Du droit aux vacances !

mis en ligne le 3 mai 2012
1671ColosVous n'êtes jamais parti en « colo » ? Moi, si. D’abord comme vacancier puis comme animateur. Tout comme le million d’enfants qui fréquentent chaque année ce type de séjour 1, que ce soit par choix, parce que les parents travaillent, ou par manque de revenus familiaux affectés à cet usage. Les aides versées par des mairies, des comités d’entreprises ou des organismes sociaux permettent que des enfants ne soient pas exclus de l’exercice de ce droit fondamental qu’est le droit aux loisirs. Et pourtant, malgré cela, chaque année, presque trois millions d’entre eux 2 sont privés de vacances 3. A-t-on gardé en mémoire l’époque pas si lointaine où elles n’étaient accessibles qu’à ceux qui avaient des revenus élevés ?
Depuis leur création au début du XXe siècle en passant par les années 1960, les colonies de vacances ont fait face à de nombreuses évolutions. Connaissant longtemps des conditions rudimentaires, elles ont bien souvent présenté l’unique possibilité de partir en vacances pour un grand nombre d’enfants. Un peu caricaturale cette image de marabouts plantés au bord de la mer ou à la campagne, où l’on faisait des colliers avec des graines de pastèque et où le fonctionnement était un peu rigide ? Les effectifs étaient chargés, les budgets restreints, l’encadrement souvent assuré par des enseignants. Et pourtant, les grands jeux, les veillées, les activités peu coûteuses, les copains, copines ont laissé des traces indélébiles dans la mémoire de nombreux colons. Puis la réglementation s’est durcie, les exigences de confort, de sécurité, de qualification de l’encadrement ont modifié profondément ce secteur, les séjours ont pu s’apparenter à des stages présentant des activités « high-tech » où le collectif cédait la place à l’individualisme et ce, jusqu’à faire disparaître une part de leur intérêt. À mesure que les coûts augmentaient, que les médias médiatisaient des problèmes, réels certes, mais très marginaux, la fréquentation diminuait. Et pourtant le secteur privé commercial est venu piétiner les platebandes des mouvements d’éducation populaire et confessionnels qui se partageaient le marché. Aujourd’hui, c’est l’existence même des colonies de vacances qui est remise en cause.
Les « colos » sont un projet social à caractère éducatif, elles pourraient être une mission de service public.
Au programme : solidarité, mixité sociale, « vivre ensemble » et bonheurs simples. En colo, on vit la découverte d’un environnement nouveau, d’activités peut-être inconnues jusque-là. On s’y fait des copains, on y construit des relations entre pairs de milieux et d’origines divers mais également avec différents adultes. On y gagne en autonomie, on s’y repose en retrouvant un rythme de vie plus adapté que pendant l’année, on se « cale les joues » et on bénéficie d’une alimentation équilibrée. Surtout, on y goûte au plaisir, on engrange des souvenirs – heureux le plus souvent. Lors de la rentrée, on pourra raconter, comme les autres, les vacances qu’on a passées en Ardèche ou à la mer. Certains élus financent ces séjours, constatant l’avantage qu’il y a à « vider » les cités pendant l’été.
Il ne s’agit pas d’idéaliser cette forme de vacances, mais les sondages montrent que parents et enfants plébiscitent les colos et que, majoritairement, quand ils y ont goûté, ils souhaitent y retourner 4. Ce qui explique que même si la tendance générale est à la baisse, la fréquentation des séjours se maintient de façon plutôt satisfaisante. Bien sûr, certains vacanciers ont pu ne pas les apprécier et ne plus vouloir y retourner, mais combien d’autres garderont en mémoire des images qui les accompagneront longtemps ? Et pourtant…
Depuis le temps que leur fin est annoncée, les colonies de vacances devraient cette fois bientôt connaître leur fin. En effet, en sacrifiant le contrat d’engagement volontaire sur l’autel des directives européennes, le 25 octobre dernier le Conseil d’État leur a donné le coup de grâce, aidé en cela par le soutien plus ou moins passif du gouvernement français, par l’intermédiaire de son ministre de l’Éducation, de la Jeunesse et de la Vie associative, Luc Chatel.
Le contrat d’engagement éducatif est une dérogation au droit du travail, motivée par son caractère d’engagement éducatif. Il doit être limité dans le temps (vacances) et utilisé pour les seuls animateurs et directeurs de séjours sous réserve que cet emploi ne soit pas leur principale source de revenus. Cuisiniers et personnels de service ne sont pas concernés par cette dérogation qui s’adresse le plus souvent à des étudiants et à des enseignants.
Les tâches confiées à ces jeunes adultes sont importantes en termes de responsabilité et d’amplitude horaire pour une rétribution modeste. Cependant, pour l’avoir vécu, je sais aussi les apports personnels que ces emplois procurent. Sans oublier le plaisir qu’il y a à se retrouver entre « anims », pour des soirées un peu potaches pendant lesquelles on n’oublie jamais l’obligation d’« assurer » le lendemain. Parce qu’on assure en colo, quand on est un jeune animateur. À la fois sur le plan éducatif et relationnel mais aussi sur le chapitre de la sécurité. Quoique les médias le laissent croire, il y a davantage d’accidents d’enfants durant les séjours en famille que pendant les séjours collectifs. Pas des vacances donc, pas non plus un « petit boulot », mais peut-être un peu mieux quelquefois.
On ne peut que condamner les organisateurs (associations comme mairies) qui n’ont pas respecté les conditions de la dérogation contractuelle, l’appliquant à des personnels qui auraient dû être salariés pour ne s’arrêter que sur les avantages financiers qu’elles pouvaient en tirer. Au passage, beaucoup de colos de curés avaient, elles, résolu le problème en n’embauchant que des bénévoles. Les rémunérations des animateurs sont modestes ; elles sont calculées sur la base d’un forfait de deux heures par jour (pour vingt-quatre de présence effective), six jours par semaine, un jour de congé hebdomadaire payé ou non ; pour compenser, les animateurs sont le plus souvent logés et nourris gratuitement pendant leur jour de congé. En 2011, le forfait minimum brut s’élevait pour un animateur à 19,16 euros par jour travaillé, bien que le plus souvent il soit versé entre 30 et 40 euros. Même en ajoutant des cotisations sociales (très faibles), il est possible de maintenir un prix de séjour limité et par là, d’en garantir l’accessibilité financière. Les syndicats ont combattu de longue date cette dérogation à la convention collective de l’animation. Toutefois, notons que si des comités d’entreprise sont eux-mêmes organisateurs de leurs propres colos ou qu’ils en achètent chez des prestataires, ils sont alors souvent moins regardants…
Les mouvements d’éducation populaire organisateurs de séjours réclament le maintien de ce statut financièrement avantageux. Il est inacceptable qu’ils n’aient pas milité en faveur d’une égalité de traitement entre animateurs « occasionnels » et animateurs professionnels. Face aux contraintes économiques, ils ont, comme toujours, préféré gérer l’urgence, en s’arc-boutant sur le maintien d’un contrat pénalisant les animateurs, quitte à s’étonner ensuite de leur désintérêt pour encadrer les séjours. Ils auraient pu revendiquer le versement d’une subvention calculée sur le nombre de journées par enfants réalisées afin de ne pas augmenter le coût des séjours et d’appliquer la convention collective de ce secteur sans dérogation. Les animateurs auraient ainsi pu être salariés et bénéficier de meilleures conditions d’emploi. Cela aurait pu contribuer à asseoir la légitimité du départ en séjour de vacances collectives pour les mineurs et sensibiliser davantage l’opinion publique à leur disparition.
L’abandon du contrat d’engagement éducatif entrainera l’alignement sur le droit du travail ; cela devrait augmenter de façon importante le prix des séjours : là où un animateur suffisait, il en faudra désormais deux ou trois. Aujourd’hui on peut se demander qui prendra la défense des colos. Les mouvements d’éducation populaire et les associations d’organisateurs de séjours pour enfants tentent de faire entendre leur voix ; modifieront-ils ce comportement détestable qui les rend timorés, qui les fait agir de façon désordonnée et en la jouant « perso » ?

La marchandisation des vacances pour enfants
Bien sûr, il existera toujours des séjours collectifs pour mineurs, sous une forme ou sous une autre. C’est le cas dans d’autres pays européens. Des entreprises privées vont sans doute en tirer profit. Un Club Med’Junior verra-t-il le jour ? Des vacances pour les riches. Quant aux autres… Paris-plage ou la « journée des oubliés ». Une certaine cohérence dans cette société. Les animateurs, eux, s’ils ont de la chance, auront droit à un « petit boulot » au supermarché du coin. Mais qui se battra pour maintenir et rendre effectif le droit aux vacances pour tous ? Qui veillera à la qualité éducative des séjours ainsi qu’aux respects des normes de sécurité et d’hygiène ? Le souci de rentabilité et de profit à court terme, risque de s’imposer au détriment des besoins des enfants et des ados.

François Lesueur





1. La terminologie officielle les nomme « séjours collectifs de vacances pour mineurs ».
2. Source : Jeunesse au plein air (JPA), confédération laïque d’organisateurs de vacances pour enfants.
3. Vacances = quatre nuits consécutives passées hors du domicile (définition de l’Insee). Il y a quelques années, la durée minimale prise en compte était de cinq nuits consécutives…
4. Source : Observatoire des vacances et des loisirs pour les enfants et les jeunes (OVLEJ).