Actualité de Béa Tristan : une voix porteuse d’un futur palpable

mis en ligne le 31 mai 2012
Béa Tristan : Avec mon tout premier CD Les Palissandres, j’ai fait ce que j’estimais être une lettre ouverte aux gens de ma famille. Le regard en arrière, le regard dans le rétroviseur. Après Les Palissandres je ne pensais pas faire un autre album : je pensais avoir décrit tout ce qu’il y avait dans le rétroviseur. Je ne pensais pas que j’allais parler un jour de la route qu’il y a devant le pare-brise… Entre 2007 et 2010 j’avais écrit d’autres chansons que j’avais expérimentées sur scène. D’autres étaient en écriture… En fait, j’ai recommencé parce qu’il existait véritablement une audience. Il y avait des retours… Et j’ai enregistré Mr Mecano.

Monde libertaire : Il émane de ce disque une chaleur humaine que l’on retrouve sur scène.

B. T. : Oui, l’album a été réalisé en direct. Chacun dans sa cabine, on s’entendait et on jouait ensemble, comme on joue sur scène aujourd’hui. Il y a une dynamique qui passe. Cette dynamique est portée par nos visions de routes. Ces routes, ces itinéraires de motos dont nous parlions tout le temps entre nous. En moto on est tous très solitaires. Il y a cette position de fragilité, de puissance aussi. Et ça, tous les trois on le partage dans un concept qui n’a rien à voir avec la musique. C’est quelque chose d’autre qu’on a en commun et qu’on apporte à la musique…

M.L. : Benoît Boulianne, Frédéric Louvent et toi-même avez un itinéraire très marqué. Un jour s’est produite la jonction…

B. T. : Oui, chacun de nous trois est un déraciné pour des raisons extrêmement diverses mais chacun vivait un déracinement personnel. Benoît Boulianne, originaire du Québec s’était fixé en France. Frédéric Louvet vivait une histoire : la perte de ses ascendants. Moi aussi. Qui dit déracinement dit nostalgie : on entre forcément dans un état d’esprit très particulier. Je pense à un titre comme Villa des marronniers. Fred, Benoît et moi-même avons restauré des maisons. Et qu’est-ce qu’une maison ? C’est ce qui abrite l’essence-même de la vie puisque c’est la famille… Donc on partage tout ça. C’est la réunion miraculeuse de trois personnes qui partageaient des éléments essentiels de sensibilité qu’on retrouve dans mes textes.

M.L. : Dans le climat musical aussi…

B. T. : Oui. Chacun a apporté sa nostalgie des paradis perdus, des paradis de l’enfance ; son désir de construction, de famille et de maison. Et toujours ce désir de ne pas mourir, de ne pas rester assis. Et, quels que soient nos problèmes, de rester debout, de foncer. C’est là que l’on retrouve la dynamique de la moto. Benoît et Fred ont apporté leur univers personnel. Toutes ces notions, dont je viens de parler, ils les avaient en eux et les ont tellement données dans la musique. Sans pudeur. Sans hystérie.

M.L. : C’est curieux parce que là, il me semble qu’il y a comme la notion de cercle, la notion d’une boucle qui se tient, notamment par vos trajectoires personnelles qui se sont rejointes, qui ont formé un cercle d’amitié. Ca transparaît dans l’album. Aussi bien dans la prise de son que dans l’identité graphique.

B. T. : Oui, il s’est passé quelque chose : il y a dans ce travail une grande coordination. Je voulais revenir sur la notion de cercle. Je regarde régulièrement un grand polar qui est Le Cercle rouge. Et quelque temps après avoir enregistré Mr Mecano, j’ai remarqué, pour la première fois de ma vie, qu’il y avait en exergue du film de Jean-Pierre Melville une citation de sagesse asiatique qui définit toutes sortes d’autres projets y compris la construction des familles. Cette citation dit, en substance, que des gens qui viennent d’horizons très éloignés les uns des autres peuvent, à un moment donné, être réunis à l’intérieur du cercle rouge. C’est ce qui s’est produit. Dans la vie il y a cette chose qui faisait que j’avais cette intuition. Que j’étais confiante…

M.L. : D’ailleurs tout le disque est traversé par le sentiment d’une grande confiance en la vie.

B. T. : Complètement. Je suis quelqu’un de, comment dire…, romantique ? Mais je suis toujours dans une dynamique. Cette chanson Conviction qui referme l’album, c’est quasiment mon testament à mes enfants et à toute femme ou tout homme qui se découragerait un tant soit peu […] C’est en quelque sorte la chanson pour enfants que je n’ai jamais écrite à mes enfants qui ont aujourd’hui respectivement trente et trente et un ans. Ils ont été tous deux très touchés […]

M.L. : Ton rapport à la scène ?

B. T. : Tout comme la phase d’enregistrement, le concert c’est très physique. Le but c’est de susciter une émotion et qu’ensuite il y ait une réflexion. Monter sur scène doit susciter une émotion physique. C’est sportif. J’ai cette impression que je vais chercher au milieu de l’épiderme, au niveau du plexus.

M.L. : On sent que sur scène tu te mets en danger. Il s’agit vraiment d’une prise de risques malgré la maîtrise dont tu fais preuve. On a l’impression que tu es dans la fragilité alors que tu connais ton chemin.

B. T. : C’est comme la moto. Je n’ai pas le droit de me tromper […] Ce sont des moments au cours desquels on ne peut plus rectifier la trajectoire, ni freiner, ni ralentir dans les virages. Et à partir du moment où on lance la chanson, où on lance la note, on sait qu’il va falloir assumer […]. Donc il n’existe qu’une seule solution : accélérer. Et dans un concert, c’est pareil : c’est la montée en puissance en maîtrisant l’équilibre. C’est pour ça que c’est si important de bosser avec deux musiciens qui sont passionnés de moto…

Propos recueillis en 2012 par Laurent Gharibian