À la redécouverte de l’« ami anar »

mis en ligne le 4 octobre 2012
1683AmilaLes romans, policiers ou noirs, publiés sous le pseudo de (John) Jean Amila ont longtemps éclipsé ceux publiés sous son vrai nom, Jean Meckert. Seul était disponible le plus connu, Les Coups.
Mais, depuis quelques années, ces œuvres « blanches » ont fait l’objet de rééditions – et même d’éditions inédites – chez Joelle Losfeld, alors que la majorité de ses Séries noires ne sont disponibles que d’occasion 2.
L’éditeur Joseph K., connu notamment pour ses études sur le roman policier et sa superbe revue Temps noirs – dont le dernier numéro (n°15, juin 2012) est justement consacré à Jean Amila –, continue sur cette lancée en publiant cette année deux inédits de Jean Meckert.

Un texte à part, mais important
Jean Meckert n’a jamais réussi a publier ce texte de son vivant. Comme un écho errant, Gallimard, son éditeur depuis 1941 3, le refuse, et ce malgré le soutien de Roger Grenier. Trop à cheval entre littérature et document.
C’est pourtant un texte important, éclairant l’œuvre et la personnalité de son auteur, un peu comme Ma part d’ombre pour James Ellroy 4.
Ce livre aborde la façon dont Jean Meckert s’est reconstruit après les événements qui l’ont conduit à se retrouver à la Salpêtrière, épileptique et amnésique. On a attribué son état à une agression dont il aurait été victime de la part de barbouzes, lui faisant payer ainsi ses multiples critiques de l’État français et de ses services secrets contenues dans plusieurs romans et notamment le fameux La Vierge et le Taureau 5.
Cette thèse, contestée par plusieurs biographes, est celle défendue à plusieurs reprises et parfois avec véhémence par Jean Meckert dans ce texte.
« Plus rien ! Aucune image, aucun souvenir ! Pas davantage au Japon, en Californie, en cette Polynésie qui lui avait valu d’avoir été corrigé jusqu’à ce que cette petite mort s’ensuive. » (Pages 23-24.)
Son titre, Comme un écho errant, fait référence à la difficile reconstruction de son passé perdu, expression qu’il utilise également – et ce n’est pas innocent pour lui – pour qualifier l’état de sa vieille mère malade.
« C’était “comme un écho errant” auquel il manquait des parois pour se réverbérer. Exactement l’impression qu’il avait bien plus tard dans ses recherches des années perdues… Bip ! bip ! sans réponse, comme un radar ouvert sur une éternité indifférente. » (Page 105.)
Ce livre trouve donc son premier intérêt dans la façon dont il décrit avec franchise les différentes étapes de ce difficile et lent retour à la vie.
Si le dialogue avec la neurologue de l’hôpital contribue à ce processus, c’est surtout sa sœur Augusta qui, par son aide, ses échanges et même – et surtout – ses oppositions, contribue à cette renaissance.

Une vie et une œuvre reconstituées
C’est donc par morceaux, « anarchiquement », au gré de ses réminiscences, de ses affrontements avec sa très conformiste sœur Augusta, de ses promenades, qu’il va, devant nous, recréer sa vie et son œuvre.
Ainsi, Augusta conteste sa remise en cause des essais nucléaires dans la très coloniale Tahiti, qui sert de cadre à La Vierge et le Taureau, comme elle l’avait également fait pour sa remise en cause, plus ancienne (1964), du consensus patriotique autour du débarquement allié contenu dans La Lune d’Omaha.
Cette opposition concerne aussi sa famille et en particulier son père, présumé fusillé lors des fameuses mutineries de 1917. C’est en tout cas ce qu’a toujours affirmé son entourage, et en particulier sa mère. Elle le revendique avec fierté et refuse, avec grande violence, tout autre version, notamment lors d’une altercation avec sa fille Augusta (pages 168-169).
C’est, de fait, une légende familiale, dont il n’a la preuve qu’après la mort d’Augusta et vraisemblablement après l’écriture du Boucher des Hurlus, qui constitue d’ailleurs l’origine d’une dispute avec sa sœur.
Ce roman est incontournable dans l’œuvre de Jean Amila-Meckert. Il constitue, d’une certaine façon, l’aboutissement du travail de reconstitution de son enfance mené et raconté dans Comme un écho errant, puisqu’il consacre de nombreuses lignes à son séjour de trois ou quatre ans dans un orphelinat protestant suite à l’internement de sa mère.
Celle ci n’a pas supporté le départ de son mari avec sa maîtresse à la fin de la guerre et préfère jusqu’à sa mort le déclarer fusillé pour l’exemple en 1917.
Jean Amila-Meckert fait sienne cette version dans ses différentes biographies et il la transcende dans ce superbe roman noir où un jeune orphelin va venger son père fusillé pour l’exemple et dont les passages dans l’orphelinat sont directement inspirés de sa propre expérience.
Il est également important, car il marque à sa façon le lien Meckert-Amila en étant un roman prolétarien caché dans un roman noir et/ou un roman noir à fort accent prolétarien.
Enfin, sorti en Série noire, il semble illustrer la difficulté qu’a Jean Meckert à publier en dehors de cette collection après le refus de plusieurs manuscrits non policiers dont certains (Mademoiselle des Tourelles) sont évoqués dans Comme un écho errant (page 63).
C’est comme s’il ne pouvait affirmer son anarchisme, son antimilitarisme qu’à travers le roman noir. Mais cet anarchisme, il l’affirme ici avec force.

Un anarchisme viscéral et affirmé
Dans ce texte, Jean Meckert affirme son anarchisme avec conviction et à plusieurs reprises par des références familiales et personnelles, historiques et actuelles.
Parlant de l’anarchisme transmis à sa mère par son père et ses « petits anars de Noisy-le-Sec », il écrit : « Il lui avait appris qu’elle n’avait pas à s’écraser devant ses patrons, que le drapeau n’était que torchon médaillé, les hymnes nationaux des borborygmes de poivrots, et qu’il ne fallait pas se priver de crier : “Crois !, Crois !, Crois !” Devant le pape et ses corbeaux. » (Page 133.)
Et d’affirmer un anarchisme viscéral, notamment : « Si, il avait parlé de fraternité et se disait vieil anar, à défaut de trouver les bons mots. C’était ça, et ce ne l’était pas. C’était un constat élémentaire, pas un idéal. C’était un sentiment qu’on vivait à plein et qui devenait rapidement séditieux parce qu’il s’élevait justement contre les rassembleurs de brebis bêlantes, contre les pipeurs de suffrages, contres les grandes gueules enfarinées. On ne pouvait pas enseigner la fraternité, on la ressentait en directe en ses profondeurs. » (Page 125.)
Et il inscrit cet anarchisme dans l’histoire en accordant plusieurs lignes à la Commune lors d’une promenade à Belleville : « La ville était maintenant définitivement muselée, devenue veille cocotte, aux mains des politiques et militaires, ces loyaux garants de toute souveraineté, toujours aptes à se couvrir de gloire en matant l’insupportable civelo comme, à plus d’un siècle, cette même armée d’ordre moral s’était vengée d’une capitulation en flinguant par tombereaux les Communards. Défense nationale ? Il suffisait de savoir pour qui et contre quoi. » Et de se replacer dans l’actualité en relativisant l’indignation suscitée par l’assassinat du général Audran par Action directe : « Ce trafiquant officiel n’a eu que ce qu’il méritait. Bien que j’aie malheureusement la conviction que ça ne sert à rien. On l’a certainement remplacé dans la minute. » (Pages 166-167.) Sans oublier son allusion à la répression en Kanaky.
On ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec les dérives réactionnaires d’un Léo Malet (mal) vieillissant. Y a pas photo !
Le texte relativement court mais très dense aborde de nombreux autres aspects de la vie reconstituée de Jean Meckert, notamment ses différents moments de galère, sa séparation d’avec sa femme et son fils 6, et vous prendrez un grand plaisir à vous plonger dans les méandres de cette renaissance au style enjoué et prenant.

Mouton noir








1. Une des versions expliquant son pseudo est que Jean Meckert ayant proposé à Marcel Duhamel, directeur de la Série noire, « John Amilanar » pour faire espagnol et par référence politique, celui-là l’aurait réduit en « John Amila ».
2. Si vous allez voir l’exposition à la Bilipo, rue du Cardinal-Lemoine, vous pourrez en profiter pour aller à la librairie L’Amour du noir, plus bas, au 11 de la rue, où vous trouverez la plupart des polars de John/Jean Amila épuisés que vous n’avez pas lus. Pour les titres encore édités, il y a bien sûr la Librairie du Monde libertaire, au 145, rue Amelot, Paris XIe.
3. Après la publication en série de romans populaires sous différents pseudonymes, principalement aux éditions SEN, Gallimard devient, à partir de 1946, son seul éditeur de son vivant, à l’exception de l’épisode malheureux de La Vierge et le Taureau en 1971, publié aux Presses de la Cité.
4. Dans ce texte très fort, l’auteur de polars américains abordait, notamment, l’assassinat de sa mère qui avait des similitudes avec la fameuse Dahlia noir, sujet d’un de ses plus grands romans et offrant ainsi une nouvelle vision de son œuvre.
5. Dans ce roman, Jean Meckert dénonçait les essais nucléaires à Tahiti et le système néocolonial, policier et militaire mis en place pour y faire taire toute contestation. La suite fait discussion et Jean Meckert en aurait lui-même donné plusieurs versions : insuccès éditorial ou censure volontaire, les deux thèses s’opposent encore aujourd’hui, tout comme celles concernant les causes de son séjour à l’hôpital. La revue 813 n°93, de juin 2005, à la page 9 du dossier « Amila/Meckert l’homme révolté » en faisait le bilan.
6. On notera à cette occasion le rôle de son fils Laurent dans les différentes rééditions, publications de dossier, prêts de documents pour l’exposition à la Bilipo.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


11453Chini

le 28 octobre 2013
Bonjour à toutes et à tous, et merci à Mouton Noir.

J'ai eu l'occasion, grâce un kiosquier Anar, de découvrir Jean Amila,
il y a de cela environ trente ans, et d'être conseillé pour de nombreux romans.

Je retiens de ces lectures, trois joyaux que j'ai réussi à dénicher - à un prix d'or - et surtout à conserver ! chez un spécialiste du Polar.
Ce dernier était très connu à Bordeaux - .

Ces trois romans sont édités sans La Noire.

Le premier : Jusqu'à plus soif, n° 713,

Le suivant ; La Lune d'Omaha, 839, - Un militaire - déserteur - rencontre dans un cimetière militaire sa propre tombe...

Et le dernier : Le grillon enragé ! 1970, n°1334.

Je ne sais pas si ces ouvrages ont été réédités. Tout ce que je peux dire, c'est que Jean Amila possède une très belle écriture, rapide, tout en rondeurs, et percutante...

Salutations Fraternelles