Les heures de gloire du syndicalisme révolutionnaire

mis en ligne le 24 mai 2012
Une revue et un livre font revivre les heures de gloire du syndicalisme révolutionnaire. La première explore différente dimension alors que le second porte sur un thème unique la maison des syndicats.
Le numéro de la revue Cahiers d’histoire coordonné par David Hamelin possède les avantages et les inconvénients des travaux de type universitaire. Elle fait le point de la recherche sur une question sans pour autant en faire le tour. Une certitude après la lecture de ce volume est qu’il reste du pain sur la planche, même si les sources sur ce sujet demeurent fragmentaires, souvent minces et éparpillées, pire ayant souvent disparu. En revanche, contrairement aux travaux universitaires traditionnels, la lecture en est plutôt aisée. David Hamelin présente l’ensemble des articles à travers une introduction. Il analyse la production historique publiée depuis un siècle sur les bourses du travail. Elles se sont constituées à la toute fin du XIXe siècle passant d’une bourse à Paris en 1887 à plis d’une centaine en 1913.
En schématisant, il est possible de résumer à quelques grandes tendances interprétatives l’histoire des bourses. La première est défendue depuis l’histoire de la Fédération des bourses du travail écrite par Fernand Pelloutier. Elle est d’abord un foyer de placement, qui sous le contrôle des travailleurs, se transforme en un outil de revendication et de lutte. La deuxième la considère comme un lieu pour les municipalités pour organiser localement le travail. Les bourses évoluant pour devenir un foyer de soutien des ouvriers qui élaborent des revendications en liaisons avec la municipalité. Enfin, la thèse reprise par certains universitaires issus du maoïsme présente les bourses comme un « appareil idéologique d’État », les bourses intégrant les travailleurs dans la société et les place au service de l’État.
L’un des principaux intérêts de ces articles est de montrer la complexité du phénomène et la conflictualité qui peut exister entre les tenants des différents aspects : bureaux de placement, mis en place des manifestations culturels, lieux de politisation et stratégie d’assimilation.
Le volume commence par un rappel. Les Bourses sont originellement fondées comme des agences de placement par l’économiste libéral belge Gustave de Molinari. Grâce aux innovations et aux progrès techniques, il espérait à rendre le salaire identique aux quatre coins de l’Europe. Les lois du marché étant différentes des espoirs du fondateur des bourses, les ouvriers ont refusé le principe proposé et dès lors les bourses sont devenus un centre de revendications ou en restant initialement aussi un bureau de placement.
Très vite la politisation des bourses entraîne des conflits entre le syndical et le politique. Sur cet aspect, les exemples sont nombreux. L’analyse de la Chambre syndicale ouvrière des ouvriers bouchers souligne les épisodes houleux des rapports entre syndicalisme et politique. à la foi lieu de placement pour les ouvriers bouchers et lieu d’élaboration des revendications salariales et enfin de diffusion du syndicalisme d’abord défendant la république puis très vite tiraillés entre les interprétations du syndicalisme avec même des paradoxes. Le responsable de la chambre syndicale des ouvriers bouchers, avec le soutien du maire de Levallois-Perret, alors cité ouvrière, et un ouvrier portant la parole révolutionnaire dans la corporation sans être boucher, demandant de ne pas interférer entre syndicalisme et politique. Parallèlement, David Rappe montre comment les bourses sont devenus l’expression de l’autonomie ouvrière contre les municipalités. Mais ce qui est vrai à Lyon ou à Saint-Étienne ne l’est pas forcément au niveau national et en tout cas dans d’autres régions.
En cheminant au fil des articles, il possible d’égrener les différents aspects. Ainsi, les initiatives culturelles sont présentées comme la propagande théâtrale à travers la bourse du travail aminoise – en fait, l’article évoque la totalité des bourses et pas seulement celle d’Amiens. Le théâtre a été un moyen de propagande, les bourses en ont eu plusieurs. Elles ont été particulièrement actives entre 1903 et 1914. Chaque troupe a représenté une vingtaine de pièces à la tonalité antimilitariste et révolutionnaire. Comme les municipalités cherchent à contrôler les représentations, les parades trouvées sont la vente de billets par l’intermédiaire des syndiqués voire même la carte syndicale pour assister au spectacle. À partir, de 1906, l’auteur constate un divorce entre la municipalité, l’équipe du théâtre et la bourse. Les libertaires quittent la troupe de la bourse pour parcourir le pays et connaissent un certain succès alors que la bourse d’Amiens fonde une autre troupe de théâtre, mais dont le succès est faible.
Hétérogène, le volume présente également une analyse de la bourse du travail de Saint-Brieuc qui a inspiré Louis Guilloux et son roman La Maison du peuple et par ailleurs une étude sur l’absence de mémoire des Bourses à travers l’exemple de la bourse du travail de Bastia, quasiment absente des principaux ouvrages mémoriels consacrées à la Corse. Mais cette remarque pourrait être étendue à la majeure partie du pays tant l’histoire syndicale est devenue un parent pauvre de l’histoire contemporaine.
S’il n’y avait pas eu le livre de Joël Biard et Danielle Tartakowsky, on peut penser que l’adresse 33, rue de la Grange-aux-Belles serait aussi devenue un presque non-lieu de mémoire, seuls quelques anarchistes s’y réunissant le 21 janvier pour commémorer l’assassinat, par le service d’ordre du PCF, de Nicolas Clos et Adrien Poncet, tombés sous les balles bolcheviques.
Le livre est intéressant à bien des égards. Il est néanmoins marqué par une lecture communiste de l’histoire. Ainsi à propos des événements du 21 janvier 1924, alors que la vérité est établie depuis longtemps, les auteurs écrivent que les responsabilités n’ont jamais été élucidées. Jamais… Au point que le communiste très orthodoxe Lucien Midol pointa la responsabilité d’un militant communiste, exclu depuis et que la commission d’enquête refusa de publier les résultats qui montrait clairement la responsabilité de Gabriel Ducœur alors secrétaire (communiste) de la Fédération des cheminots. De même, les Vergeat, Lepetit et Lefebvre ont disparu accidentellement en Mer du Nord, or personne n’a ce jour n’a réussi à montrer le caractère accidentel de leur disparition. Ces remarques effectuées, l’impasse Chausson dont l’adresse principale est le 33, rue de la Grange-aux-Belles a représenté pendant longtemps un des fleurons du mouvement syndical.
Le local a été acheté en grande partie avec l’argent de Robert Louzon – un docteur en droit et ingénieur des mines, riche héritier, qui a découvert le syndicalisme révolutionnaire, et qui devient l’une des plûmes de la Vie ouvrière puis de la Révolution prolétarienne – à la suite de la suspension des syndicats de la CGT de la Bourse du travail de Paris. Avec l’extension et le renforcement du mouvement syndical, la maison change vite de statut pour devenir la maison des syndicats de la région parisienne. Très vite l’organisme se développe. Elle est le lieu de toutes réunions et en particulier celle de la minorité de la CGT qui refuse l’Union sacrée. Immédiatement après la Première Guerre mondiale, l’Union des syndicats de la Seine se lance dans une politique d’achat massive de bâtiments avoisinants (Boulevard de la Villette sur les lieux de l’ancienne place du Combat devenue colonel Fabien) et dans d’autres arrondissements parisiens dans le quartier Plaisance du XIVe arrondissement. Ces lieux qu’évoquaient par exemple May Picqueray et Maurice Joyeux au détour d’une France dans leurs mémoires. En outre, l’Union des syndicats dote ses bâtiments de services sociaux : imprimerie, logement…
À partir de la fin 1922, la mainmise du Parti communiste sur le mouvement syndical unitaire est quasi complète et définitive, la rue de la Grange-aux-Belles devient un appendice des organisations communistes, les réunions les plus diverses, souvent sans lien avec le syndicalisme y ont lieu. Jusqu’en 1936, la maison des syndicats est un lieu où se fréquentent de manière quasi exclusive les militants communistes. La période 1936-1944 et les réunifications syndicales a pour effet de permettre aux anciens membres de la CGT d’accéder aux locaux de la Grange-aux-Belles – comme les unitaires entrent dans les locaux confédérés au 211 rue Lafayette. Partout les réunions se multiplient. Elle devient une période de postérité puisque les locations de salle permettent à Usorp de renflouer ses caisses, passablement vides. Il faut cependant que ce sont toujours et principalement les organisations paracommunistes qui obtiennent les locations : Rassemblement universel pour la paix, Brigades internationales. À partir du reflux de 1938, les subventions municipales diminuent. L’année suivante l’approbation par le PCF et d’une partie de la CGT du pacte germano soviétique entraîne la dissolution de nombres de syndicats. L’année suivante, la préfecture de police réquisitionne la Grange-aux-Belles.
À la Libération, les bâtiments sont passablement dégradés. Les militants réinvestissent les lieux. Signes des temps, les noms de salles changent : les anciens pionniers du syndicalisme (comme Pelloutier) sont remplacés par les martyrs communistes (Pierre Semard, René Le Gall, etc.). Mais, les locaux, constitués pour beaucoup d’usines désaffectées, ne correspondent plus au besoin. Une partie des bâtiments est cédée, alors que les autres sont remis en état et deviennent des salles à louer pour les réunions syndicales et celle du PCF. Les auteurs décrivant longuement la transformation administrative et statutaire du bâtiment. La grange aux belles a vécu, les centres d’attraction du syndicalisme se sont déplacés, bientôt les bâtiments de l’avenue Mathurin Moreau sont vendus au PCF et les lieux servent à construire la maison de verre du Parti.
Le 33, rue de la Grange-aux-Belles est vendu en 1989. Plus rien où presque ne rappelle cet objet d’histoire, excepté ce livre.

Sylvain Boulouque