T'as voté ?

mis en ligne le 10 mai 2012
Quand un anarchiste rencontre un autre anarchiste, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des trucs bizarres, du genre :
– T’as voté ?
– Ouais.
– Pour qui ? (Glups !)
– J’ai failli voter Joly, parce qu’elle a eu le culot de flinguer le défilé du 14 juillet… et puis rendre hommage aux mutins de 1917, trop beau ! Mais je savais que ça allait s’acoquiner avec le PS, alors j’ai voté Poutou, comme ma chérie.
– Poutou ? ! Nous on a voté Front de gauche… J’pensais qu’il ferait plus, qu’il y aurait une dynamique plus forte…
– Eh ben moi, j’ai voté pour faire plaisir à un copain. Je lui disais que c’était des conneries, que ça n’a pas de sens, et pas de grande importance… « Fais-le pour moi », qu’il me dit. D’accord. Mais je vote pour qui alors ? « Mais c’est toi qui doit décider ! » (Et je sentais que de les mettre tous au même niveau, cela choquait sa morale ; il n’avait rien vu…) Bon alors, je vais voter pour Le Pen. « Argl ! T’es pas fou ! C’est pas possible ! Vaut mieux que tu n’y ailles pas ! » Bon, alors, pour qui ? (Aamusé ou énervé ?) Et c’est ainsi que j’ai voté Mélenchon.
Vous imaginez un sondage : « Pour qui votent les anarchistes ? »
Ou la Une : « Ils collent “Abstention” et votent “Tartempion” ! »
Je ne dénoncerai pas mes petits camarades (j’en suis), même sous la torture.
Mais ce témoignage passera à la postérité. Bien vite enterré, il resurgira un jour dans les mains d’un archiviste ou historien et je n’ose imaginer ce qu’il pensera à cet instant, et ce qu’il en déduira sur le mouvement libertaire français des années 2010.
On peut aussi ne pas attendre l’historien de 2054.
Quand même, la présidentielle est bien le pire moment qui soit. Et particulièrement le second tour. La négation de tout ce qui devrait animer une société dite « démocratique » d’individus responsables, autonomes et solidaires. Comment se reconnaître dans de (deux) telles médiocrités ? Comment militer, convaincre, exulter, s’agiter, se sacrifier pour ça ? Comment s’abandonner ainsi pour des personnages aussi calculateurs ? Sans doute parce qu’ils ne sont que la somme des petits calculs faits par tous ceux qui tentent de ne rien perdre, ou de ne pas perdre plus, ou de gagner un peu, ou de gagner beaucoup… Tels des ex-voto ou des poupées vaudou, chargés des haines, des espoirs, des intérêts mesquins, parfois collectifs, les présidentiables sont à l’image de la société dans laquelle nous vivons. Et nous en faisons partie, à défaut de parti.
Mais comme toujours, ces calculs se camouflent sous les apparences plus nobles de la lutte finale du Bien contre le Mal. À écouter les porte-parole et les seconds couteaux, c’est même l’Apocalypse ou le Jugement dernier qui nous attendent après l’élection… Faut dire que notre historien de 2054 saura que nous étions du bon côté de la Force, grâce à notre petit autocollant « Class War » : « Le capitalisme et l’état, abolir il faut. » J’ai du mal avec « abolir », même si « détruire » est synonyme. Abolir une loi ne me dérange pas, c’est vite fait. Une signature, un vote peuvent suffire. Il n’en sera pas de même pour le capitalisme et l’état…
Je broie du noir… ?
Quand un anarchiste rencontre un autre anarchiste, après le second tour…