Le dernier livre de Jean

mis en ligne le 15 novembre 2012
1687JeanLAnselmeJean L’Anselme nous a quittés, la veille de ses 92 ans, en décembre 2011. Son dernier livre 1, et pour cause, fut exempt de dédicace, de cette belle écriture à la fois claire, fine et légère, aussi séduisante dans la forme que drôle, provocatrice et souvent jubilatoire dans le fond. C’est cette absence, cette page de faux titre vierge de cette écriture-là qui m’ont le plus touché quand j’ai reçu Liquidation des stocks après fermeture, édition qu’il souhaitait à titre posthume, dont le titre même renouait avec son sens de l’humour et du dérisoire.
On y trouve cet art brut qu’il a prôné en poésie, comme ses amis Dubuffet et Gaston Chaissac le réalisaient en peinture et sculpture, et jusqu’aux ready-made en écriture qu’il empruntait à Marcel Duchamp. Le burlesque, le calembour et les citations occupent le terrain dans un joyeux jeu de massacre et de mots que n’épargne que la voix du peuple, celle du temps des cerises et du petit vin blanc, celle des luttes ouvrières. « Tu sais, m’écrivait-il, j’ai toujours été bien accueilli chez les libertaires, notamment par un type au nom très sympathique. » Je cite de mémoire, n’ayant pas le courage de fouiller dans un courrier aussi riche qu’abondant. Il s’agissait, bien sûr, de Maurice Joyeux.
Le préambule à cette Liquidation est d’autant plus émouvant qu’il rend hommage à une poésie désormais sous le boisseau et à des lecteurs aussi fidèles que rares : « Ma longue expérience m’a permis de constater que le lecteur de poésie n’a pas son pareil. Le refus de la société de consommation de nous porter intérêt, car nous sommes difficiles à dénicher et peu négociables, a fait que notre lecteur éventuel est devenu un confident, un comparse, un intime, un inséparable. »
Non sans une pointe d’humour, mais avec beaucoup de retenue, la fin se résume en deux lignes « qui serrent le cœur » (les formules gardent parfois leur sens, au plus près) : « Comme Johnny, j’entame ma tournée d’adieu. Ce n’est pas sans moucher une petite larme. »









1. Liquidation des stocks avant fermeture, éditions Rougerie, 87330 Mortemart, 13 euros.