Attention ! Livre grave

mis en ligne le 7 juin 2012
Pour l’humour : on se contentera de la couverture, avec cercueil en citations vertes, que notre ami le cinéaste Jean Rollin et ses vampires auraient appréciés.
Pour le reste : soit quand même près de deux cents pages, une anthologie des pensées les plus remarquables, non pas tant sur la mort que sur la fin de vie. Des textes rares ou que l’on redécouvre, des résumés de films, des auteurs connus et moins connus, pour lesquels on trouvera des notes biographiques particulièrement bien troussées en fin de volume, y voisinent avec les anonymes, les témoignages bruts de membres de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), d’amis de Jean Guilhot, le neuropsychiatre humaniste disparu en novembre 2010, à l’origine de ce livre.
D’un côté la distance que permet l’écriture, la pensée, la poésie, de l’autre la réalité rugueuse comme a dit Rimbaud, la souffrance, la peine. Les témoignages directs sont de loin les plus terribles. Ils dénoncent l’acharnement thérapeutique, le pouvoir des médecins capables de maintenir dans un corps vide ou souffrant, la moindre étincelle de vie au mépris des dernières volontés d’un malade ou des proches qui assistent à la fin inéluctable. Un corps sans esprit, réduit à la simple fonction de machine à survivre.
Il est dit dans ce livre qu’on pique les chiens et les chats pour abréger leurs souffrances, mais qu’on laisse la douleur et la peine accompagner les hommes et les femmes jusqu’au dernier souffle. Sur quoi l’on pourrait tristement ajouter : si les animaux domestiques meurent, les hommes pour la plupart crèvent. Romain Gary avait une expression très belle pour parler de cette chose bien moche : « Mourir jusqu’au bout. » Le contraire même du mot de Zarathoustra : « Meurs à temps ! »
À mesure qu’on avance dans la lecture, on comprend que ce livre est d’abord une formidable déclaration d’amour à la vie, car enfin, tout dans la mort digne, la mort choisie, la bonne mort, le refus de se voir décliner, de se voir déchoir, de devenir un poids pour ses propres enfants, de finir dans un mouroir, tout nous appelle à jouir considérablement de la vie, et citant Sénèque on dira : « Ce qui est un bien, ce n’est pas de vivre mais de vivre bien. Voilà pourquoi le sage vivra autant qu’il le doit, non pas autant qu’il le peut. » J’oserai dire qu’on se sépare d’À chacun sa propre mort, non pas le cœur léger mais pour le moins serein, voilà un livre qui vous console de cette maladie mortelle qu’est la vie, un bréviaire à portée de tous.

Thierry Guilabert