Déclaration de la Fédération anarchiste du Mexique

mis en ligne le 12 juillet 2012
Il est indéniable que l’on voit la silhouette d’un fantôme indompté et toujours enragé survolant les barricades du passé et coulant dans les veines des pauvres qui lancent les révoltes actuelles. On ne peut que constater la naissance douloureuse d’un mouvement anarchiste mexicain qui sans le savoir, ici et maintenant, se développe de façon turbulente et avec des contradictions subtiles qui lui permettent de revitaliser sa forme indomptée, et de renforcer l’idée, la pensée et la pratique révolutionnaires, qui de manière naturelle sont toujours présentes dans le subconscient du peuple mexicain. Sa forme obscure demeure toujours indéniable, irrévocable ; sa progression est discontinue avec des propositions multiples et divergentes ; mais toujours là. Toujours latent, il ne désespère pas, ne chancelle pas et ne renonce jamais ; les yeux rouge et noir et l’âme sombre, il fond sa noirceur libertaire dans la vapeur du peuple, toujours prêt à rompre le silence assourdissant de l’ordre et du progrès imposé par l’État, le clergé, le capital et l’autorité.
Anarchistes ! L’inquiétude règne sur le monde ; la crise économique, politique et sociale qui frappe différents peuples d’Europe, d’Amérique et du monde, rend évidente la débâcle d’un modèle politique et économique appliqué aussi bien par des gouvernements de droite ou de « gauche ». Un système économique et politique qui fonde son existence sur la peur, la terreur, la panique, la désespérance et la mort.
Un tel système n’a pu cacher qu’une crise économique voit le jour dans différentes régions du monde et se propage partout ; ceci nous amène à penser que ce système capitaliste, non seulement entre dans une phase de détérioration, mais qu’il abîme rapidement la vie et la dignité des personnes. L’anarchiste russo-américain Alexander Berkman avait déjà signalé la surproduction comme étant un problème en cas de faible consommation : le capitalisme empêche pour de larges couches de la population la satisfaction de leurs besoins vitaux, frappant ainsi ses propres marchés. Cette surproduction est poussée par la recherche du profit, le contrôle des marchés (géopolitique) et de la vie quotidienne des consommateurs qui en principe sont aussi des producteurs. Ainsi la technologie du pouvoir a cimenté sa domination économique et étatique d’un savoir positiviste, où les soi-disant ordre et progrès se transforment en idées mercenaires de domination subreptice, mises en application par les gouvernements de droite et de « gauche » contre le bien-être des peuples, reconfigurant ainsi les bases de la domination et de l’exploitation. Les changements opérés par ce système de domination sont issus de la constante innovation technologique qui modifie non seulement le système de production, mais aussi la domination sur les travailleurs. Cette reconfiguration du monde du travail et de la vie sociale a provoqué par intermittence des mouvements sociaux comme ceux des Indignés de Madrid ou des Occupy Wall Street qui, indépendamment des sympathies ou désaccords, nous permettent d’observer la reconfiguration de la résistance sociale, où le militantisme va de la vie quotidienne à la vie sociale jusqu’à reproduire un monde virtuel.
Au Mexique ce système a enclenché un mécanisme de contrôle sauvage, qui va de la répression virtuelle à la réelle ; où l’on invente des guerres fictives, le démantèlement de symbolismes virtuels, et où se crée même un système virtuel de « volonté » électorale « partidocratique » dans lequel sont attribués contrôle et pouvoir, pour permettre à la géographie du pouvoir, ou aux zones de pouvoir, comme les définirait Bakounine, de renforcer leur legs de mort chez les pauvres du Mexique. Actuellement, le peuple mexicain subit une politique criminelle et sanguinaire qui s’attaque non seulement à ses droits et libertés les plus élémentaires (alimentation, logement, santé), mais qui de plus réprime de manière brutale les opposants, comme le démontrent les assassinats des représentants indigènes des États d’Oaxaca, de Guerrero et de Veracruz pour ne citer que ces quelques cas. Et que dire de la politique de miniguerre appliquée par l’élite politique contre un monstre sans tête nommé narcotrafic, dont les « dommages collatéraux » affectent la société.
Ainsi, au seuil du XXIe siècle, le mouvement anarchiste mexicain s’est renouvelé au milieu de tensions sociales grâce à un peuple mexicain qui est chaque fois plus près de partir à l’assaut du ciel : les révoltes d’Oaxaca et d’Atenco ont démontré que les peuples n’ont plus d’autre voie que la barricade ; le soulèvement des mineurs de Sicartsa, la lutte de ceux de Cananea, de San Xavier nous montrent que la culture servile et courtisane du mouvement ouvrier est sur le point de disparaître, la résistance des habitants de Cherán (Michoacán) contre les narcotrafiquants, les paramilitaires et les policiers fédéraux, la résistance des indigènes des États de Guerrero, de Veracruz et de nombreux peuples du Mexique sont la preuve que la marmite va exploser. Pour autant, une telle situation nous fait réfléchir sur la maxime bakouniniste selon laquelle l’idéal révolutionnaire anarchiste va au peuple, c’est-à-dire que les anarchistes cheminent au côté de ces résistances pour engendrer la finalité anarchiste qui nous donnera le ton, afin que non seulement l’anarchisme se joigne aux forces de résistance, mais devienne aussi partie intégrante d’un mouvement aux positions révolutionnaires, en finissant avec les organisations traditionnelles, et s’orientant résolument vers le communisme libertaire.
C’est dans ce contexte où le mouvement anarchiste mexicain voit couler dans ses veines un sang nouveau que nous avons l’opportunité, avec notre renaissance, de déborder l’ordre bourgeois au moyen de l’organisation anarchiste fédérée. Compte tenu de cela, en novembre 2011, la Fédération (anarchiste mexicaine) a organisé à Teotihuacán (État de Mexico) une rencontre des groupes et individus fédérés pour définir l’orientation rouge et noire, et déterminer les structures anarchistes permettant à ce vaisseau de naviguer. C’est ainsi que s’est décidée à l’unanimité la création de la Fédération comprenant des sections à Tijuana, Sonora, Durango, Morelia, district fédéral et État de Mexico. Dans ce but, compagnons et compagnes, nous lançons un appel à rejoindre ce projet révolutionnaire de la Fédération anarchiste du Mexique, qui a pour but d’occuper chaque espace des géographies du pouvoir ; qui puisse blesser et abattre ce monstre infernal qui gouverne en condamnant à mort les pauvres de ce pays. Une Fédération qui avance en tenant par la main la fraternité, l’égalité, la solidarité et la liberté qui nous mèneront vers la révolution sociale et le communisme libertaire.
Compagnes et compagnons, notre grande tâche à nous, anarchistes, est de continuer la marche rebelle et anti-autoritaire d’une culture révolutionnaire qui s’est logée dans le cœur des pauvres du Mexique, et qui depuis le XIXe siècle est indomptée. Une culture anti-autoritaire toujours proche de la souffrance du peuple, mais fatalement toujours proche aussi des assauts violents menés contre l’ordre bourgeois.
Compagnes et compagnons, les puissants ont fait sonner le clairon de la guerre et le gouvernement de la mort a commencé à s’en prendre à la vie des pauvres. Il nous faut, nous anarchistes, brandir le poing de la liberté qui abattra le gouvernement de la mort.
Le moment est venu de nous organiser, de nous battre pour une révolution sociale et de l’étendre à tout le pays, jusqu’à ce que la vie devienne joie, fraternité et égalité.

Mexico, district fédéral, janvier 2012
(Traduit par Ramón Pino.)