Bob Dylan de passage à Paris

mis en ligne le 31 mai 2012
Excellente initiative de la Cité de la musique à Paris 1 qui, après l’expo Brassens de l’année dernière, nous propose cette fois-ci (du 6 mars au 15 juillet) : « Bob Dylan, l’explosion rock 1961-1966. » Autour d’une galerie livrant à nos regards une soixantaine de photographies (certaines connues d’autres moins…) de Dylan sur scène, en coulisses ou plus intimes, toutes datant de 1964-1965 et dues à Daniel Kramer, s’articule donc cette exposition. Comme l’intitulé ne le précise peut-être pas assez clairement, il s’agit non seulement d’une rétrospective de la carrière musicale de Dylan, mais aussi de ses influences et donc de la chanson contestataire américaine. Nous partons donc pour un voyage dans le passé, avec notamment la figure de proue de la protest song Woodie Guthrie (qui avait fait graver sur sa guitare « cette machine tue les fascistes ») ; c’est-à-dire la période qui a suivi la grande dépression de 1929, et où la chanson folk a été intimement liée au mouvement syndical (IWW entre autres) et protestataire du prolétariat américain. Cette période prendra fin avec la Seconde Guerre mondiale, au sortir de laquelle les États-Unis plongèrent dans la guerre froide avec l’URSS, et où le maccarthysme instaurera la « chasse aux rouges ». Comme pour d’autres activités artistiques (telles que le cinéma), la censure tentera de museler les auteurs et/ou interprètes de protest song taxés systématiquement d’être des « rats communistes », (Woody Guthrie et Pete Seeger auront à en subir les tracasseries administratives et judiciaires).
Il faudra attendre la fin des années cinquante pour assister à un regain de popularité de ce genre musical, non pas chez les ouvriers, mais plutôt sur les campus des universités, donc chez une jeunesse étudiante qui prend fait et cause pour le Mouvement des droits civiques (pour l’égalité entre Noirs et Blancs) et contre la guerre au Vietnam (les États-Unis ont pris le relais après le départ des Français en 1954). C’est la reprise du flambeau contestataire par de jeunes chanteurs, dont les nouvelles figures de proue sont Bob Dylan et Joan Baez (entre autres).
Dylan va publier en 1961 un premier disque ne comprenant pratiquement que des reprises de chansons traditionnelles, mais où figurent également deux compositions originales, dont l’une situe clairement une de ses influences qu’il revendique : Song to Woody. L’hommage est explicite. Mais c’est le second album qui va le projeter sur le devant de la scène (The Freewheelin’Bob Dylan), et en faire le chef de file incontesté de la chanson folk, avec des titres contestaires au succès immédiat comme : « Blowin’in the wind », « Masters of War », « With God on our side », « The Times they are a-changin’ », etc.
Puis arrive ce fameux festival folk de Newport de 1965, où Dylan se pointe sur scène avec une formation électrique et provoque incompréhension et indignation des folkeux purs et durs : les temps changent mais les amateurs de folk ne sont pas encore tout à fait prêts pour ce premier virage de Dylan (il y en aura bien d’autres par la suite…) À partir de là, les textes sont peut-être moins directement des messages politiques (quoique…), mais plus des textes introspectifs et d’une force poétique jamais démentie : Mr. Tambourine Man ou Like a Rolling Stone ce dernier titre sortant en single d’une durée de six minutes et rompant (trois ans avant le « Hey Jude » des Beatles) avec le format de 3 minutes imposé par les stations radio pour fourguer leurs annonces publicitaires, de même qu’il sortira en 1966 Blonde on Blonde le premier double album (deux ans avant toujours les Beatles et leur Double Blanc). Avec l’électrification de sa guitare, Dylan abandonne le folk pour un certain rock (folk rock diront certains), mais n’oublions pas que ses influences étaient multiples (blues, country) il était d’ailleurs passé à ses tout débuts en première partie d’un concert de John Lee Hooker.
La carrière musicale de Bob Dylan continue à ce jour, plus d’un demi siècle après ses débuts, mais l’exposition se concentre sur sa première période (1961-1966) qu’il traverse comme un météorite jusqu’à une première interruption suite à son accident de moto. Cinq années où il publie sept albums et nous livre des textes d’une actualité jamais démentie (« Quand on a rien, on n’a rien à perdre. ») Ce sont certains de ces textes que vous pouvez lire (et écouter) durant cette exposition qui nous rappelle que la chanson peut être une arme et que le rythme de la musique peut ne pas être un obstacle à l’intelligence des paroles.
Juste pour la route, je ne résiste pas au plaisir de rappeler ces quelques lignes extraites de Masters of War (1963, période acoustique) que tout anarchiste peut reprendre et adresser aux marchands d’armes :
« Vous les maîtres de la guerre
Qui fabriquez toutes ces armes
Construisez les avions de la mort
Et fabriquez ces grosses bombes
Qui vous cachez derrière les murs
À l’abri derrière vos bureaux…
Je crois que vous constaterez
Quand l’heure de votre mort sonnera
Que tout le fric que vous avez amassé
Ne pourra jamais racheter votre âme…
Et j’espère que vous mourrez
Et que votre mort est pour bientôt
Je suivrai votre corbillard
Dans la pâleur du jour
Et je regarderai quand on vous descendra
Sur votre lit de mort
Et je me tiendrai debout au-dessus de votre tombe
Jusqu’à ce que je sois sûr que vous soyez bien morts. »





1. Cité de la musique : 221, avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris.