Sacco et Vanzetti assassinés : retour sur un crime d’État

mis en ligne le 3 mai 2012
1671SaccoVanzettiL’affaire Sacco et Vanzetti, qui s’est ouverte sur le procès d’un crime d’État, a pris les proportions d’un grand procès mondial dans la lutte de classes. Les guerres, les événements politiques ont pu masquer les problèmes qui furent soulevés à l’époque mais l’assassinat des deux anarchistes italiens reste encore aujourd’hui le symbole, pour la classe laborieuse, de l’émancipation internationale des exploités et du courage anarchiste.
Afin de rendre hommage à nos deux camarades qui dorment à jamais au fond de nos coeurs et dont la pensée nous anime pour pousser ardemment nos efforts dans la
lutte pour l’anarchisme et essayer d’atténuer l’infamie perpétrée par les faux apôtres de la liberté que sont les gens de la télévision et du Parti communiste, nous rappellerons qui ont été Sacco et Vanzetti et dans quelles circonstances leurs vies de militants anarchistes ont été sacrifiées sur l’autel de l’intolérance et de l’injustice étatique.
Nous nous associons à Louisa Vanzetti dans son combat entrepris depuis des années pour la réhabilitation des deux compagnons anarchistes Bartholomeo Vanzetti et Nicola Sacco, bien que nous ne reconnaissions aucune justice étatique, et lui apportons notre soutien fraternel et moral.

Bartholomeo Vanzetti
« Sans nom dans la foule des sans-nom », ainsi s’est-il décrit dans l’autobiographie de vingt pages qu’il a rédigée dans la prison de Charlestown, Histoire d’une vie de prolétaire.
Bartolomeo est né en 1888 dans un petit village du Piémont, Villafalleto. Doué pour l’étude et d’une intelligence particulièrement éveillée, il aurait pu, selon ses professeurs, devenir enseignant ou même un savant. Son père, estimant que les études étaient trop coûteuses, préféra le placer comme apprenti pâtissier plutôt que de le laisser continuer à étudier. De place en place, besognant de ville en ville, il attrapa une pleurésie si grave que son père vint le chercher à Turin début 1907 pour le ramener à la maison. Les jours qu’il passa chez lui, soigné admirablement par sa mère, ont été, a-t-il écrit plus tard, les plus beaux de sa vie.
Mais ce bonheur fut éphémère, car sa mère, atteinte d’un cancer, devait mourir au bout de trois mois d’agonie. Vanzetti la soigna avec le même dévouement et la même
tendresse qu’elle avait eue pour le soigner. Il s’embarqua au Havre pour l’Amérique après avoir traversé la France à pied. De New York à Plymouth. Bartolomeo a trimé dur, errant de ville en ville, faisant tous les métiers au bas de l’échelle sociale.
Pour combler son manque d’instruction, il avait lu Darwin, Spencer, Hugo, Zola et Tolstoï, mais il était depuis longtemps convaincu que seule l’anarchie délivrerait l’humanité de ses chaînes et il étudiait les œuvres de Proudhon, Kropotkine et Malatesta, qu’il affectionnait particulièrement.
Tout d’abord employé à la compagnie de cordages de Plymouth, comme la plupart des Italiens immigrés, il ne reprit jamais son emploi après une longue grève de revendication salariale en 1916.
Un ami repartant pour l’Italie lui revendit sa charrette à bras et son fonds de commerce de poissons. C’est ainsi qu’il devint très connu et très aimé dans le quartier.
Pommettes saillantes, moustache tombante, l’ami des enfants, qui l’appelaient « Bart », effectuait tous les jours ses livraisons de poissons en poussant sa baladeuse dans ces rues très pauvres essentiellement peuplées d’Italiens et de Portugais.

Nicolas Sacco
Il était né en 1891 à Torremaggiore, d’une famille de dix-sept enfants. Comme pour Vanzetti, les années passées au village de son enfance furent les plus belles et les plus douces qu’il ait vécu. À 14 ans, il quittait l’école pour aller travailler aux champs. Avec son frère Sabino, ils rêvaient de voyages, de partir aux Amériques. Ils partirent un jour de 1908 et débarquèrent à Boston Est.
Nicolas avait 17 ans. Sabino ne supporta pas longtemps l’exil, la vie d’immigrant et, moins d’un an après, il repartait au pays. Nico persista. Il apprit un métier et devint spécialiste en fabrication de chaussures. En 1913, il adhéra au groupe anarchiste local Circolo di Studi Sociali et participa à l’organisation de meetings dans les villes voisines, distribua tracts et brochures, ouvrit des souscriptions pour les grévistes et accueillit Tresca et Galleani, révolutionnaires anarchistes très connus. En 1916, son groupe organisa un meeting à Milford dans le but de recueillir des fonds pour soutenir les grévistes d’une usine dans le Minnesota.
La préfecture n’ayant pas autorisé cette manifestation, les orateurs furent arrêtés et parmi eux, Sacco. Il fut condamné à une amende et c’est là la seule peine qu’il a encourue avant son arrestation dans le tramway de Brokton une certaine nuit de mai.

Le contexte social des années vingt
L’Amérique entrant dans le conflit de la Première Guerre mondiale, la propagande anarchiste consista essentiellement à déconseiller aux travailleurs de servir dans l’armée. La seule opposition à la guerre venait des IWW (Industrial Workers of the World) – les fameux Wobblies – et des anarchistes.
En 1919, l’Amérique bafoue le traité de paix, renvoie des immigrés tels qu’Emma Goldmann. Cette année-là est une année de violences. Deux jours avant le retour de Paris du président Wilson venu pour la conférence de la Paix, deux membres du cercle anarchiste espagnol Grupo pro Prensa, à Philadelphie, furent accusés d’avoir voulu attenter à la vie du président et arrêtés. Quelque temps plus tard, le maire de Seattle, qui combattait « le danger rouge », reçut une bombe dans un colis.
Le lendemain,Thomas Hardwick, ex-président de la Commission de l’immigration, reçut le même cadeau. On compta ainsi trente-sept paquets contenant des bombes destinées à diverses personnalités dont Olivier Wendell Holmes, président de la Cour suprême des États-Unis et l’avocat général Palmer.
Le 1er mai fut particulièrement violent : batailles de rues, meetings monstres, assassinats dans les manifestations ajoutèrent à la terreur populaire américaine.
Luigi Galleani, une figure très connue et estimée de l’anarchisme, fut condamné à la déportation pour la publication de sa célèbre Cronaco Soversica. Peu après, des bombes éclatèrent dans huit grandes villes. Le climat de violence, de terrorisme impulsé par les autorités et les éléments provocateurs indignait le peuple américain qui était hanté par les manœuvres étrangères.
Entre l’activiste anarchiste et le militant qui exerce sa propagande sur les lieux de son travail, dans son quartier, par la parole, son comportement, il y a tout un monde social et idéologique, mais pour beaucoup l’amalgame des deux en terroriste criminel était un excellent prétexte pour repousser les étrangers. Sacco et Vanzetti avaient la réputation d’être des idéalistes et non des hommes d’action. Cependant, contre les menées répressives et démesurées des autorités qui inculpaient et emprisonnaient tout ce qu’elles voyaient teinté de rouge, les anarchistes ne pouvaient rester silencieux et inactifs. Le 2 janvier 1920, 6 000 mandats d’arrêt étaient prêts pour les étrangers afin de les déporter. Des milliers de prisonniers défilaient dans les rues enchaînés.
Par les tracts, la littérature, les conférences, les grèves, les occupations, les anarchistes restaient en contact avec le prolétariat.
Le 15 avril 1920, le caissier et son garde de l’usine de chaussures de South Shore à South Braintee sont attaqués et les deux valises contenant la paye des ouvriers leur sont dérobées. Ils décéderont quelques heures après.
Le 5 mai 1920, dans un tramway de Brokton, on arrête deux usagers. Il s’agit de Sacco et Vanzetti. Ils sont armés. On leur dit qu’on les suspecte et que c’est pour cela qu’on les emprisonne. C’est la première fois qu’ils sont incarcérés. La seule charge qu’on retienne contre eux est le port d’armes prohibées. Ils plaident coupables par le biais d’un avocat nommé d’office, William Callahan. Le juge chargé de l’affaire décida de les retenir sans caution, en vertu d’un décret de temps de guerre qui autorisait la détention d’individus suspects de crimes. À partir de cet instant, l’infernale machine judiciaire est mise en route. À tout prix il fallait que ces deux-là endossent les crimes du hold-up du 15 avril.
Il fallait qu’ils soient italiens, que l’un soit petit et brun et que l’autre ait une moustache tombante. Sacco et Vanzetti devaient faire l’affaire… Elle dura sept ans.

Un crime d’État ?
Moins d’un an après l’arrestation des deux anarchistes italiens, tous les anarchistes latins immigrés en Amérique se mobilisèrent en comité de défense et de soutien, la libération de Sacco et de Vanzetti étant leur affaire. Dans ce pays où les idées subversives étaient traquées avec une fureur inquisitoriale, à travers le procès des deux militants anarchistes, c’était l’organisation et les idées libertaires qu’on cherchait à décimer.
Le but recherché n’échappait à personne : démontrer à l’opinion publique que les anarchistes n’étaient que des bandits et des criminels. Vanzetti fut jugé une première fois. On le condamna pour attaque à main armée à quinze ans de travaux forcés.
Cinq jours après cette condamnation, une bombe explose à Wall Street, tuant dix personnes. On impute ce crime tout naturellement aux anarchistes.
Le 28 septembre 1920, Sacco et Vanzetti comparaissent ensemble devant le tribunal, plaidant non-coupables, défendus par le célèbre avocat ouvriériste, Fred Moore. Le procès a duré des semaines. Les témoignages, les accusations, la haine implacable du juge Thayer, la fougue de Moore, la lâcheté des jurés ont fait de ces journées la bataille oratoire la plus infâme contre le mouvement ouvrier et contre la liberté d’opinion.
La condamnation à mort de Sacco et de Vanzetti a déclenché à travers le monde une véritable conscience de classe dans le prolétariat.
Dans toutes les grandes villes européennes, d’énormes et fracassantes manifestations ouvrières ont assiégé les ambassades. Pour les communistes et leur parti, Sacco et Vanzetti étaient des pions sur l’échiquier de la lutte des classes, symbole commode à exploiter pour que le sang des martyrs anarchistes soit un jour un fleuron pour le Parti communiste.
Il ne faut pas perdre de vue que si la chasse à l’anarchiste poussait les notables américains à des actes impardonnables de lâcheté, en Russie, sous les couleurs du communisme, c’était le nettoyage par le vide de tous les anarchistes et de leur système fédératif (Kronstadt, 1921). Pendant des mois, des années, on attend que le juge Thayer casse le jugement. Cinq motions lui sont présentées par Fred Moore. Toutes sont rejetées. Moore abandonne l’affaire sur la demande des deux inculpés.
En prison, Sacco et Vanzetti continuent ardemment de s’instruire, de lire. Vanzetti traduit Guerre et paix, écrit un livre, Événements et victimes. On ne comprend pas bien ce qui retenait la justice américaine devant l’exécution. Un an d’attente, de motions rejetées, de discussions avec le Commonwealth.
Des millions de dollars ont été recueillis par le Secours rouge dans tous les pays du monde pour faire échapper à la mort Sacco et Vanzetti. En fait, les deux martyrs leur servaient pour s’affirmer en Amérique en défenseur des opprimés et pour empocher la solidarité internationale. Ces fonds ont été détournés par ce secours du Parti communiste. Cela est si indigne que le Comité de défense de Sacco et Vanzetti imprima dans son bulletin : « Nous sommes absolument opposés à la collecte des fonds et à l’utilisation de cette cause en vue d’intérêts politiques et économiques. » Sacco et Vanzetti refusèrent de se laisser défendre et manipuler par l’Internationale communiste.
Un gangster du nom de Madeiros avoua, un jour, qu’il était, avec deux complices, l’auteur du hold-up de South Braintee, que Sacco et Vanzetti n’y étaient pour rien.
Thayer a refusé de reconsidérer l’affaire.
Il fallut faire monter le courant à 300 volts pour anéantir sur la chaise ces deux corps encore robustes qui criaient : « Vive l’anarchie ! »

Carmen
Revue Itinéraire