La valeur du vrai travail militant

mis en ligne le 17 mai 2012
Elle n’en peut plus de l’assistanat. Alors elle a voté Sarkozy. Une bourgeoise qui paye sa femme de ménage des clopinettes ? Non. La femme de ménage. 900 euros par mois, les bons mois. Et qui se plaint, depuis des semaines, que, depuis qu’elle retravaille, on lui supprime des allocs et de l’APL. Incompréhensible ! Elle en tient une couche ! C’est un cas extrême ! C’est vrai. Et l’on se dit que celle ou celui qui vote Mélenchon pour faire pression sur le Parti socialiste est déjà un Machiavel en puissance… Seulement, ils sont des dizaines de millions de « cas extrêmes » à avoir voté, d’une façon ou d’une autre, contre leurs propres intérêts. Et lorsque me viennent à la bouche des phrases toutes faites, entendues et lues mille fois sur « les consciences qui s’éveillent » alors que je suis cerné de gens qui, au sens propre, ont peur de leur ombre, je me dis que je suis moi-même en total décalage avec la réalité. Et c’est bien à moi, militant, de remettre en cause mon travail, mes méthodes, mes arguments, mes postures.
Allons voir du côté de gens « cultivés », ayant la sécurité de l’emploi, fonctionnaires, donc encore aujourd’hui relativement protégés. Depuis des mois, Hollande a le vent en poupe, il se fait élire : ils peuvent espérer ne plus subir le jeu de massacre qui a cours dans l’Éducation nationale. Ils peuvent profiter du vent qui tourne pour résoudre des questions qui leur pourrissent la vie au quotidien. C’est peut-être illusoire, mais le calcul serait compréhensible. Donc ? Donc même pas, attendons de voir. Ce qui va nous arriver, par le haut. Impulser quelque chose par nous-mêmes ? Oups ! Cinq Monde libertaire gratuits posés en salle des profs, 60 qui passent, un seul qui prend : le militant PC. Il y a trente ans, mes profs étaient des « petits-bourgeois », (mais leur dire, c’était les insulter) avec un salaire de départ équivalant à deux smic, ils avaient vécu 1968, et avaient une conscience politique. Aujourd’hui, les profs démarrent à 1,2 fois le smic : des prolos ! Mais leur dire serait les insulter. Ils sont très souvent ignorants politiquement. Cela ne signifie pas que des révoltés n’existent pas, pour certains prêts à bouger, mais la sauce ne prend pas entre ceux qui posent des questions, cherchent des réponses collectives et qui apparaissent aux yeux des autres comme des poseurs de problèmes…
Quelque chose fait écran, l’image du militant, politique ou syndicaliste, la peur de se faire récupérer, et tout ce que l’on entend depuis des décennies ? Oui, mais pas seulement, car les « révoltés » ne sont pas forcément les militants. Pourquoi sans cesse trouver le moindre prétexte, le défaut chez le collègue, la différence minime montée en épingle pour justifier sa non-solidarité, excuser sa peur de l’engagement ? Nous payons des décennies de lavage de cerveaux au savon individualiste. Chacun pour sa pomme. Il faut donc prouver, dans les faits, dans le vécu, que, pratiquement, matériellement, en terme d’organisation mais aussi humainement, en terme de convivialité, de voisinage, d’émotions et de sentiments, le collectif est supérieur à l’individualisme. Cela peut exister sans lutte. Mais les luttes n’existeront pas sans cela.
Il manque quoi d’autre ?
Un minimum de sens politique qui permette d’évaluer les situations. C’est souvent le produit d’une expérience, vécue ou livresque. En découle une compréhension des rapports de force, ou plutôt la compréhension que, même menée sans rage ni hargne, la lutte existe, que la vie sociale actuelle est un rapport de force permanent. Qui ne se résout pas avec les élections. Qui nécessite un effort, un engagement personnel, ponctuel ou régulier. Un travail sur soi, un travail militant. Si je le dis ainsi, je fais fuir tout le monde : faut le faire vivre. Et le faire vivre hors des cercles militants, des collectifs et des réunions où l’on s’engueule, on s’asticote, bien au chaud dans nos jeux de rôles respectifs.
Tiens, voilà mes bonnes résolutions avec la nouvelle ère et le printemps qui commencent, sous François II : je vais reprendre mes pieds et aller dire bonjour, sans badge, sans journal, sans étiquette visible, dans des quartiers où je passe habituellement en voiture.
Pour écouter et parler peu. Tenter, me forcer à parler peu. Apprendre à laisser causer.