PSA comme si vous y étiez (suite)

mis en ligne le 14 février 2013
1697GodasseL’objectif de la minorité gréviste est toujours tenu : production toujours quasi bloquée. Pour contrer cet état de fait, la direction de PSA a cherché à présenter les ouvriers en lutte d’Aulnay-sous-Bois comme des « voyous » qui terrorisent la maîtrise et les non-grévistes. Oubliant bien au passage d’indiquer que, côté cour, dans un courrier individuel en date du 24 janvier adressé à l’ensemble du personnel, elle prenait soin de préciser : « Parmi ces grévistes, une minorité a entravé la production… »
Depuis le début des hostilités, elle emploie des termes forts pour s’autoblanchir d’une situation paroxystique qu’elle a elle-même créée et continue d’entretenir. La réalité est plus prosaïque : les non-grévistes ont moins peur de l’agressivité des grévistes que du manque de ressources qu’entraîne la perte du salaire.
La seule minorité qui cherche à entraver quelque chose, c’est la direction de PSA ; pour preuve, malgré la difficulté à trouver environ 200 cadres de divers coins de la France pour redémarrer les chaînes après sa semaine de lock-out, le statu quo persiste. Pendant la semaine d’arrêt, elle n’a même pas réussi à entraver la grève. Plus de 200 grévistes ont continué la lutte à l’UL CGT d’Aulnay-sous-Bois et poursuivi leurs actions, comme aller voir les ouvriers de Renault Flins ou collecter de l’argent dans les péages pour remplir la caisse de grève.
Ils ne sont pas fiers ceux qui ont accepté de venir faire ce sale boulot lorsque les ouvriers les interpellent : « Tu viens gagner de l’argent pendant que nous on risque de perdre notre travail ! Tu diras ça à tes enfants ! » Ils ne trouvent rien à répondre. Les grévistes passent également du temps à discuter avec les vigiles des sociétés privées placés aux portes d’entrée de l’usine. Le plus gros travail reste malgré tout de chercher à convaincre les non-grévistes. à la reprise, ces derniers sont restés chez eux ou étaient pratiquement invisibles, confinés dans les salles de repos par les chefs. Malgré les calembredaines de la direction les journalistes présents n’ont pu constater aucune dégradation.
Après cette incursion dans l’actualité, je fais à nouveau un saut en arrière dans le temps, vous ramenant à quelques encablures des grandes vacances. Ces points de vue d’ouvriers saisis à la volée restituent mieux qu’un discours le contexte de l’époque : « Les syndicats nous font marcher, en faisant croire qu’on prend les décisions ! Nous sommes en Enfer, l’infirmerie ne désemplit pas de déprimés, certains se mettent en accident de travail, d’ici à ce qu’il y ait des suicides ! » Des cyniques disent même : « Ça nous arrangerait bien, ça foutrait dans la merde la direction d’Aulnay-sous-Bois ! Le désespoir va loin à l’heure actuelle ! » Pour manipuler la foule, un militant de Lutte ouvrière raconte dans les réunions du comité de grève : « Nous avons la mainmise, la production tourne vitesse escargot ! » La gueule qu’il tire après cette réplique : « Ça doit être un escargot avec turbo ! »
En effet, la production est bien repartie. Au briefing, j’attaque le chef d’entrée : « Pas longtemps que vous mettez pour remettre en cause vos belles promesses comme quoi le rapport humain, le dialogue sont privilégiés rapport à la production ! »
Une fois de plus, ce 25 juillet, nous voilà tous avenue de la Grande-Armée à Paris. Ainsi en ont décidé les trotskistes via leur comité de grève. Au final, 200 personnes mobilisées : c’est un échec. Comme à son habitude, Lutte ouvrière a suivi le plan élaboré avec son chef sans écouter les remarques des ouvriers qui voulaient rester dans l’usine… La catastrophe est évitée par les Bretons de l’usine de Rennes venus en nombre. Ils ont la pêche, eux ! Ils bloquent leur usine, eux, quand ils se déplacent ! Alors que nous, on fait toujours des voitures. Un comble, notre usine ferme et c’est un syndicat réformiste qui ramène le gros des troupes ! Je suis bien d’accord avec l’ouvrier qui me donne son impression : « La mayonnaise prend toujours pas, pour qu’elle prenne la mayonnaise faudrait un déclic chez les hésitants ou quelques-uns pour battre les œufs ! »
Le déclic pourrait venir du dernier briefing fait par les chefs avant les cinq semaines de vacances d’été. Dès le début de cette réunion, je sors : « Si tu bouge pas, t’auras que des cacahuètes ! La préretraite, c’est finish ! Vous allez droit vers la misère aménagée ! » Comme ils rient ceux qui entendent ça ; mais après avoir entendu les dires du chef qui confirment que les mesures proposées par la direction centrale ne prévoient pas plus pour les anciens, ils ne rient plus du tout. Ils voient bien que la direction donne à peine quelques milliers d’euros. Avec des collègues, nous étions convenus de ne rien dire à cette réunion pour que les anciens s’expriment : « Nous allons voir ce qu’ils ont dans le ventre ! » Des vieux ont causé : « Si les syndicats signent cet accord pour le plan social, on a que ça ? » Un silence de mort règne dans la salle. L’acquiescement du chef confirme définitivement que les vieux qui croyaient partir du fait de leur ancienneté avec 50 000-60 000 euros n’auront rien. Ils en restent glacés, bouche bée, sans paroles qu’ils sont les vieux. Il n’y a pas si longtemps encore, ils nous riaient bien au nez quand on débrayait, nous lançant : « On s’en fout, nous aurons bientôt la retraite ! » Mais y’a pas que les vieux qui tombent de haut. Comble du ridicule, les jeunes qui coulent nos grèves se saoulent la gueule après le repas pour oublier leurs tourments. Le chef vient les voir pour qu’ils reprennent le taf. « On est en grève », répond un des jeunes. Il s’improvise leader de lutte avec quelques grammes dans le sang. Avant ça, il m’avait demandé : « T’es délégué, pourquoi t’a rien dit ? » « Les concernés doivent aussi s’exprimer », que j’avais répondu. « Ils s’expriment bien les concernés à présent », me dit un pote, poursuivant non sans ironie : « Qu’ils s’expriment, c’est un début ! Les voila affichés à présent, le monde à l’envers ! à notre tour de profiter de leur grève pendant qu’on travaille, la chaîne va pas tarder à s’arrêter ! » En effet, elle s’arrête, la chaîne. Nous bullons tous ainsi en attendant les vacances.
Grâce à la grève improvisée pour leur permettre de décuver. Nous nous balançons quelques réflexions avant de partir décompresser cinq semaines : « La mayonnaise doit prendre d’entrée après les congés, sinon, c’est foutu ! On verra au retour des vacances, s’ils ont des couilles à jeun ! »
Malheureusement, beaucoup ne partiront pas en vacances cet été ! Ils auront l’occasion, en restant cinq semaines dans leurs cités avec femmes et enfants, de réfléchir autour d’un Ricard à la vérité des prix donnés par les chefs dans les briefings ! Si ça réagit pas tout de suite, la direction nous mettra devant le fait accompli des mauvais coups qu’elle nous aura préparés ! J’interromps là mes évocations. Pour savoir ce qui est arrivé au retour des congés et la tournure de la grève actuelle, suite au prochain numéro.

Silien Larios