Cinéma : rencontre avec l’écureuil

mis en ligne le 22 novembre 2012
Death row, le couloir de la mort, est une commande de la télévision nord-américaine que Werner Herzog a obtenu de haute lutte. Cette série de quatre fois quarante-sept minutes a été coproduite avec des chaînes nord-américaines assez efficaces pour obtenir l’autorisation de tourner dans le couloir de la mort où les condamnés attendent leur exécution. Cette série a été montrée dans le cadre de la 62e Berlinale dans la « section spéciale ».
Pendant quatre fois quarante-sept minutes on suit la caméra et l’ingénieur du son dans le couloir de la mort d’une prison de haute sécurité du Texas. Cette prison est installée au milieu de nulle part, surveillée comme une forteresse, difficile d’accès. Une introduction méthodique par Herzog, dont la voix domine le film, nous rappelle que 44 États américains n’ont pas encore aboli la peine de mort, que 14 seulement l’appliquent. La chaise électrique a été remplacée par l’injection létale.
Les règles des entretiens étaient fixées d’avance : dix minutes pour installer le dispositif technique ; cinquante minutes pour parler au détenu. Donc Herzog s’est dit : « Pas question de perdre une de ces précieuses minutes, pas question de laisser parler, il faut que je lui donne envie de me parler et cela tout de suite. » De plus, le détenu ne communique pas directement avec le réalisateur : une vitre blindée, des barreaux solides, les séparent. Chacun porte des écouteurs et parle dans un micro en présence de caméras de surveillance et ils sont sous la garde de surveillants toujours physiquement impressionnants .
Herzog fait précéder ses entretiens d’une déclaration qu’il répète au début de chaque film : « Je suis contre la peine de mort, mais, en tant qu’Allemand invité sur votre territoire, je n’ai pas à émettre des jugements sur votre justice. » Puis, à l’adresse des condamnés, il ajoute : « Ça ne veut pas dire que je dois vous aimer. » Une déclaration qui est en général accueillie avec un signe d’acquiescement de la tête.
Mais il y a aussi des entretiens où cette entrée en matière très directe déclenche hilarité et sympathie. Le cas de Hank Skinner est révélateur de cette connivence entre le questionneur et le questionné qui se crée malgré tout. Hank Skinner était déjà attaché et prêt à recevoir son injection mortelle. À la dernière minute, son exécution fut ajournée. Il avait toujours clamé son innocence.
Herzog s’est particulièrement attaché à son cas. Ce cinéaste des extrêmes veut tout savoir : quels sentiments, quelles sensations, quelles questions, traversent votre esprit quand vous savez que c’est la dernière fois que vous pouvez réfléchir sur la vie ? Mais il a aussi d’autres questions en réserve : « Depuis combien de temps n’avez-vous pas senti la pluie sur votre peau ? »
La plus belle question, il la posa à l’aumônier de la prison, qui avait assisté plus de 140 condamnés pendant leur exécution et qui lui parlait du bon Dieu, de la splendeur de la Création, et avouait le rencontrer parfois pendant ses promenades sous forme d’un écureuil. « Parlez-moi de la rencontre avec l’écureuil ! » lui demanda Herzog. Et le brave homme n’est plus en état de parler. Il fond en larmes et avoue, quoi que cela lui coûte, qu’il n’est plus capable d’assumer ce travail, qu’il ne sait plus quoi leur dire. Mission impossible. Mais cela n’est pas dans le film, c’est Herzog qui nous l’a raconté au cours du débat après la projection en concluant : « Il n’y a qu’au Texas que vous trouverez des hommes comme ça ! » Il fait allusion à un journaliste, un avocat, à certaines personnes courageuses et, évidemment, à cet aumônier.
Un autre aspect de ces films inclassables est l’investigation adroitement menée par Herzog qui crée chez le spectateur l’envie de lutter contre la peine de mort et de se révolter face à cette sinistre « justice ». Son monteur et lui ont dû admettre que, avec ce genre de film, on ne peut pas rester une journée entière enfermé dans une salle de montage. Ils ont écourté leur travail et se sont remis à fumer.
Document implacable : il n’y a rien à ajouter, rien à jeter.

Heike Hurst