Réduire le coût du travail ?

mis en ligne le 22 novembre 2012
Cette question est aujourd’hui posée comme une évidence, un passage obligé, un impératif économique catégorique.
Ceux qui sont pour l’affichent clairement. Ceux qui sont contre prennent des chemins tortueux, et pas évidents à suivre pour exprimer une idée dont on n’est pas toujours sûr qu’elle soit claire.
Avant d’aller plus loin, voici quelques rappels utiles.

Travail et force de travail
Parler de coût du travail est en fait un abus de langage. En effet, le travail ne coûte pas… L’activité travail crée la valeur, et cela quel que soit le système économique.
Ce qui « coûte », c’est ce qui effectue ce travail, c’est-à-dire celle ou celui qui travaille. Et quel est son coût ? Ce dont il a besoin pour exister en tant que producteur de valeur, autrement dit travailler et vivre socialement…
Dans le système de l’esclavage, le maître est tenu d’entretenir son esclave, dans le système féodal, le serf se débrouille seul, ou en communauté, et doit une partie de sa production au seigneur qui le « protège ». Dans le cas du salariat, si le chef d’entreprise veut une force de travail, il va la louer sur le marché dit « du travail »… en fait de la force de travail.
Le salaire est à la fois le coût que doit supporter l’employeur pour disposer d’une force de travail dont il a besoin pour son entreprise, mais c’est aussi un revenu, indispensable pour le salarié pour assurer sa subsistance.
La force de travail, et non le travail, est donc une marchandise. Valeur d’usage pour l’employeur, qui la paie à sa valeur et la consomme. Valeur d’échange pour le salarié, qui, en échange de sa force, acquière les moyens de sa subsistance.
Le marché de la force de travail apparaît comme parfaitement équitable. Le contrat de travail entérine l’accord entre l’employeur et le salarié. L’usufruit de l’utilisation de la force de travail est le profit, propriété de l’acheteur de la force.
Sauf que… l’employeur a tendance à « louer » le moins cher possible cette force de travail et le salarié, à la céder le plus cher possible.
Les luttes des salariés pour améliorer leurs conditions de rémunération : salaire minimum, conventions collectives, limitation de la durée du travail, surpaiement des heures supplémentaires, cotisations patronales, sont des conquêtes importantes qui ont fait perdre de vue l’essentiel – et qui réapparaît aujourd’hui. Revenons maintenant à la question initiale.
Faut-il réduire le coût du travail ? On comprendra qu’il faut entendre, en fait, le « coût de la force de travail. »
Pour l’employeur, c’est une évidence. D’ailleurs, l’essentiel des conflits depuis que le salariat existe porte sur cette question : si, à la limite, le chef d’entreprise pouvait se passer totalement de salariés, il n’hésiterait pas une seconde. Or cela, il ne le peut pas, simplement parce que c’est le travail, et lui seul, qui crée la valeur. Notons que même le capital technique (les machines) n’est, socialement, qu’un produit du travail. Autrement dit, seul le travail est créateur de valeur.
Le problème, si l’on peut dire, c’est que le progrès technique rend de plus en plus efficace l’acte de travail, au point que l’on a besoin de moins en moins de force de travail pour produire… et que celle que l’on utilise doit être d’abord déqualifiée puis, du fait de l’automatisation généralisée, de plus en plus qualifiée.
On comprend donc la logique de l’employeur qui, entre financer un progrès technique qui accroîtra sa productivité, donc sa capacité de concurrence, et continuer à payer des salaires a vite fait le choix.
S’ils ne peuvent pas, l’employeur et l’état garant de ce système, pour des raisons de paix sociale, licencier massivement et ne garder qu’un petit nombre de salariés, ils vont donc être obligés d’agir sur le niveau des salaires.
Or, nous l’avons vu, le salaire est la valeur d’échange de la marchandise force de travail. C’est lui qui assure la subsistance et l’existence du salarié.
Inutile de détailler les conséquences de la réduction du salaire pour le salarié.
On peut objecter qu’une diminution des salaires directement, ou indirectement (réduction de la contribution sociale des entreprises qui obligera les salariés à compenser), entraînant, dans tous les cas, une baisse de pouvoir d’achat, va porter atteinte à l’intérêt de ces mêmes entreprises, les consommateurs étant les salariés.
Cela est vrai, ou plutôt était vrai lorsque nous fabriquions l’essentiel des produits manufacturés que nous consommions. Or ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui. Beaucoup de produits manufacturés sont des produits d’importation… Une politique de la demande relancerait donc les importations, aggravant le déséquilibre de la balance commerciale, tout en accroissant les coûts de production intérieure, faisant baisser la compétitivité des produits intérieurs et exportables.
C’est donc tout à fait logiquement que le Medef et le gouvernement optent pour une politique de l’offre (réduction des coûts de production, relance de l’investissement, allégement des cotisations des entreprises) qui ne dit pas son nom.
Le problème à résoudre est : comment faire passer une telle politique de manière indolore ?

« Pacte » ou « choc » de compétitivité ?
Les mots ont leur importance car, à défaut d’innover en matière de politique économique – « tendance austérité » –, les différences se font plus sur la forme que sur le fond.
Pour la droite, ce n’est pas compliqué, elle assume parfaitement. Pour la gauche, c’est, en principe et politiquement, plus délicat car, traditionnellement, elle opte pour une politique de la demande ; or, nous venons de le voir, celle-ci ne fonctionne plus dans le cadre du capitalisme mondialisé actuel. Il faut donc, cette fois, sans faux semblants, assurer et assumer un total changement d’orientation.
Pour ce faire, rien de tel qu’un « bon rapport », fait par un « expert compétent » qui explique, en long et en large, qu’il n’y a pas d’autres solutions.
La mesure phare du dispositif actuel – suite au rapport Gallois – résume bien la problématique économique du gouvernement.
« Crédit d’impôts » plutôt que « réduction des cotisations sociales » des entreprises (préconisée par le rapport). Pas de différence sur le fond, mais le « crédit d’impôts » donne moins l’impression d’un cadeau aux entreprises. Au total, cela équivaut à une baisse de 6 % du coût du travail. On ne touche donc pas directement, par cette mesure, au niveau des salaires. Dans les faits, ce dispositif est financé par une hausse modulée de la TVA (que le PS avait juré ne pas toucher), ce qui porte atteinte au pouvoir d’achat des salariés et des chômeurs.
Pour en revenir à nos concepts de départ, la valeur de la force de travail est indirectement dévalorisée, non pas au niveau du salaire (sa valeur), mais du fait de la réduction du pouvoir d’achat de ce salaire. Nous avons ici une baisse implicite déguisée du salaire. De la rémunération du capital (dividendes), il n’en est nullement question. Et pour cause, gestion du système oblige !
La cerise sur le gâteau est incontestablement la mesure qui consiste à « introduire des représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises de plus de 5 000 salariés ». Mesure qui va aboutir à une cogestion du système, autrement dit à faire assumer – cas de l’Allemagne – par les salariés les contraintes imposées par un système dont ils sont les principales victimes.
Le rapport social salarial demeure, la force de travail demeure une marchandise, l’intérêt du système passe par la domination des banques, de la finance, le pouvoir réel est toujours entre les mains des actionnaires… et les salariés vont être conviés à accepter les mesures de limitation des salaires, précarisation de l’emploi, réduction de leur protection sociale, et tout cela au nom de la défense de leur emploi.
S’il y a un « vrai changement maintenant », c’est celui de l’adhésion parfaite, par le gouvernement socialo-écologiste, et sans réserve, aux règles du libéralisme économique. Désormais, la boucle est bouclée.

Patrick Mignard