L’affiche : un cri collé au mur

mis en ligne le 20 décembre 2012
1692ColereParoleCette exposition présentée par la BDIC est visible à… l’hôtel des Invalides à Paris. Ne pas se laisser rebuter par l’ambiance militaire du lieu, ni intimider par l’alignement des canons gardant l’esplanade. Y aller franchement, entrer et tourner à gauche, c’est tout au bout du couloir. Affiche-Action, le programme est dans le titre : depuis la Révolution française de 1789 l’affiche a toujours été ce « cri collé au mur 2 », destiné à interpeller dans l’urgence la population. La patrie en danger, les manifestes de la Commune de Paris, les papillons et textes manuscrits de la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, les affiches des Beaux-Arts en mai 1968, les mouvements de femmes des années 1970, tout cela est au menu de cette exposition. Respectons la chronologie et commençons par la salle réservée à la Révolution française avec notamment les fameuses affiches conçues par Olympe de Gouges : Les Trois Urnes ou le Salut de la patrie, suivie de Olympe de Gouges au Tribunal révolutionnaire et de Une patriote persécutée à la Convention nationale. Ces trois textes lui vaudront arrestation, emprisonnement et guillotine, parce qu’elle y prônait la décentralisation de l’élaboration de la loi, s’opposant ainsi frontalement aux jacobins. Pour la première fois dans
l’histoire de la Révolution une femme est arrêtée et condamnée pour avoir conçu une affiche. Pas n’importe quelle femme : une femme qui réclamait le droit de s’exprimer. Dans sa Déclaration des droits de la Femme (rejetée par la Convention le 28 octobre 1791), Olympe de Gouges revendiquait déjà : « Une femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »
Nous faisons ensuite un saut dans le temps pour ce qui est la plus importante partie de l’exposition : la Commune de Paris. Dès le 18 mars 1871, les communards s’emparent de l’Imprimerie nationale et commencent à publier par affiche toutes les décisions et décrets sur papier blanc, manière d’officialiser leur légitimité par rapport aux versaillais : « Il n’appartient qu’à l’autorité communale et aux municipalités d’apposer des affiches sur papier blanc (l’affichage des actes émanant du gouvernement de Versailles est formellement interdit). » Ajoutons qu’un espace est consacré aux caractères d’imprimerie des différents formats utilisés pour les différents types d’affiches, à l’usage fait des dépêches télégraphiques imprimées ou lithographiées qui font circuler l’information mieux que la presse, dont la diffusion est alors fortement perturbée.
Entre le 19 mars et le 24 mai 1871, la Commune fera imprimer 399 affiches officielles, soit en moyenne six par jour, tirées chacune à plusieurs milliers d’exemplaires. L’exposition de la BDIC propose un très large choix de ces affiches : proclamations, décisions, informations sur l’évolution de la situation militaire, plus que la presse, c’est l’affiche qui interpelle directement la population parisienne. La dernière sera datée du 4 Prairial 79 (24 mai 1871) à 9 heures.
Plus près de nous : la Seconde Guerre mondiale, l’occupation, Vichy. Un regret : c’est le parent pauvre de cette exposition. Peu de documents, mais intéressants quand même. On peut voir qu’en l’absence d’affiches imprimées les opposants au régime de Vichy compensaient par des textes manuscrits sur des papillons à coller sur les affiches officielles des autorités (détournement) ; des photos nous le rappellent, les affiches de l’occupant et des collabos (propagande) étaient également régulièrement arrachées ou détériorées, d’où l’avertissement placardé : « L’altération, sous toutes ses formes, de la présente affiche sera considérée comme acte de sabotage et punie des peines les plus sévères. »
Autre époque, autre style : mai 1968 et les affiches des Beaux-Arts au graphisme immédiatement reconnaissable grâce à une nouvelle technique employée à l’époque : la sérigraphie. L’élaboration de ces affiches renvoie au mode d’organisation des dessinateurs républicains espagnols pendant la révolution de 1936-1939 : dans l’atelier on discute en assemblée des projets d’affiches, quand ces projets sont acceptés (avec ou sans modifications) ils sont réalisés, puis, après impression, placardés par des militants toutes tendances confondues. Différence d’avec la révolution espagnole : les affiches de mai 1968 ne sont pas (ou rarement) signées du sigle d’organisations, ou portent simplement la mention « atelier populaire ». Dans la foulée, les années 1970 verront l’explosion du mouvement féministe et de ses nombreuses affiches avec un graphisme proche de celui de 1968 mais en plus coloré. Plus qu’en 1968, les femmes prennent la parole et entendent la garder, en dignes descendantes d’Olympe de Gouges. Les slogans se féminisent : « Le pays des droits de l’homme a-t-il peur des droits de la femme ? », « Avortement libre et gratuit pour toutes », « Nous aurons les enfants que nous voulons ». La boucle est bouclée, Olympe de Gouges est de nouveau d’actualité près de deux siècles après son exécution.
Un conseil : en guise de mise en bouche, commencez donc la visite par la première petite salle, où sont exposées les affiches contemporaines de Pierre Di Sciullo, créateur du PFT (Parti faire un tour), et de Vincent Perrotet. Ce dernier a eu la bonne idée (et le bon goût) de laisser à disposition et gratuitement des reproductions de quelques-unes de ses affiches aux textes sans équivoque : « L’Argent est roi (des cons) », « Actionnaires-tortionnaires », « Compétitivité-poil aux licenciés », etc. Ces deux graphistes-créateurs parviennent à faire le lien entre engagement politique, citations philosophiques et poésie, à l’instar du célèbre Rêve générale apparaissant désormais à chaque manifestation de masse.
« L’affiche, par le lien direct qu’elle établit entre le concepteur et le lecteur, provoque (si elle est réussie) une émotion, un choc, qui amène le citoyen à penser avec ses yeux. 3 »
Interpeller la population, s’opposer à la norme officielle, proposer des alternatives… Sous toutes les latitudes, l’affiche (ou l’autocollant) est une arme échappant au pouvoir de l’argent qui s’est depuis longtemps emparé des médias écrits ou parlés. « Le libre développement des affiches permettra de parler au public chaque fois qu’on le juge opportun, sans s’affilier à des coteries non moins oppressives qu’incompétentes. 4 »
C’est ce que cette exposition nous rappelle fort à propos, même si aujourd’hui les réseaux sociaux ont pris le relais pour ce qui est des appels au peuple.












1. Affiche-Action, quand la politique s’écrit dans la rue, exposition jusqu’au 24 février 2013 au musée d’Histoire contemporaine, hôtel des Invalides, 129, rue de Grenelle, 75007 Paris (entrée : 5 euros).
2. En référence au documentaire sur l’affichiste espagnol : Manuel Monleón, un cri collé au mur.
3. Wally Rosell et Ramón Pino, Espagne 1936-1975 : les affiches des combattants de la liberté (vol. 2).
4. Auguste Comte, Rapport sur la nature et le plan du nouveau gouvernement révolutionnaire. Correspondance générale et confessions, tome IV.