La femme aux cheveux rouges nous a quittés...

mis en ligne le 20 décembre 2012
1692HeikeHurstCe vendredi 30 novembre, Heike Hurst a été emportée par son petit « alien » de cancer, comme elle aimait à l’appeler. Nous en sommes d’autant plus touchés que l’émission « Le Manège », qu’elle a animée le 28 novembre, porte sur le film Le Dernier Choix, réalisé par Annick Redolfi et monté par sa fille, Annick Hurst. Cette émission sera sa dernière, elle ne le sait pas et nous non plus !
Écoutons donc des extraits (un peu recomposés pour en faciliter la compréhension) :

Heike Hurst. Cette émission est un peu exceptionnelle, dans un registre qui s’approche du film au sujet grave, dont nous savons que nous aurons toutes et tous à affronter : la mort, l’euthanasie et la mort, peut-être pas désirée, mais inéluctable.
Sur la Terre entière, ce problème de mourir dans la dignité est traité de façon très différente : en Orient, ça fait partie de la vie et il n’y a aucun problème pour affronter cette dernière étape car il y a la croyance en un au-delà. Moi qui ai vu le film, il n’y a pas d’apologie de la foi et de la religion, mais ce film vous remue les tripes et essaie de vous donner l’information la plus complète possible. C’est un film qui est riche et qui recherche et ouvre des pistes.
Vous ne le verrez pas dans les programmes de cinéma de la semaine, mais sur France 5, le 4 décembre à 20 h 35 ; la diffusion sera suivie d’un débat.
Ce film est composé de deux parties de soixante minutes : « Le dernier choix, j’aime la vie, mon corps ne l’aime plus », sur la situation française depuis la loi Léonetti ; « Le dernier choix, mon corps me quitte », sur plusieurs pays ayant légiféré sur la question (la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas et le Luxembourg).
Il faudrait qu’on s’organise toutes et tous pour que ce film passe au cinéma !
Cette question fondamentale de la fin de la vie et de la mort inaugure votre film de façon magistrale : une personne s’adresse directement à vous et émerge de son quotidien grâce à ce regard que le film lui accorde.

Annick Redolfi. Cette femme, Betty, nous parle de son amour pour la vie et pour ses proches qui l’entourent beaucoup, de sa reconnaissance pour le personnel soignant alors qu’elle ne peut ni se lever ni se laver toute seule. Bien que tétraplégique, elle se disait heureuse ; elle s’est beaucoup battue pour les personnes handicapées, notamment pour la question de leurs transports. Quand on l’a filmée, on savait qu’elle allait partir, une date était fixée une semaine après car elle avait de plus en plus de problèmes, de poches et de fils partout et de souffrances physiques et psychiques. Le tournage a été très difficile : comment raconter ?
Cependant, je voudrais vous lire une carte écrite par Betty la veille de son départ et que j’ai reçue le lendemain : « J’ai presque honte d’être sereine, je pars pour un ailleurs ou pour le néant, mais je vais vers la délivrance… »
Le film est dédié à cette femme, son courage et son amour de la vie. Elle est morte en vie.
Nous avons fait le choix de commencer le film par un véritable cours de bioéthique, qui n’est donc pas joué : c’est un oncologue (spécialiste du cancer) avec des étudiants en médecine en Belgique. La médecine est parfois impuissante face à certaines maladies ; à la demande d’une personne qui souffre, que doit faire le médecin ? La question du geste pour le médecin est fondamentale : faut-il dire « tuer » ou trouver d’autres mots ? Donner la mort avec violence ou donner la mort avec douceur à la demande de quelqu’un ? La vraie violence, n’est-ce pas l’agonie ? Cela nous a permis d’articuler plusieurs choses essentielles, de ne pas être dans la caricature, le pathos, le tumulte médiatique (comme celui qui a entouré Chantal Sébire ou Vincent Humbert), de comprendre leurs demandes, mais de sortir du purement émotionnel, même si la vie est faite d’émotions.
Notre réflexion a progressé tout au long de la fabrication du film.

Heike Hurst. Pour les mots de la fin, en sortant d’une telle expérience, on se sent comment ?

Annick Hurst. J’ai l’impression d’avoir appris sur chaque film documentaire, mais je suis fière d’avoir monté ce film, on ne ressort pas indemne, mais j’ai l’impression d’avoir grandi.

Heike Hurst. Pour cela, cela valait le coup de faire le film ; je remercie les deux Annick et je suis très fière d’avoir pu vous recevoir. Je vous donne rendez-vous mercredi prochain ! Nous allons nous revoir assez vite.

Hélas, nous nous sommes revues très vite, ce samedi 4 décembre au Père-Lachaise pour rendre un dernier hommage à notre compagne de radio, d’abord avec Salim dans « Fondu au noir », puis avec Michel Bonjour et Boris Beyssi dans « Le Manège ». Et à notre critique de cinéma dans Le Monde libertaire.
Les interventions ont évoqué la femme avant tout, la mère d’Annick, la grand-mère d’Ariane, la compagne de Joseph, la professeure d’allemand et de cinéma et, surtout, la fan de cinéma, au rire aussi éclatant que la couleur de ses cheveux, à la curiosité sans limite et à la plume comme au verbe si critiques ! Comme Betty, Heike est morte en vie ! Selon Annick, Heike avait pu envisager les derniers temps de sa vie avec un peu plus de sérénité grâce à ce film.
C’est le dernier cadeau qu’elle vous offre.

Élisabeth Claude et Boris Beyssi
Animateurs de Radio libertaire