Sortir de l’atonie

mis en ligne le 18 avril 2013
Le 1er Mai approchant, les organisations syndicales s’en vont chacune de leur communiqué et de leur appel à manifester. L’occasion, à nouveau, de se rendre compte de l’hypocrisie de certaines d’entre elles, du moins de leur direction. Ainsi de la CFDT, de la CFTC et de l’Unsa qui, tout en soulignant « le besoin de politiques européennes qui donnent véritablement la priorité à l’emploi et à la réduction des inégalités », se félicitent encore de la signature, le 11 janvier, de l’accord national interprofessionnel, lequel montrerait « que l’action syndicale (sic !) et le dialogue social permettent d’obtenir des résultats, de construire des solutions face à la crise ». Chaque travailleur appréciera de voir ainsi considéré par ces trois syndicats un accord qui, contre des contreparties dérisoires, rend les licenciements plus faciles, instaure la mobilité forcée dans les entreprises, expérimente le CDI intermittent et supprime la sanction proportionnelle au délit pour les patrons (liste malheureusement non exhaustive). La CGT, quant à elle, si elle poursuit son « combat » contre ce sinistre accord peut toutefois nous laisser bien perplexe sur sa stratégie… Thierry Lepaon, son nouveau secrétaire général, la définissait ainsi il y a quelques semaines : « En ce moment, on rend visite aux parlementaires dans leurs permanences pour les aider à comprendre ce qu’il y a dans ce projet de loi. […] On leur explique que cet article-là veut dire ceci pour le quotidien des gens. […] On mène de même ce travail pédagogique à l’Assemblée nationale et au Sénat. Et on voit bien que les choses bougent. » Les jours qui suivirent lui montrèrent que, non, les choses ne bougeaient pas, du moins pas suffisamment, le texte de loi issu de l’accord ayant été adopté par l’Assemblée le 10 avril. Cette erreur stratégique aura néanmoins eu l’avantage de nous montrer une fois de plus qu’il n’y a absolument rien à attendre des parlementaires pour améliorer nos conditions de vie et de travail. Et qu’il n’appartient qu’à nous de nous organiser et de nous prendre en mains si on souhaite vraiment que, comme le dit Thierry Lepaon, « les choses bougent  » dans le sens de nos intérêts.
Mais, on ne le dira jamais assez, tout n’est pas non plus de la faute de nos directions syndicales. Depuis quelques temps, en France, le mouvement social est dans une atonie quasi généralisée que la très faible mobilisation des travailleurs contre l’ANI – qui pourtant s’attaque au Code du travail comme jamais cela n’avait été fait depuis des décennies – illustre parfaitement. Agacés d’être baladés de journée d’action en journée d’action pour certains, épuisés dans les luttes au sein des boîtes où ils travaillent pour d’autres, désespérés par la multiplication des échecs et la désillusion pour tous, nous avons aujourd’hui du mal à nous mobiliser contre un accord qui, dès sa signature, semblait inattaquable et acquis de fait. Mais rien n’est encore perdu et tout reste à faire, même si, sur certains points, il faut repartir à zéro.

Osons voir grand !
La sortie de « crise » (celle de la lutte syndicale et de la syndicalisation) viendra peut-être, sûrement, d’une redéfinition du syndicalisme français en fonction des leçons tirées des derniers grands mouvements sociaux et de l’évolution, rapide, de l’organisation du travail et de son marché. Elle viendra aussi, peut-être, de l’imposition de nouvelles revendications, à la fois force d’opposition et de proposition. Mais aussi – osons voir grand ! – de ponts construits avec les mouvements sociaux d’autres pays. Cela peut avoir des airs de profession de fois, mais, sans le devenir, ces idées et ces pratiques, conçues comme proche objectif à atteindre, peuvent donner davantage de portée aux actions syndicales menées aujourd’hui au quotidien. Comme l’écrivait, au début du XIXe siècle, le syndicaliste révolutionnaire Victor Griffuelhes, « notre force de création correspondra à la force acquise par l’action de chaque jour. Et nous n’oublions pas, malgré la grandeur du rôle du syndicalisme, que cette force ne s’acquerra qu’au prix de contradictions et d’incohérences ». Ces contradictions et ces incohérences sont également un aspect essentiel à prendre en compte si on veut espérer un jour voir ce vieux monde partir à la casse. Car les luttes d’aujourd’hui – celles qui, en répondant à des besoins immédiats, permettront sans doute de grossir nos organisations syndicales – ne collent pas toujours à certains principes portés par l’anarchisme comme absolus, mais qui, sans perdre de leur valeur et de leur nécessité, n’en demeurent pas moins pensables que dans le cadre d’une société révolutionnée. S’émanciper des discours immobilistes des apôtres d’un anarchisme quasi mystifié, voire religieux, est aujourd’hui primordial pour que l’anarchisme renoue avec l’ensemble, du moins la majorité, des travailleurs. Réformisme radical et révolution sont les deux mâchoires de la même bouche, celle qui engloutira le capitalisme.