Amen ! L’État offre la laïcité aux religions

mis en ligne le 31 janvier 2013
1695LaiciteDepuis une trentaine d’années l’État français, faut-il le rappeler, un des rares états laïques en Europe, multiplie rapports et lois concernant la laïcité et l’expression religieuse dans tous les domaines de la vie sociale et économique : services publics (hôpital, école etc.), dans l’entreprise et y compris dans la sphère publique. Pourtant, la religion est censée relever de la seule liberté de conscience des individus donc de la sphère privée !
L’autre paradoxe réside dans le fait que l’État, qui accorde ainsi tant d’importance à l’expression des religions, est le même État qui n’en accorde aucune par rapport aux besoins du peuple en matière économique et sociale : travail, santé, éducation, logement, transport au nom de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), autant de préoccupations censées pourtant le légitimer.
Bien au contraire, l’État, en revisitant aujourd’hui le concept de laïcité, en justifiant une nécessaire reconnaissance, liberté, et égalité des cultes, trahit de fait la loi de 1905 de « séparation des Églises et de l’État » qui dans son article premier spécifie : « La République assure la liberté de conscience », suivi du second : « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. »
Sous couvert d’aménagement, d’ouverture ou d’actualisation de la laïcité, l’État fait la preuve qu’en définitif il ne considère plus les femmes et les hommes comme des producteurs devant bénéficier du produit de leur travail et des citoyens devant pouvoir utiliser des services publics. Il ne les considère plus que dans leurs rapports à leurs possibles croyances en telle ou telle religion en ignorant au passage l’existence d’une majorité de non-pratiquants, de laïques et d’incroyants !
Ainsi, dans le même temps où les femmes et les hommes sont de plus en plus déconsidérés sombrant dans la précarité et la misère sociale et économique, voici en guise de consolation sans doute que l’État se préoccupe par contre de leur capacité à exprimer leurs croyances en dehors de leur vie privée !
De quoi réinscrire aux frontons des mairies, à la place du triptyque actuel « Liberté, égalité, Fraternité », « Religion, Communautarisme, Charité » !
C’est ainsi que dans le désert économique laissé par la casse industrielle due au capitalisme, dans le désert social dû à l’abandon par l’État des services publics livrés au privé, fleurissent lois et textes replaçant le religieux au centre des préoccupations de chacun.
Cette préoccupation de l’État apparaît en particulier dans le rapport du Conseil d’État, publié en 2004, où tout en se basant sur le cadre de la loi 1905, celui-ci considère que, si l’État ne reconnaît aucun culte, « la religion n’est (pour autant) pas une affaire privée… la laïcité ne se résume pas à la neutralité de l’État… elle ne peut ignorer le fait religieux… (et) si le législateur en 1905 a fait disparaître la catégorie des cultes reconnus, il se doit désormais de n’en méconnaître aucun ».
Plus qu’un glissement sémantique, c’est une véritable déclaration de guerre à tous les laïques défenseurs de la loi de 1905 !
Pour preuve de cette haute trahison, il suffit de lire la position du Conseil d’État par rapport au régime des cultes en Alsace-Moselle : « C’est un particularisme local dans lequel on peut voir une forme particulière de l’organisation des rapports et de la séparation des Églises et de l’État… »
Faire du Concordat en Alsace-Moselle une forme particulière de la séparation des Églises et de l’État relève d’un glissement dans le temps et d’une affabulation totale :
- Napoléon Bonaparte signe en 1801 avec le pape Pie VII un Concordat régissant le culte catholique en France.
- La loi de 1905 l’abroge, sauf sur les 3 départements de cette région, alors sous la tutelle du Reich allemand.
- Le retour de l’Alsace-Moselle dans le giron français, en 1918, n’abroge pour autant pas le Concordat qui sera même confirmé par le Conseil d’État en 1925, puis en 1945.
On comprend mieux alors la position du Conseil d’État qui, en 2004, citant le statut
clérical d’Alsace-Moselle en exemple, nous propose la « divine laïcité », fruit du mariage entre l’État et les Églises, le retour à l’ancien régime et cette éternelle alliance du temporel et du spirituel, du sabre et du goupillon !
Concrètement, comment se traduisent cette nouvelle conception de la laïcité, plus béante qu’ouverte, et ce nécessaire besoin pour l’État de reconnaître les expressions religieuses dans toute la sphère publique ?
À l’hôpital : l’application de la « Charte de la laïcité dans les services publics » du 13 avril 2007 précise : « Chaque croyant doit pouvoir se recueillir… s’exprimer librement… se nourrir suivant ses préceptes religieux dans la mesure du choix des menus offert par l’hôpital… »
Par ailleurs si « le libre choix du médecin est posé en principe », celui-ci se voit conforté dans sa « clause de conscience » concernant la pratique de l’IVG !
Sachez donc qu’en cas d’hospitalisation vous aurez la possibilité de vous recueillir dans une salle, faisant office, selon les heures, de chapelle, temple, mosquée ou synagogue. Vous pourrez peut-être y manger hallal, casher ou avoir votre poisson du vendredi…
Qu’importe que dans le même temps cet hôpital, comme la majorité des établissements publics, souffre d’un manque flagrant de personnels soignants, de lits ! Dieu veillera à votre prompt rétablissement.
À l’école : à la demande du ministre « socialiste » Jack Lang alors ministre de l’Éducation nationale, Régis Debray remit en 2002 un rapport proposant « l’enseignement du fait religieux à l’école laïque ». Étonnant ce projet quand on sait que depuis des lustres cet enseignement existait déjà, tel que par exemple en 6e, 20 % du temps consacré à l’histoire des « débuts du judaïsme et du christianisme », ou en 5e, 10 % consacré à l’étude des « débuts de l’islam » etc.
Si l’on rajoute à cette disposition l’autorisation en 2004 (rapport Stasi) du « port (discret) d’insignes religieux à l’école », on ne peut que s’interroger sur le véritable objectif de ces dispositions visant à reconnaître, à étudier les religions et à manifester ses croyances dans l’école laïque.
La réponse se trouve dans le rapport Debray, avec l’énoncé on ne peut plus clair des motivations : « L’effondrement ou l’érosion des anciens vecteurs de transmission que constituaient églises, familles, coutumes et civilités… la perte de sens est bien une réalité sociale… » Autre « perle » : « Comment comprendre le 11 septembre 2001 sans remonter au wahhabisme, aux diverses filiations coraniques… »
Voilà donc le coupable enfin désigné, justifiant le retour du régime de Vichy avec la nouvelle trilogie adaptée à l’école « Travail scolaire sur les religions, Famille et Patrie, dans le respect des valeurs chrétiennes ». Maréchal, nous (re)voilà !
Sachez donc que vos enfants, crucifix, ou autre signe religieux sous la chemise et Bible, Coran et Torah dans le cartable, iront joyeusement à l’école, comme le dit le rapport pour « profiter d’une laïcité ragaillardie, le temps étant venu de passer d’une laïcité d’incompétence (le religieux ne nous concerne pas) à une laïcité d’intelligence (nous avons le devoir de le comprendre)… »
Qu’importe que dans le même temps l’école de votre gamin souffre d’un manque d’enseignants, de classes surchargées, de suppressions d’heures de cours du moment que Dieu accompagne son ignorance !
Dans l’entreprise : en avril 2010, le Haut Conseil à l’intégration (HCI) remit un rapport au président Sarkozy, rendu public en septembre 2011, intitulé « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise ».
Celui-ci, constatant « la multiplication de revendications d’expression religieuse au sein des entreprises », proposa concrètement d’autoriser les entreprises privées à « intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires, au port de signes religieux et aux pratiques religieuses dans l’entreprise ».
La reconnaissance de votre appartenance religieuse garantissant la « paix sociale » dans l’entreprise, fallait oser le faire quand le capitalisme mène jour après jour la guerre sociale à tous les travailleurs !
Sachez donc que votre patron est censé vous autoriser à avoir des temps de prières sur votre lieu et temps de travail, et rien ne vous interdit de venir habillé en bonze ou avec une cornette de religieuse…
Qu’importe que dans le même temps une autre expression, syndicale celle-ci, soit de plus en plus bafouée, le code du travail et les conventions collectives détricotées au nom du respect des directives européennes, puisque Dieu souffre avec vous au bureau ou à l’usine, pleure avec vous sur votre fiche de paye !
Dans l’espace public, la commune : le 3 décembre dernier, le conseil municipal d’Argenteuil (Val-d’Oise) a voté la mise en place d’un « Conseil des cultes » intégrant les diverses religions présentes sur le territoire de la commune, ainsi que la mise en place d’une « Journée de la spiritualité », financée sur les deniers publics.
Sur le modèle concordataire d’Alsace-Moselle, voici réintroduite dans l’espace public qu’est une commune, la « reconnaissance républicaine » des religions !
Les habitants d’Argenteuil doivent donc savoir désormais que la mairie, intéressée par les croyances de ses habitants, va subventionner la spiritualité, avec peut-être l’office de tourisme faisant visiter les différents lieux de culte, offrant des places assises pour assister aux offices !
Qu’importe au passage que les athées de cette commune participent par leur impôt au financement de cette journée ! Qu’importe que dans cette ville des services publics, comme partout, aient disparu, puisque Dieu illumine la cité, transporte les femmes et hommes autrement plus vite que le bus municipal ! La foi donne des ailes !
De l’hôpital à l’école, en passant par l’entreprise ou la commune, au nom d’une laïcité qui serait à actualiser, s’engouffre le religieux mis au centre de ce que l’État considère comme faisant partie de nos préoccupations quotidiennes.
Avec toutes ces dispositions envahissant tout le champ social et économique, il s’agit bien d’une déclaration de guerre contre la laïcité institutionnelle, contre la loi 1905 !
Celle-ci, en garantissant l’absolue liberté de conscience de chacun, n’a jamais eu pour volonté et conséquence de « libérer les cultes » afin qu’ils envahissent nos vies. La religion est et doit rester une affaire privée !
Pour conclure, toutes ces dispositions de mise en avant des religion ont bien pour but de remplacer la disparition de toutes les conquêtes sociales, économiques ! Durant des décennies, les luttes du mouvement ouvrier ont permis de maintenir, d’accroître des liens de solidarité, d’égalité. Aujourd’hui, les religions missionnées par l’État sont censées rétablir le lien social disparu, remplacer les espoirs déçus d’émancipation terrestre par la croyance et l’espoir en un au-delà !
Au nom de la « concurrence libre et non faussée » reste aux religions monothéistes à proposer le meilleur rapport qualité/prix aux croyants potentiels : prix d’une kippa par rapport à celui d’un crucifix, ou d’un tapis de prière. Il leur restera à présenter à l’État le coût salarial d’un imam, d’un rabbin ou d’un prêtre pour calculer l’impôt à percevoir auprès des millions d’âmes vivant sur le territoire national.
Face à la crise du capitalisme, l’État a enfin trouvé le remède en faisant appel à Dieu, l’éternel sauveur aujourd’hui seul garant d’une laïcité éclairée ! Amen !

Michel
Liaison Marguerite-Agutte de la Fédération anarchiste