Post-hits (1)

mis en ligne le 24 janvier 2013
« Derrière chez moi y a une usine / mon copain Stan il y turbine
il fait les postes en 3 fois 8 / pour un salaire pas fantastique.
C’est une petite chanson, postmoderne postmoderne
pour les petits enfants, postmoderne petite chanson. »


Je viens de lire Le Postanarchisme expliqué à ma grand-mère (2012) de Michel Onfray. Le titre de l’ouvrage est un clin d’œil au titre Le Postmoderne expliqué aux enfants (1982-1985) de J.-F. Lyotard. Les extraits de la chanson Postmoderne (1993) qui parsèment la chronique, aussi… À n’en pas douter, ma grand-mère comprendrait mieux l’Onfray. Il faut dire que le qualificatif « postmoderne » peut être d’une grande ambiguïté : il peut s’agir de nommer un changement de période, d’état d’esprit, marqués par la fin des grands récits utopiques, idéologiques et progressistes, forcément progressistes, de la modernité.
Mais ce fut aussi une étiquette branchée (donc passée de mode, mais le principe demeure) : « postmoderniste » ou « postmoderne » pour des œuvres, architectures, attitudes créées en piochant dans le grand supermarché de l’espace-temps culturel. En tentant de fusionner, mais souvent en ne faisant que juxtaposer, les références ou les formes de tous lieux, de toutes époques, de toutes cultures. La « mondialisation », l’hyperconsommation culturelle et Internet mettent l’apparence de tout à disposition, il n’y a plus qu’à faire son choix dans les formes ou les idées. Nous le faisons tous. Malheureusement, peu d’œuvres conçues ainsi vieilliront bien. Parce qu’il ne suffit pas de savoir « copier-coller » pour avoir une réflexion. Il vaut mieux saccager une tradition dans laquelle on a baigné, qu’on a assimilée, si on ne peut plus la faire avancer (mais il en restera toujours quelque chose) plutôt que de juxtaposer des images de traditions qui nous sont étrangères.
Exemple. C’est la rencontre entre une culture classique, le travail antérieur de Cézanne et Gauguin, les découvertes archéologiques de l’art ibère archaïque, la visite au musée du Trocadéro, les masques et fétiches des peuples dits primitifs et son souvenir du bordel de la rue d’Avignon à Barcelone qui, conjugués, ont produit Les Demoiselles d’Avignon, toile moderne s’il en est. Picasso saccage l’idéal illusionniste, en rompant avec une tradition classique qui date des Grecs anciens. Par provocation, par rupture avec son paternel, par calcul, et parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. Seulement, dans cette toile qui choqua ses amis au point que Picasso la roula et la cacha dix ans durant, tout faisait sens.
Parce qu’il avait quelque chose à dire, avant tout, de sa peur de la syphilis, qui faisait du sexe et des femmes des repoussoirs défigurés.
Faisions-nous du postanarchisme sans le savoir, tout comme Picasso était postmoderne dès le début du siècle ?
Onfray proclame son anarchisme dans un émouvant et néanmoins militant « autoportrait au drapeau noir ». Puis Onfray donne des claques aux anars. Ce n’est pas contradictoire et, dans l’ensemble, elles ne sont pas volées. Je ne parle pas ici des querelles qui ont pu avoir lieu entre individus. Ce n’est pas mon propos. Il et je parle, avec les mêmes mots, depuis des mois, du droit d’inventaire dans le corpus anarchiste, du tri nécessaire, du folklore désuet, des formes militantes, de la routine, des compilations ressassées. « Pour le moins, et afin d’éviter le capharnaüm théorique, il faudrait procéder à un réel travail critique afin de ne pas se contenter de reproduire les lieux communs véhiculés par l’Église anarchiste. » Il aurait dû lire plus souvent cette chronique, mais « il s’est désabonné du Monde libertaire à force de s’y faire démonter le portrait », dommage. Ce n’est pas de mon fait. Mais il aurait pu aussi témoigner des réflexions, ici et ailleurs, qui traversent le mouvement anarchiste. C’est pour cela que je n’ai pas appris grand-chose avec ce livre. Il ne bouleverse ni mes certitudes ni mes doutes, il les entérine. Et comme je sais ne pas être le seul, il est un témoignage parmi d’autres d’une évolution au sein de l’anarchisme. Mais laquelle ? Dans quel sens ? Dans la tradition, même anar, quoi garder et quoi jeter ?
L’étiquette « postanarchisme » ne devrait pas avoir grand avenir, mais elle marque une étape. Celle de la prise de conscience qu’un décalage se produit entre des références, des textes, des schémas, des formes de discours ou de militantisme transmis de génération en génération, et la réalité actuelle du monde.
Et avec tout cela je n’ai rien dit d’original, parce que, dans tous les partis, on entend dire la même chose. C'est la preuve que quelque chose bouge.
Si je suis anarchiste, c’est parce que je pense qu’il y a là ce qui répondra aux attentes de beaucoup, bien plus largement que les cercles militants et au-delà des frontières idéologiques actuelles. Mais il me paraît prévisible que l'anarchisme ne se nomme plus comme tel (ni « post ») s'il veut être efficace. Dissous, assimilé, il revivifiera ainsi les luttes et les esprits.