Victoires des travailleurs ?

mis en ligne le 21 juin 2012
Goodyear
La direction de Goodyear vient d’annoncer l’abandon du plan de licenciements sur son site d’Amiens. Après cinq années de luttes contre les divers plans de restructuration et de licenciements, cette annonce représente une victoire (« historique », dixit la CGT).
Le plan « social », invalidé à plusieurs reprises par la justice, prévoyait de mettre un terme à la production de pneus de tourisme à l’usine d’Amiens-Nord et de céder la production de pneus pour engins agricoles au groupe Titan. Ce plan représentait la suppression de 817 emplois sur les 1 300 du site.
Il n’y aura donc pas de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) sur le site et c’est un bien. Sauf que la direction veut lancer un plan de départ volontaire (PDV), ce qui n’est plus du même tonneau. Un PSE représente un coût élevé pour une entreprise, ainsi qu’une atteinte à son image. Un PDV la joue plus « démocratique », plus libérale, et ne coûte quasiment rien (une prime de départ est moins importante dans ce cas). Certes, les salariés ne sont plus obligés de partir, seuls les décidés (ou ceux qu’on harcèlera pour les forcer) le feront, et la direction s’est engagée à poursuivre l’activité même si aucun salarié ne veut partir. Les salariés ont obtenus de pouvoir garder leurs emplois s’ils le veulent, ça fait toute la différence avec un PSE qui les aurait lourdés…
Devant des salariés qui ont montré leur combativité, Goodyear a donc revu sa stratégie et compte sur une érosion des effectifs qui se fera sur la durée, car il n’est pas prévu d’embaucher pour remplacer les partants. Il s’agit donc d’une demi-victoire.
Les entreprises qui réduisent leurs effectifs ont, d’ailleurs, de moins en moins recours aux licenciements économiques, privilégiant plans de départs volontaires, licenciements par consentement…
Reste que les salariés sont toujours fortement déterminés et qu’après cinq ans de lutte quasi-exemplaire, ils n’ont pas envie de se faire « enfariner ».

Pétroplus
Le jour où je dois terminer cet article (14 juin) se tient un rassemblement devant la raffinerie Pétroplus de Grand-Couronne (76). Un rassemblement pour saluer le redémarrage des unités.
Depuis janvier, les salariés de la raffinerie ont multipliés les actions pour maintenir l’activité. Ils ont été très soutenus par les salariés et militants syndicalistes de la région – cette usine faisant partie intégrante du paysage social local. L’arrêt de Pétroplus représente 550 emplois directs supprimés et autant d’emplois de sous-traitants. C’est aussi la mort plus ou moins rapide de Petit et Grand-Couronne, les deux villes alentours qui vivent à travers les activités liées à la raffinerie. En même temps, c’est l’ambiguïté de la chose, la raffinerie représente un gros facteur de pollution : les sols sont gorgés d’hydrocarbures, dépassant largement le périmètre de l’usine, sans parler des rejets gazeux.
La dépollution du site s’élèverait à 160 millions d’euros, ce que la Shell, propriétaire historique pendant près de cinquante ans, refuse de payer. Les riches multinationales ont toujours fait en sorte de faire payer la facture par un autre en ne fermant jamais directement une usine. Elles laissent ce soin soit à un repreneur qui n’aura pas les reins assez solides pour payer, soit de faire payer par les pouvoirs publics. C’est donc ce qui finit par se passer la plupart du temps. Pour Pétroplus, la facture dépollution lors de la fermeture semble empêcher toute reprise. D’autre part, la stratégie des trusts pétroliers est de fermer un certain nombre de raffineries en Europe (trop vieilles pour la plupart) au profit de raffineries implantées dans les pays producteurs de pétrole, plus neuves, plus performantes, socialement moins coûteuses et moins contraintes au niveau environnemental. Tant pis si le carburant arrive plus cher chez les consommateurs européens, ce n’est pas le problème d’Exxon, Total, BP et consorts.
Des repreneurs, aux dires de l’intersyndicale, semblent quand même intéressés mais, entre ceux qui veulent se faire du fric en touchant les primes de l’État et ceux qui veulent le marché sans la boîte, la marge est faible.
Donc, ce 14 juin, devant les grilles de Pétroplus, l’intersyndicale tenait un meeting où les intervenants faisaient des discours fleuves, pour se féliciter du redémarrage en cours. Celui-ci a lieu parce que pendant la campagne présidentielle, Sarkozy et Besson ont demandé de l’aide à la Shell pour reculer les échéances. Il se trouve que pour redémarrer une raffinerie, il faut effectuer des travaux de maintenance (surtout que le matériel est très vieillissant) qui ont reculé le démarrage après les élections.
Après avoir récupéré les contenus des immenses réservoirs de carburants (en partie pour rembourser les créanciers de Pétroplus, mais aussi pour financer le futur plan de suppression d’emplois qui ne manquera pas d’avoir lieu, même s’il y a une reprise d’activité), la Shell a mis un peu la main au portefeuille pour que les unités redémarrent pour un contrat exceptionnel. Ce qui est le cas aujourd’hui. Sauf qu’il était question de six mois de production et que ce n’est plus à l’ordre du jour. Peut-être que l’usine fonctionnera un mois, trois mois…
Il n’y a que les salariés de Pétroplus pour croire en la continuité du site. Ce n’est pas facile de critiquer des copains qui risquent de perdre leurs emplois et surtout leurs salaires, et de passer pour un donneur de leçon, mais ce conflit a été bizarre. Une délégation de pouvoir qui a fait de deux leaders CGT les seuls véritables décisionnaires en termes d’actions. Que les actions ont été surtout médiatiques et politiciennes et qu’au fil des mois les propos étaient Front de gauche et ne remettaient pas les pétroliers en cause (et encore moins la Shell, présentée comme le bon patron).
Au bout de près de deux heures de discours tenus majoritairement par les deux syndicalistes, les 300 personnes rassemblées sont parties. Les odeurs de merguez se sont trouvées remplacées par celles des hydrocarbures pendant que de gros et lourds panaches de fumée s’élevaient dans le ciel.