Après la manif pour tous : la gazeuse pour tous

mis en ligne le 3 avril 2013
1702NemoAujourd’hui j’ai peur. J’ai peur de déraper. La vision dimanche dernier des CRS en train de vider des gazeuses de lacrymo sur les manifestants contre le mariage homo me les a presque rendus sympathiques. Guilleret. Tout juste si je vais pas aller leur porter des croissants au petit-déjeuner. Un comble ! Car enfin on a eu beau gloser sur ces individus, serviteurs zélés du maintien de l’ordre, toujours prêts à cogner, à matraquer, à s’acharner même, les voilà, beaux comme un matin de Noël, les cuirs astiqués et le casque luisant, venus faire, avec toutes les précautions d’usage de celui assis derrière un bureau, le boulot à notre place. Vous en rêviez : Valls l’a fait…
Tous les militants un tant soit peu aguerris le savent, l’avenue des Champs-Élysées à Paris est rigoureusement interdite aux manifestations politiques ou syndicales de droite comme de gauche, pour faire simple. Celle du dimanche 24 mars n’échappait donc pas à la règle, proximité du Palais de l’Élysée oblige. Les organisateurs le savaient, même s’ils n’ont pas la culture des manifs et n’avaient donc aucune excuse sauf, et si c’en est une, une manière de se faire naïvement piéger par une savante provocation, parfaitement orchestrée et préméditée. Cela n’a rien d’incongru et est tout à fait vraisemblable. Car enfin rien d’étonnant dans ce genre de rassemblement, anti-homos, versaillais, réactionnaire, catholique traditionaliste, d’y retrouver une belle jeunesse saine, l’haleine fraîche et virile du calibre Bloc identitaire, Jeunesses nationalistes, Renouveau français, toujours prête à « casser du pédé » comme ils disent. Tout ce qu’on aime… Leur technique du débordement, de l’entrisme, de l’amalgame et de la manipulation est largement rodée et foutrement efficace, et les libéralités, la condescendance, l’aveuglement stupide et irresponsable des organisateurs ont largement facilité la tâche de ces petits anges qui ne comprennent que les aboiements, les beuglements et ne restent fascinés que par la force, l’autorité, la bière, les nuques rasées et les rangers.
Ce qui fait, malheureusement, l’intérêt de ce qui ne reste qu’une anecdote, qu’un accident de parcours, c’est la manière dont ont été traités ces incidents. Les parents, on ne va pas les plaindre, accompagnés de leurs enfants qui se sont retrouvés dans ces bagarres étaient sans doute assez peu habitués à ce genre de violence, contrairement à ceux qui n’ont eu aucun scrupule à les y entraîner. Le traitement par les médias va bien durer trois ou quatre jours, bien au-delà du temps raisonnablement habituel que les médias les plus en vue consacrent à ce genre d’événement ; sans doute la présence éclairante et éclairée de Christine Boutin sur les lieux, étalée par terre, avachie et apoplectique, à deux doigts de la mort et dont la photo va faire le tour du monde. Enfin du monde, pas tout à fait quand même.Nous sommes rassurés car elle va bien et gageons qu’elle a gardé sa capacité de nuisance intacte. M’enfin, ils ont leurs martyrs et maintenant qu’ils nous foutent la paix. « On a gazé des enfants ! » se sont d’ailleurs finement scandalisés les organisateurs. Parfaite maîtrise du langage car on devine ce qu’on peut bien mettre derrière ce genre de propos.
Tout à l’heure, j’avais un peu peur mais maintenant ça va mieux. Nos CRS ne sont pas de droite, ni encore moins de gauche. Finalement ça m’arrange. On va sans doute les revoir chez nous dans pas longtemps. Quand les syndicalistes assez mécontents de la casse sociale s’en prennent à qui de droit, ils n’amènent pas leurs gosses et les affrontements souvent violents ne font jamais l’ouverture des journaux, ni même la fermeture. Les évacuations de squats, de campements illégaux, les dispersions parfois un peu besogneuses, les queues de manifs ou les ratonnades ne font jamais l’objet du traitement inouï de celui de ces derniers jours. Et ces chiens enragés n’y vont pas toujours à l’aérosol, finalement assez bénin, mais à la grenade lacrymogène, bien souvent à tirs tendus, au canon à eau, au flash-ball, au taser et j’en passe. Eh oui, tout pour nous et rien, ou pas grand-chose, pour eux. Ça change un peu.