers de la trique et des grenades lacrymogènes lors d’une simple délégation devant un ministère. Si la Ve République, revue et corrigée depuis 2002, n’est pas encore un État policier au sens où il avait pu se développer dans les États totalitaires, elle en prend sinistrement le chemin. Ce à quoi nous assistons, c’est à cette volonté de créer une société policière où chaque citoyen aurait vocation à devenir le flic d’un autre.
Au XIXe siècle, on se méfiait des pauvres, dangereux pour les quartiers bourgeois. De nos jours, les nouveaux parias sont surtout représentés par les travailleurs immigrés, par ailleurs durement exploités. Ce qui n’empêche pas les princes qui nous gouvernent d’enfermer les plus visibles d’entre eux, en expliquant au bon peuple, en reprenant le discours raciste du Front national que le travail doit être prioritairement réservé aux bons Français de France. Il faut être juste : Nicolas Sarkozy n’a pas inventé les centres de rétention, et pas davantage les ministres de l’Intérieur qui se sont succédé depuis 2002. N’oublions pas que c’est un ministre de l’Intérieur socialiste qui en a été l’initiateur en 1992. Ses successeurs n’imaginaient peut-être pas l’extension de ces lieux où s’exprime la haine de l’étranger. Non, non, ce n’est pas plus de la xénophobie que du racisme militant. Il s’agit simplement de protéger les « nationaux » des hordes hallucinées qui viennent dévorer le pain des Français.
Nous ne pouvons nous empêcher de rappeler une déclaration cocasse du ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant, en 2001, à propos de ces centres de rétention qui ne devaient en rien être répressifs. Ce doux humaniste décrétait que ces mini-camps de concentration devaient bénéficier de « prestations de type hôtelier ». Surtout, ne pas ricaner, c’est inscrit dans les textes. Toujours est-il qu’en 2011, outre les milliers d’adultes, réprimés parce que sans papiers, de nombreux enfants sont passés par ces lieux de non-droit, sous le regard vigilant des policiers de la PAF.
La haine de l’étranger, il faut y revenir, est devenue la base de la politique d’un gouvernement où l’on trouve des rejetons de Hongrois, d’Arméniens et de Roumains (ceux-là doivent avoir beaucoup à se faire pardonner). Pour ces patriotes intransigeants, tous les dérapages sont possibles. C’est ainsi qu’à la mi-février 2012, il était fait cette suggestion sur le site internet de l’UMP : « Pour lutter plus efficacement contre les actes de délinquance commis par une frange de la population qui a fait de la violation de la loi pénale son habituel mode de vie, doit-on expulser les étrangers auteurs de tels faits ? » Bel amalgame ayant pour objectif de montrer leur chemin de Damas aux possibles électeurs de Marine Le Pen. Surtout, ne pas oublier que la France, jadis terre d’asile, est toujours, dans les textes, la République des droits de l’homme.

Bientôt, l’école sans Dieu sera peut-être stigmatisée
Nul n’a oublié le discours de Latran, en 2008, lorsque Nicolas Sarkozy, la main sur le cœur de Jésus, se faisait pédagogue lorsqu’il expliquait que, jamais l’enseignement de l’instituteur ne pourrait remplacer celui du prêtre ou du pasteur. Par la suite, en de nombreuses occasions, l’enfant de chœur démoniaque qui règne à l’Élysée ne s’est jamais privé d’apparaître en public, et en plein écran à la télévision, faisant le signe de croix avec la plus grande conviction. L’école laïque, quelles que soient ses insuffisances, représente toujours l’ennemi à abattre. D’où cette volonté de la détruire, en favorisant l’enseignement privé. Il y a d’abord eu la mise à mal de carte scolaire, permettant aux plus fortunés de choisir les « bons établissements » où les chères têtes blondes ne risqueront pas la promiscuité avec les garçons et filles de ces envahisseurs qui n’ont rien de commun avec notre culture.
Avec la RGPP (révision générale des politiques publiques) devait venir le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Ce qui, en quatre ans, a permis la destruction d’environ 60 000 emplois d’enseignants, alors que nos gouvernants se félicitent du fort taux de natalité atteint ces dernières années. D’où l’augmentation des effectifs dans les classes du primaire et du secondaire. Peu importe, susurre le ministre de l’Éducation nationale, directeur des ressources humaines dans une autre vie : « Il est possible de faire mieux avec moins ! » Cerise sur le gâteau, les ministres de l’Éducation nationale qui se sont succédé depuis 2002 se sont appliqués à limiter la formation des enseignants, avec la suppression des IUFM et la mise en place de stages pédagogiques rien moins qu’illusoires. De même pour le tutorat promis pour les jeunes professeurs n’ayant aucune expérience. La volonté de détruire l’enseignement public est évidente, tout comme paraît affirmé ce qui serait « la liberté de l’enseignement » avec, bien entendu, des filières réservées aux familles privilégiées. Déjà, l’université a tendance à devenir la parente pauvre de ces « grandes écoles » où la bonne droite cherche à recruter ses élites. Enfin, la recherche dont nos élites ne cessent de proclamer l’importance s’oriente surtout vers les intérêts des entreprises.

La stigmatisation des chômeurs
Nicolas Sarkozy, qui a toujours considéré la presse et les journalistes comme des empêcheurs de réprimer dans la discrétion, n’a pourtant pas hésité à occuper les écrans de télévision lorsqu’il le jugeait indispensable. De même, le 11 février, il se répandait en première page du Figaro Magazine pour nous confier la qualité de « ses valeurs ». Plutôt que d’évoquer la lutte contre le chômage, ou d’assurer le maintien du pouvoir d’achat, il agitait le bâton du gendarme. Menaçant les chômeurs, les accusant d’être budgétivores, montrant également d’un doigt vengeur les travailleurs immigrés, coupables de venir se nourrir du pain blanc des bons Français. À cette occasion, il évoquait la possibilité de mesurer, par la voie du référendum, l’opinion de ceux qui estimeraient nécessaire de faire travailler gratuitement les chômeurs, ou en faisant appel aux bas instincts des patriotes intégristes, désireux de poursuivre la purification ethnique. Plus généralement, il s’agit de stigmatiser ces feignants de chômeurs qui vivent benoîtement des revenus procurés par cet assistanat devenu une plaie de notre société de progrès.
Comme il ne suffit pas d’en rester à la répression, il est bien naturel de justifier ces années de politique rétrograde par des explications bassement philosophiques. Ainsi, le 4 février 2012, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, nous informait que « toutes les civilisations ne se valent pas » ; il était immédiatement approuvé par Nicolas Sarkozy, lequel estimait que c’était là des propos de « bon sens » 1. Dès lors, nous devrions être confortés dans cette fausse certitude de la supériorité de certaines civilisations sur d’autres. Claude Guéant aura beau expliquer, quelques jours plus tard, que ses propos ont été sortis de leur contexte, et déformés, il va de soi que le ministre de la police visait les Maghrébins vivant en France. Missionné par Nicolas Sarkozy, ce maître policier a lancé une polémique qui ne peut que laisser des traces dans une partie de la population supposée xénophobe et raciste. Les analystes tranquilles estiment justement qu’il s’agit surtout – comme en 2007 – de « rabattre les voix de l’électorat du Front national ». À ceci près qu’avec un Sarkozy qui révèle surtout sa véritable nature, le Front national peut devenir inutile. Surtout avec des comparses comme Claude Guéant en porte-drapeau…







1. Note de la rédaction : à propos de la « philosophie » minable de Nicolas Sarkozy, voir le livre pastiche Le Génie du sarkozysme. De l’absurdité des concepts dominants, établi et annoté par Pascal Charbonnat, éditions Matériologiques, 2011 (materiologiques.com). Livre dans lequel l’auteur examine les concepts suivants : le libre arbitre, le travail, la récompense, le châtiment, le résultat, le marché, la nation, l’état, la sécurité, Dieu.