Sinistre spirale

mis en ligne le 6 décembre 2012
C’est avec sept bons mois de retard que je suis tombé sur cette BD. Sortie en avril, Les beaux jours reviennent est un beau bouquin de Manolo Prolo, d’après l’écrivain Zilber Karevsky. Oui, le même Manolo qui illustre notre journal. Je faisais un tour à la Librairie du Monde libertaire et cinq ou six pages feuilletées m’ont suffi : c’est beau, en noir tranchant et blanc délavé par une pluie omniprésente, et les cases les plus éloquentes sont certainement celles sans phylactère. Le personnage central, Joseph Lapouthre, est professeur au lycée Georges-Brassens et vit une transformation sociale majeure : les directives du ministère instaurent l’enseignement de la Bible, des milices catholiques sont créées, la police est partout, surveillance, fichage, xénophobie ; le pays bascule dans une intolérance réactionnaire crasse. C’est donc un futur proche possible que Manolo dépeint, même s’il semble forcer un peu le trait parfois (quelques éléments paraissent un peu exagérés pour être crédibles). Au premier abord en fait. On aurait pu critiquer ce manque de réalisme, mais je crois que c’est exactement le manque commun de lucidité qui est visé, celui qui fait qu’aucun vent de révolte ne souffle quand d’incroyables mesures gouvernementales sont prises. Justement, Lapouthre est au départ peu réactif, du genre à ne pas faire grève. Mais il rencontre Marie, dont les yeux sont les seuls à être dessinés en détail et dont la présence anime une envie diffuse de résistance chez Joseph. La situation politique empire de page en page et l’ambiance tourne du morose au sordide. Difficile de ne voir encore que le dessin, on est emporté par l’histoire. Et au contraire d’une critique qui resterait superficielle, je dirais que ni la psychologie des personnages ou la finalité du scénario ne sont à tenir pour primordiaux ; c’est bien l’enchaînement et le rythme qui comptent, soutenus par un dessin tantôt contemplatif, tantôt dynamique, et un séquençage des cases quasi cinématographique. Du coup, on se laisse happer avec Joseph dans cette sinistre spirale.

Nicolas
groupe Louise-Michel