Agustín García Calvo, le camarade !

mis en ligne le 15 novembre 2012
1687AgustinGarciaCalvoComme on devait s’y attendre, la mort d’Agustín García Calvo a été annoncée dans les médias d’information (« médias de formation de masse », comme il les nommait) avec les qualificatifs habituels utilisés pour désigner le métier par lequel on catalogue les personnes dans cette société : « philosophe », « écrivain », « poète », « penseur », « polémiste », « essayiste », « latiniste », (« l’un des principaux du XXe siècle »), « linguiste », « philologue », « grammairien », « dramaturge », « professeur », « traducteur ». Sans oublier de souligner ses titres académiques : « docteur en philologie classique à l’université de Salamanque, professeur de latin dans cette même université et de philologie latine à l’université de Séville et professeur émérite de philologie classique à l’université Complutense de Madrid » ; ainsi que ses « prix nationaux d’essai en 1990, de littérature dramatique en 1999 et de traduction pour l’ensemble de son œuvre en 2006 ». Et d’ajouter quelques uns des titres de sa prolifique œuvre sur la « grammaire et la théorie du langage, la logique, traductions et commentaires d’auteurs classiques grecs et latins, essai et politique, poésie et théâtre », la majorité édités par la maison d’édition familiale Lucina.
Le comble, même la mairesse de Zamora (du parti du gouvernement actuel), ville natale d’Agustín, a manifesté sa « peine », déclarant que « le monde de la pensée et de la culture perdent une des figures intellectuelles la plus prolifique et significatives de notre temps et la ville de Zamora l’un de ses fils, le plus créatif et reconnu de ces derniers temps ». Ajoutant que, « au delà de sa personnalité controversée ou des différences idéologiques, Agustín García Calvo est un exemple de savoir, de capacité intellectuelle et de capacité de travail ». Et, bien sûr, l’on a aussi rappelé qu’il fût « un des professeurs d’université poursuivis par le régime franquiste » et qu’à cause des « révoltes étudiantes de février 1965, il fut démis de sa chaire et il dut s’exiler en France ».
C’est seulement à cela que les « médias de formation de masse » veulent réduire celui qui fut un rebelle, un infatigable lutteur contre le mensonge, celui qui n’arrête pas d’avertir que le capital et l’État étaient les deux visages du dieu de la réalité et du pouvoir, celui qui ne s’adapta jamais aux normes que dictent ceux qui commandent ce monde, celui qui s’oppose à tout ce qui est officiel – même dans l’Hymne de la communauté de Madrid que lui commanda le premier président de la Communauté autonome, Joaquín Leguina, pour le prix symbolique d’une peseta et qui fut chanté officiellement seulement une fois – au défenseur de l’égalité dans ce monde si ambigu, au plus grand polémiste critique de la culture, qu’il comparait à « l’opium du peuple », celui qui lança les critiques les plus originales, les plus contondantes au système du monde développé et à « l’État du bien-être », celui qui ne cessa jamais de faire du politique, c’est-à-dire : de déblatérer… Ce qu’il fit tous les mercredis après-midi à l’athénée de Madrid dans une authentique agora socratique durant ces dernières douze années.

Le camarade…
Donc il est absolument nécessaire de rappeler ce qu’en plus fut Agustín : un anarchiste qui n’arrête pas de dire « non » au pouvoir, à l’État, au capital, à l’individu, au couple, à la famille, au futur, au progrès et très particulièrement au régime que nous subissons aujourd’hui dans la démocratie développée. Car, il est indéniable qu’il se se servait de ses excellents dons d’orateur pour provoquer la réflexion, avec un inégalable style d’élocution, et démasquer les mensonges de notre temps, pour désapprendre et rompre avec les idées en vigueur… Commençant par sa propre orthographe, qui était une attaque frontale à l’Académie de la langue, la responsable de la falsification de la langue pour enlever aux gens le droit d’écrire comme on parle.
Rappeler, donc, l’Agustín qui, dans ses œuvres, essaya de donner voix à une pensée anonyme, populaire, qui refuse les manipulations du pouvoir. En effet, pour Agustín, le langage est la clef de la pensée, car c’est à travers la langue qu’opère la domination de l’ordre établi. De là qu’il soit essentiel pour lui de dénoncer la réalité. Cette idée qui se présente comme le fidèle reflet de « ce qu’il y a », et qui n’est qu’une construction abstraite, dans laquelle les choses et les gens (en tant que choses), organisés en « individus » (additionnables dans une masse numérique), sont réduits à des idées, afin de les soumettre aux schémas, plans et manipulations pour non vivre la vie. Et c’est ainsi dans les sociétés les plus développées comme dans celles qui sont plus en retard dans l’exercice de la domination (dans les dictatures communistes ou dans les pays musulmans) ces dernières servant à
légitimer, par comparaison, la démocratie bourgeoise.
Rappeler ce qu’on ne mentionne pas dans les biographies publiées aujourd’hui ou dans celles qui circulent sur Internet. Car même sur Wikipedia on ne parle pas de l’Agustín camarade. On signale bien qu’il fut poursuivi par le franquisme et expulsé de l’université à cause des « révoltes des étudiants en février 1965 », mais on ne précise pas qu’il le fut aussi pour son affinité avec les étudiants « ácratas » (anarchistes), les précurseurs du mois de mai antiautoritaire de 1968, avec lesquels il fonda, dès leur arrivée en exil à Paris, une causerie (La Horde) dans le bar La Boule d’or du Quartier latin. Coauteur aussi avec eux d’un pamphlet, « De los modos de integración del pronunciamiento estudiantil » (Des modes d’intégration de la révolte étudiante), que nous avons édité clandestinement en Belgique en 1970, et qui fut réédité en 1987 par la maison d’édition Lucina.
Oui, rappeler l’Agustín solidaire avec les camarades dans le besoin ; mais aussi avec ceux qui luttaient activement contre la dictature franquiste. Ce qui lui valut d’être considéré par les autorités françaises et européennes comme un « subversif », comme un « terroriste ». D’être l’objet d’interrogatoires et de perquisitions à son domicile, et, à l’occasion de la visite du président russe Leonid Brejnev à Paris en 1973, d’être considéré comme « anarchiste dangereux » et d’être assigné à résidence en Corse pendant une semaine. Et en 1976, d’avoir échappé de peu d’être à nouveau assigné lors de la visite du roi Juan Carlos à Paris, quand les autorités françaises ont assigné à résidence, dans l’île de Belle-Île-en-Mer, un groupe de réfugiés espagnols anarchistes et un groupe de Basques indépendantistes à l’île de Ré.
Bien que ce ne soit peut-être pas la peine de le rappeler car, comme le disait Agustín, ce qui compte ce n’est pas le passé, mais ce que nous faisons aujourd’hui pour ne « jamais aller avec les temps » ! Pour tenir présent que, « l’évidence, palpable et actuelle, c’est que continue toujours à battre, par dessous la domination, un cœur qui sait dire NON, sans crainte de l’ordre du jour ni des modes ».

Octavio Alberola