C’est fichu, sauf si…

mis en ligne le 15 novembre 2012
1687BuildingLa crise s’aggrave rapidement : les banques ibères sont dans le rouge (il leur faudrait 53 milliards, dont les 23 réclamés par Bankia récemment nationalisée) à la suite des défections des emprunteurs immobiliers ruinés par l’austérité et la chute des prix de vente des logements. La Grèce est encore en plus mauvais état que prévu et demande un sursis de deux ans pour se mettre au carré exigé par l’UE, le FMI, la BCE et Merkozy. Les Gibbies sont en récession accentuée malgré la dévaluation de la livre sterling et les prêts de leur Banque centrale au gouvernement. La BCE a prêté 1 000 milliards sur trois ans à 1 % (donc taux réel négatif à cause de l’inflation à plus de 2 % dans la zone euro) aux banques privées européennes qui ainsi se refont des fonds et pourtant ne se prêtent plus entre elles ni à l’industrie. Ces banques préfèrent prêter à 6 % notamment à l’Italie ou à l’Espagne. Faute de demande, les industries n’investissent plus, craignant un matraquage fiscal ou le chômage, les ménages épargnent de plus en plus, notamment en Grande-Bretagne où l’inflation a grimpé à 4,5 %.
De plus en plus, le défaut de la Grèce sur sa dette devient probable. Cela coûterait entre 50 et 65 milliards à la France et 80 à la BCE et au FESF (Fonds européen de solidarité financière). Certaines banques engagées en Grèce (Crédit agricole notamment) accentueraient leurs pertes. Le plus grave est que ce défaut de paiement risquerait d’emporter l’euro. En effet, les spéculateurs s’en donneraient à cœur joie contre les maillons faibles : Espagne, Italie, France, et les taux d’intérêt des emprunts publics monteraient en flèche (la France pourrait passer de 3 % pour ses emprunts sur dix ans à 6 % et ensuite de plus en plus).
La raison cachée, bien que principale, de la crise est que les pays européens, sauf l’Allemagne, ont laissé péricliter leur industrie. Par exemple, la France, qui avait encore plus de 20 % d’industrie dans son PIB il y a dix ans, est descendue à 10 % en novembre. Du coup les déficits du commerce extérieur sont venus aggraver la dette, laquelle ne cessait d’augmenter car le pays se finançait à crédit depuis trente ans. Les gouvernements successifs payaient la protection sociale et le déficit du budget en empruntant en liaison avec l’accroissement des déficits budgétaires. En arrière-pensée, ils se disaient que le jour où la fête serait finie ils pourraient alors sabrer dans les dépenses publiques et saborder les entreprises publiques, la protection sociale, le droit du travail « trop rigide et complexe ». Et cela au nom du fameux Tina (There is no alternative) de Mme Thatcher. L’idée était de pouvoir alors tout refiler au privé et de mettre la compétitivité du pays aux normes libérales, c’est-à-dire celles de la concurrence sauvage et du moins-disant en tous domaines : écologie, salaires, protection sociale, fiscalité, droit social et syndical. Le Tina est une formulation de ce que les économistes distingués (par leurs confrères libéraux, tout le monde s’autocongratulant dans la propulsion du libéralisme) appellent « la contrainte extérieure ». Celle-ci a été organisée par la mise en place du tout-marché mondial et de la libre circulation des capitaux afin que la concurrence entre pays force à l’abaissement généralisé des coûts de production et des droits du travail. Au profit, si j’ose dire, de qui ? Des multinationales hyperproductives ayant besoin d’étendre leurs marchés pour faire des économies d’échelle et d’abaisser leurs coûts de production pour être plus compétitives que la concurrence. Des financiers qui pouvaient prêter aux États moyennant de grosses commissions pour placer les emprunts et toucher des intérêts, qui pouvaient spéculer en fonction des occasions de rentabilité, qui pouvaient ordonnancer les fusions-acquisitions moyennant la rémunération de leurs services. Des capitalistes et rentiers (États pétroliers, profits des multinationales, rentes des riches ne payant plus d’impôts) débordant de capitaux et cherchant à les placer de façon sûre et juteuse. Les fonds de pension à l’américaine voulant placer l’argent économisé par les futurs retraités ; ces fonds, devant payer les retraites, réclamaient du 15 % de rendement car 5 % étaient imposés par les frais de gestion, 5 % par les commissions et la rémunération des organes financiers de placement, 5 % pour servir les retraites ; pour ce faire ils sont entrés en masse dans le capital des multinationales et, devenus ainsi gros actionnaires, ils ont exigé de « la valeur pour l’actionnaire » (dividendes et plus-values sur les actions par eux détenues). Ce qui a poussé les dirigeants des multinationales à renforcer leur stratégie décrite plus haut pour augmenter la capitalisation boursière de leur boîte (valeur des actions à la Bourse). Des politicards qui empruntaient pour pas cher reportaient aux calendes grecques les problèmes de déficit et de dette et comptaient se servir de la faillite de l’État pour imposer l’austérité et le capitalisme pur et dur.
La conséquence de cette forme de capitalisme a été la destruction des industries nationales et, donc, le chômage structurel, la flexibilité et la précarité du travail (temps partiel, CDD, intérim, multiplication des mauvais statuts de l’emploi), la baisse des salaires, la mise en danger de la protection sociale, les inégalités de revenu et de patrimoine, la pauvreté de beaucoup. Solution politicarde et financière pour redonner du pouvoir d’achat ? Le crédit à tout va, genre subprimes et cartes bancaires revolving. Et l’achat à l’étranger de camelote low cost pour faire baisser les prix (mais sans répercuter toute la baisse sur les consommateurs afin d’augmenter les marges). Résultat : une illusion de maintien du pouvoir d’achat et un endettement privé massif jusqu’à ce que les emprunteurs ne puissent plus rembourser leurs crédits. Le pompon était détenu par les prêts immobiliers à taux variable fourgués aux plus pauvres des Américains et « titrisés » ou transformés en « produits structurés » par les banques. On a vu ce que cela a donné en 2008 et on voit ce que cela produit en Espagne maintenant.
Au passage, l’industrie a donc été abandonnée au profit des multinationales, de la finance et de la technocratie. Cela a pris de multiples formes comme la délocalisation extérieure et la sous-traitance interne (ou externe), le dégraissage, le LBO, etc. Or la production manufacturière est le fer de lance de la valeur ajoutée d’un pays au plan interne des industries produisant pour le marché national ou vers l’extérieur pour les firmes exportatrices. C’est elle qui donne le la de la recherche et de l’innovation, de même que des commandes aux fournisseurs. C’est pourquoi le fait qu’elles aient externalisé leurs activités internes de service (ménage, logistique, comptabilité, études informatiques, etc.) a augmenté le PIB des services et diminué d’autant celui de l’industrie. Avec une différence notable : les services internes contribuaient à la valeur ajoutée industrielle ; une fois externalisés, ils la diminuent car ils sont devenus des charges ou des intrants à déduire de celle-là. La valeur ajoutée exportée (par l’industrie, par les services, par les prestations financières, par le tourisme, par les produits culturels), moins celle importée comme intrants dans le PIB (matières premières, composants, sous-produits et, évidemment, tout le reste des importations), donne le solde de la balance extérieure. Comme on l’a vu, s’il est négatif il s’ensuit un flux équivalent et de sens inverse de monnaie importée (emprunts publics et dettes privées). Cela conduit normalement à une dévaluation de la monnaie pour rétablir l’équilibre. Sauf qu’avec l’euro le pays ne le peut pas pour le plus grand plaisir des dirigeants allemands qui y exportent tout en refusant de combler son déficit extérieur, lequel aggrave celui du budget.
Ce n’est pas le plus grave. Il faut bien voir que le solde de la valeur ajoutée (notamment l’industrielle) est en même temps la source du revenu national, lequel est ventilé entre différents acteurs socio-économiques. Il y a la part salariale (en baisse de 7 à 10 points suivant les auteurs et les dates de référence), la part du capital, celle de l’État et des collectivités locales via les impôts et les cotisations sociales, celle des prédations de la finance via les taux d’intérêt, les grosses commissions et la facturation excessive de services indus. Si la valeur ajoutée différentielle (le solde extérieur) acquise par le pays diminue, alors la lutte des classes s’accentue, sachant que le capital, la banque, le pouvoir et son administration feront tout pour conserver le montant absolu de leur part même si la taille du gâteau diminue. Ce que les puissants visent, c’est de faire porter sur le salariat et la population tout l’effort résultant de la perte de valeur ajoutée ou d’une insuffisance de la croissance pour payer les prestations sociales et les services publics. Il en résulte une insuffisance de la demande.
Car il faut aussi bien percevoir que c’est la valeur ajoutée, en quelque sorte primaire ou première, de l’industrie et de l’exportation en tout genre qui donne le revenu affectable à de la consommation de valeur ajoutée secondaire. Je m’explique : la somme dépensée au cinéma, ou chez le coiffeur ou pour tout service de deuxième rang par rapport à la production, vient du revenu primaire acquis dans la production première (manufactures plus activités immatérielles utilisées et effectuées en France ou exportées en solde positif).
Que faire ? Il faut refuser la partie illégitime de la dette et socialiser la banque, le crédit, la finance et l’assurance afin de retirer au privé sa principale « pompe à phynance » : ce que le capital eût bu, il le boirait encore. Il faut que ce nouveau secteur financier socialisé et mutualisé recueille l’épargne, partiellement en la prêtant au pouvoir politique, lui-même devenu fédératif décentralisé et socio-politico-économique. Celle-ci doit être affectée à la reconstitution des capacités industrielles du pays, principalement sous forme de coopératives de production et de consommation. Comme l’a montré Friedrich List 1, les industries naissantes doivent être protégées contre les trusts puissants liés à la concentration du capital et extérieurs au pays. Parallèlement, les usines appartenant aux multinationales et sises sur le territoire seront socialisées. Pour pouvoir le faire, il faut que les intrants qu’elles y importent soient à nouveau produits localement ou échangés sur un mode loyal. Ce qui implique que le pays mette en place des droits compensateurs sur les importations en provenance des pays moins-disant en tout domaine et profitant ainsi d’une concurrence à armes très inégales. Il faut restaurer la justice fiscale en faisant payer les impôts en fonction de la capacité contributive de chacun. Partout, il faudra remplacer les services d’État par des services publics socialisés et, dans le domaine assurantiel de la santé, du grand âge et de la perte d’autonomie, de l’assistance à toute personne, par des mutuelles fédérées. Évidemment, il faudra interdire la spéculation et toutes ses combines ou dispositifs ou procédés. Et il faudra faire bien d’autres choses encore que j’ai traitées dans d’autres textes. L’idée générale est d’instaurer un structuro-anarchisme fédératif par des contre-structures dont la logique générale de pensée (la structure intellectuelle et de pratique, d’où le « structuro ») serait la recherche de la justice et de la coopération. Las, il est bien probable que le capital mondialisé se liguera contre une telle politique. Ce qui conduirait le pays à l’autarcie. Comme je l’ai montré ailleurs, c’est possible et le peuple n’y perdrait pas. Le capitalisme et ses alliés de la finance et de la politique, si.










1. Économiste allemand (1789-1846), partisan du protectionnisme éducateur.