Les 30 ans du groupe Pierre-Besnard

mis en ligne le 21 juin 2012
1678GroupeBesnardCe samedi 9 et ce dimanche 10 juin 2012, la ville de Unverre 1 n’en revenait pas : cinquante anarchistes occupaient la salle des fêtes dans une commune de 1 000 habitants. Il n’y en a pas un sur cent et pourtant ils existent ! Ils et elles étaient cinq fois plus nombreux que ce qu’en dit la chanson de Léo Ferré. En effet, le groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste fêtait ses 30 ans avec ses amis. Le groupe fut créé en septembre 1981 par sept militants franciliens issus de l’Alliance syndicaliste (regroupement de militants syndicaux de la CGT, de la CFDT et de FO) et de la CNT sise Tour d’Auvergne, dans une période où les protagonistes rejoignaient l’organisation la plus importante du mouvement libertaire et, de surcroit, synthésiste. Mais ce n’est qu’en 1982 que les cinq militants et les deux militantes furent admis au sein de l’organisation fédérale. Une période probatoire fut imposée pour justifier leur demande d’adhésion en groupe et non pas en tant qu’individus. Qui plus est, se revendiquant de Pierre Besnard, célèbre militant anarcho-syndicaliste !

Qui était Pierre Besnard ?
Besnard Pierre, Eugène (d’après Jean Maitron). Né le 8 octobre 1886 à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), mort le 19 février 1947 à Bagnolet (Seine), incinéré le 24 février au Columbarium du Père-Lachaise, urne n° 10759. Employé des chemins de fer. Militant anarcho-syndicaliste. Fondateur de la CGT-SR.
Le 1er mars 1909, Pierre Besnard entra aux chemins de fer de l’État à Chinon (Maine-et-Loire) comme facteur auxiliaire puis nommé facteur-chef à la gare d’Auteuil-Boulogne. Le 25 septembre 1912, il épousa Thérèse Marie Eugénie Montreuil, née le 4 mai 1892 à Oissel (Seine-Inférieure). Le 14 mai 1920, Pierre Besnard fut révoqué des chemins de fer pour fait de grève en février-mars puis en mai. Il était, depuis le 4 mai, secrétaire intérimaire de la commission permanente du bureau mixte des syndicats parisiens de cheminots, et principal dirigeant du mouvement pour la région parisienne. Il était également membre de la Fédération nationale des cheminots. Il habitait alors 14, rue Henri-Monnier à Paris IXe arrondissement, puis, à partir du 1er juillet 1921, 22, rue Popincourt, à Paris XIe.
Le 1er juillet 1920, il entra comme taxateur à la Compagnie piémontaise de transports, 17, rue du Mail, à Paris. Étant demeuré après sa révocation militant cheminot, il fut délégué le 19 août au congrès du réseau de l’État, Rive gauche, qui se tint les 21 et 22, au 33, rue de la Grange-aux-Belles. Toutefois, deux mois plus tard, le 21 octobre, estimant qu’il n’était plus cheminot, il donna sa démission de ses fonctions de secrétaire du bureau mixte. En septembre, il s’était déclaré par lettre adressée au juge d’instruction solidaire de ses camarades cheminots inculpés de « complot contre la sûreté intérieure de l’État ».
Le 20 mai 1921, Besnard remplaçait Monatte comme secrétaire général du comité central des Comités syndicalistes révolutionnaires (CSR), principale force d’opposition au sein de la CGT dirigée par Jouhaux. Depuis février, Besnard était signataire du « Pacte », société secrète de type bakouninien qui le liait à quelques-uns de ses amis anarcho-syndicalistes. En juillet, à la veille du congrès de Lille, Besnard démissionna de ses fonctions de secrétaire général pour devenir secrétaire adjoint, désirant ainsi se libérer pour un rôle national – on s’acheminait vers la scission – et international au sein de l’Internationale syndicaliste révolutionnaire (ISR) à la veille d’être créée (juillet 1921).
Au congrès de la minorité de la CGT qui se tint à Paris du 22 au 24 décembre 1921, après que deux courants se furent manifestés, l’un conduit par Besnard-Monmousseau favorable à la rupture immédiate, le second dirigé par Monatte conseillant la prudence, une motion votée à l’unanimité réclama la tenue d’un congrès extraordinaire au cours du premier trimestre 1922, les convocations devant être lancées avant le 31 janvier. La CGT ayant refusé, la scission était consommée. Au cours d’un des congrès qui vont se succéder, le deuxième congrès extraordinaire de la Seine par exemple, tenu le 9 avril 1922, Besnard précisera ainsi sa conception du rôle des groupements syndicaux : l’union locale « est, pour la localité, ce que la CGT est à l’ensemble du pays, ce que l’union régionale est pour la région – c’est-à-dire l’expression complète du fédéralisme pour la localité. Elle est non seulement la cellule qui a charge d’organiser la production, mais aussi la répartition de cette production. Elle est plus que cela. Elle est l’organe de législation. Et cela nous conduit vers le syndicalisme complet qui, dans la révolution complète, nous permettra de suffire à tout ». Avec Toti et Lecoin, de même orientation que lui, Besnard fut délégué à la Conférence syndicale révolutionnaire internationale qui se tint à Berlin du 16 au 19 juin 1922. Lorsque le 25 juin s’ouvrit à Saint-Étienne le 1er congrès de la CGTU, la scission était un fait mais cette CGTU, dont Besnard et ses amis avaient pu penser pouvoir prendre tout naturellement la direction, leur échappa. L’opposition était loin d’être unie et Saint-Étienne vit la défaite de ceux qui, anarcho-syndicalistes et anarchistes, en avaient pris la tête depuis le 20 mai 1921. Besnard, associé aux anarchistes groupés derrière Lecoin et Colomer, fut défait par 399 voix contre 848. Ils se retireront peu à peu et, sans attendre, Besnard créera un Comité de défense syndicaliste (CDS) dont il sera le secrétaire général (Le Libertaire, 14 juillet 1922).
Il abandonna le CDS le 1er juin 1923, en même temps qu’il se retirait du bureau exécutif de l’ISR. C’est alors, fin décembre 1923-début 1924, qu’il songea à « faire ouvrir la porte à l’unité par la CGT » et écrivit une lettre en ce sens à Théo Argence,le 3 février 1924, en même temps qu’il songeait à « la réalisation de l’unité internationale sur le dos de Moscou ». Cette stratégie, quelque peu utopique, ayant échoué, Besnard s’efforça de regrouper les opposants à la CGTU dans une Union fédérative des syndicats autonomes et il en deviendra le secrétaire général lors de la conférence de Saint-Ouen, le 1er juillet 1925. Dans La Voix du travail, bulletin mensuel de l’AIT qui deviendra bulletin mensuel de la CGT-SR qu’il dirige et dont le premier numéro parut en août 1926, Pierre Besnard publia une série d’articles dans lesquels il préconisait « le groupement de tous les syndicats autonomes », article signé au nom de l’UFSA (Union fédérative des syndicats autonomes) par les secrétaires Huart et Besnard, la trésorière Planteline, le trésorier adjoint Saroléa, l’archiviste. Ils se prononçaient pour une troisième CGT, les deux autres CGT étant « devenues organisme gouvernemental » et la CGTU ayant « piétiné le syndicalisme » et fait faillite.
Les 13 et 14 novembre se tint à Lyon le congrès de la Fédération autonome du bâtiment sous l’égide de l’Union syndicale autonome dont Fourcade était le secrétaire. Par cinquante-deux voix contre trois et deux abstentions, elle décida pour les 15 et 16 novembre la tenue du congrès constitutif de la CGT-SR qui donnera son adhésion à l’Internationale syndicaliste révolutionnaire de Berlin (anarcho-syndicaliste). Une attitude réservée sera observée par les congrès anarchistes et c’est ainsi qu’à celui de l’Union anarchiste de 1930, deux groupes sur vingt-deux seront favorables à la nouvelle confédération – que certains, par dérision, dénommaient la CGT-SR, CGT Sans Rien. À partir de 1929, Besnard fut le secrétaire de la nouvelle Confédération qui groupera en juillet 1939 quatre mille membres et disposera d’un journal, Le Combat syndicaliste, fondé en 1928, tirant à 5 300 à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Au moment de la guerre d’Espagne, Besnard participa à la création des Comités anarchistes syndicalistes pour la défense du prolétariat espagnol et il fut choisi comme secrétaire de la conférence de ces comités qui se réunit les 24 et 25 octobre 1936. Durant la Seconde Guerre mondiale, il se réfugia dans le Midi.
Après la libération, Pierre Besnard fut vice-président de la Confédération générale pacifiste créée les 9 et 16 décembre 1945, dont Louvet était secrétaire général. Il mourut quatorze mois plus tard. Depuis 1928, il vivait avec Lucie Job, née le 15 août 1889 à Paris VIe, veuve Margerie et ex-compagne de Pecastaing.
Sur la page de garde de son ouvrage 2 Le Monde nouveau, Pierre Besnard a lui-même résumé sa doctrine dans ces mots : « Toute l’économie aux syndicats ! Toute l’administration sociale aux communes ! »

Héritage
Depuis lors, les compagnons et compagnes du groupe Pierre-Besnard militent dans le XIXe arrondissement de Paris et s’investissent notamment dans la propagande des idées anarchistes via Le Monde libertaire et Radio libertaire, œuvrant pour la coordination des militants anarcho-syndicalistes, la solidarité internationale (avec les Kanaks, les syndicalistes de Solidarnosc, les mineurs britanniques en lutte, les syndicats « libres » de l’ex-URSS, avec les peuples sans terre, ou les populations en lutte contre les effets de la dette ou contre la barbarie et le despotisme, etc.), mais aussi sur les terrains de l’éducation libertaire, du féminisme – en développant l’anarcha-féminisme –, de la lutte contre l’ordre moral, de l’anticléricalisme, de l’antiracisme, de l’antifascisme, de l’antimilitarisme. À ce jour, ils, elles ont animé et/ou animent encore des émissions comme « Chroniques syndicales » (depuis 1981), « Blues en liberté », « Femmes libres », « La Santé dans tous ses états », « Contre courbe », « Ni dieu ni maître queux », « Goloss Trouda », « De la pente du carmel, la vue est magnifique », ou participent à des émissions telles que « Chroniques rebelles ». Les mêmes thèmes sont développés dans Le Monde libertaire ou dans des ouvrages et des brochures.
Le groupe a toujours su aussi prendre ses responsabilités au sein de la Fédération anarchiste à divers postes, comme le secrétariat général, la trésorerie fédérale, le secrétariat de Radio libertaire, le comité de rédaction du Monde libertaire, les Relations internationales. Aujourd’hui, il prépare les Rencontres internationales de l’anarchisme de Saint-Imier avec l’ensemble du comité d’organisation.
Et ce sont toutes ses activités qui ont permis la pérennité du groupe et la dynamique de relations avec d’autres groupes fédérés. Aussi, pour les 30 ans, de nombreux amis et amies ont signalé leur chaleureux salut à la vaillance des réflexions portées vers l’extérieur. Certains étaient présents, qu’ils soient fédérés ou sympathisants, comme des compagnons des groupes Le raffut, Kropotkine, Poulaille, Gaston-Leval, qu’ils viennent d’Oléron, de Saint-Malo, de Nantes, de l’Aisne, ou de la région d’Ile-de-France ; d’autres, au fil des trente années passées, ne sont plus de ce monde, comme Jacky Toublet ou Léa Grisard, mais le souvenir des actions menées ensemble supplante la tristesse de leur absence. Et c’est en chansons et musiques, Unverre à la main, qu’ils et elles ont oublié la pluie incessante avec un concert inédit des Chanteurs livreurs puis se sont réfugiés à la Commune libre de la Grange Aubel pour partager l’amitié et préparer l’avenir 3.

Hélène, cofondatrice du groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste







1. Unverre est une commune d’Eure-et-Loir (Centre).
2. Œuvres :
- Le Monde nouveau, édition CGT-SR.
- L’Éthique du syndicalisme, édition CGT-SR, 1938.
- Les Syndicats ouvriers et la révolution sociale, Paris, 1930, réédité en 1978 par les Éditions Le Monde nouveau.
- Collaboration à L’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure.
3. La Grange Aubel fait référence d’une part au nom du chanteur des Chanteurs livreurs et d’autre part fait résonance avec la rue de la Grange-aux-Belles à Paris Xe, où des incidents violents eurent lieu le 11 janvier 1924 au 33 de cette même rue. Ce jour-là, une centaine de libertaires sont venus porter la contradiction lors d’une réunion de la CGTU. Le service d’ordre bolchevique tire sur les libertaires et abat deux d’entre eux, Nicolas Clos et Adrien Poncet.