Fin de conflit à PSA Aulnay : retour sur une grève à travers la presse

mis en ligne le 30 mai 2013
À la lecture des différents articles et communiqués parus sur le conflit de PSA Aulnay, nous sommes heureux de constater que, encore une fois, la lutte paie. Cependant, les enjeux et le contexte de ce conflit et du protocole auquel il a abouti sont d’une importance telle qu’il faut prendre le temps d’analyser la chose.

Un protocole donnant-donnant
Comme l’a indiqué Jean-Pierre Mercier, délégué syndical CGT du site et membre actif de Lutte ouvrière, sur le site de la CGT Aulnay, les grévistes ont obtenu : « La prime de licenciement supralégale qui est passée de six mois à douze mois. Pour les travailleurs âgés, le départ anticipé est passé de trente à trente-six mois. Les critères restrictifs pour toucher les primes de déménagement ont été quasiment annulés. La prime de mutation est passée de 5 000 euros brut imposable à 5 000 euros net non imposable. […] La réintégration des quatre salariés honteusement licenciés. Ils pourront bénéficier des mesures du PSE ou de la possibilité de reclassement à la RATP, SNCF ou ADP. L’annulation des procédures de licenciements contre les délégués. L’annulation de toutes les poursuites pénales et disciplinaires. Des garanties écrites concernant les mutations. Une indemnité forfaitaire supplémentaire pour ceux qui choisiraient de quitter l’entreprise avant le 31 mai. Les journées de grève sont neutralisées pour le paiement des journées de chômage, du calcul de la prime de 13e mois, des jours de congés payés, des jours fériés, ce qui atténue fortement les pertes financières de la grève. La grève reste la meilleure arme des travailleurs ! »
C’est certain ! Et c’est d’ailleurs loin d’être rien. Il est déjà difficile d’aboutir à un protocole, encore plus à un protocole avec beaucoup de gains pour les travailleurs.
Cependant, il convient de préciser que la CGT a dû elle aussi faire des concessions. Elle renonce à « son recours contre le plan de restructuration du groupe », comme le précisent Le Figaro et Les Échos. Ce dernier cite d’ailleurs le DRH : « Il restait deux problèmes : la grève à Aulnay et la contestation juridique devant la cour d’appel de Paris. » La direction craindrait-elle de devoir revoir sa copie ? Y aurait-il des anomalies ? SUD poursuivant sa plainte, ainsi que des syndicalistes de la filiale Faurecia, nous devrions être informés début juin 1.
La puissante et riche famille Peugeot, qui a fait sa fortune grâce au travail de ses ouvriers et qui continue de vouloir augmenter ses profits à tout prix, même en licenciant ceux qui ont bâti sa fortune, a donc été obligée de faire des concessions non négligeables face aux grévistes. Ces derniers, en revanche, n’ont pas abouti à leurs revendications principales, à savoir « faire reculer PSA sur la fermeture de l’usine ou à obtenir un CDI pour tous et une préretraite dès 55 ans », comme le rappelle Jean-Pierre Mercier.

Un conflit difficile
« Ce conflit concernait environ 130 personnes sur les 2 500 salariés du site », « ce traitement, jugé injuste par des non-grévistes malmenés pendant le conflit », un « climat de terreur que faisaient peser les grévistes sur les autres salariés » : ainsi s’insurgeait Le Figaro ces derniers temps. « Le climat dans l’usine était dégradé au point que le groupe avait mis au point des mobilités temporaires vers Poissy pour les salariés qui ne voulaient plus aller travailler à Aulnay. Le directeur financier, Jean-Baptiste de Chatillon, avait même évoqué la possibilité d’une fermeture anticipée de l’usine, face à l’impossibilité de reprendre la production » : ainsi Les Échos relatait-il les faits. Une toute petite minorité qui bloque, focalise l’attention de tout un pays, refuse de collaborer avec cette politique d’entreprise et s’oppose à tout ce qui va contre ses intérêts avec peu de considération pour la majorité qui ne veut pas se mouiller. Telle est la réalité du quotidien des quatre mois de conflits, dont les trois premiers mois auront coûté 14 000 Citroën C3 à PSA. Beaucoup de courage et de détermination pour surmonter la faiblesse du mouvement comparativement à l’ensemble du groupe. Jean-Pierre Mercier regrettera d’ailleurs « que la grève ne s’élargisse pas à l’ensemble du groupe et de la filière automobile » dans une interview à Libération le 17 mai.
Le matin du 7 mai, les grévistes avaient occupé des locaux de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle pour « demander l’intervention de l’état ». Désespoir des grévistes ? Plutôt une dénonciation d’un gouvernement qui se présente comme proche des salariés et des syndicats, mais surtout un coup médiatique et une pression sur l’administration. Beaucoup de grévistes ont pris de gros risques durant ce conflit. Comme le rappelle Le Figaro sur son site le 7 mai : « Les grévistes réclament que PSA “efface l’ardoise”, les procédures disciplinaires », et qu’« aucune discrimination » ne soit exercée contre les grévistes. « Quatre salariés ont été licenciés et des procédures sont en cours pour trois autres, des délégués syndicaux. » C’est que le plan social négocié auparavant prévoit des postes dans le public pour les licenciés : « La RATP, la SNCF et Aéroports de Paris se sont par ailleurs engagés à reprendre d’ici à 2015 quelque 300 personnes », comme nous le rappelle Le Monde le 29 avril. Il est important que le casier judiciaire soit vierge pour en bénéficier.
Parallèlement, PSA organisait « la production de la C3 sur l’usine de Poissy, dont les cadences ont dû s’accélérer. Le site yvelinois devait ainsi rattraper d’ici au mois de juin 14 000 C3 qui n’ont pas pu être assemblées à Aulnay. Malgré cette précaution, les concessionnaires se plaignent de délais de livraison importants sur la petite citadine ». (Les Échos, le 21 mai 2013.)

Des foutaises d’État
L’aile droite du Parti socialiste a affiché la couleur face à l’irruption des salariés dans leur meeting : « Nous avons été choqués par l’intervention musclée, au conseil national du Parti socialiste, de militants d’extrême gauche qui n’ont cessé de refuser tout compromis et tout dialogue social dans leur entreprise. Et nous avons été stupéfaits de voir leurs propos véhéments, déraisonnables et de mauvaise foi contre la politique gouvernementale. » On perçoit la logique à l’œuvre…
Montebourg l’éclaircira. L’État garantit 7 milliards à PSA contre un administrateur salarié au conseil, un autre de l’État, le blocage des dividendes et rachats d’actions, et la non-fermeture d’Aulnay. Le salarié administrateur est finalement un délégué de FO Métallurgie, fédération peu réputé pour sa combativité, l’État sera représenté par Louis Gallois, dont les positions libérales sont dans les esprits de ceux qui s’intéressent à la vie politique, la résolution sur les mouvements d’action a été adoptée en conseil d’administration bien que non appliquée (mais pour combien de temps…) et Aulnay ferme bientôt. Mieux encore, le 14 mai PSA a reçu le label Origine France de la part du ministre…
Pendant ce temps, PSA ouvre des négociations pour un « nouveau contrat social » pour expliquer aux syndicats qu’il va falloir se serrer la ceinture, à l’image des négociations chez Renault, Bosch, etc. Rappelons, tout d’abord, le contexte politique. La campagne présidentielle était une formidable occasion de médiatisation des enjeux des fermetures d’usines. Le patronat le comprenant et craignant pour ses intérêts va donc faire en sorte d’éviter d’ébruiter l’affaire, ainsi que celle de nombreuses autres entreprises. Le plan social sera retardé et caché, et on peut se demander si la caisse de solidarité des patrons de la métallurgie a fonctionné à plein régime durant ce conflit. PSA doit donc faire face à un marché qui s’était déjà beaucoup restructuré pour faire face aux difficultés et annonce sa stratégie en plein conflit à Aulnay, en pleine adoption de l’accord national interprofessionnel (ANI).
Montebourg a beau, de temps à autre, expliquer que la nationalisation reste possible et est une arme à la disposition des États, dans le cadre de l’Union européenne, cela serait considéré facilement comme une concurrence déloyale. D’ailleurs, rien qu’au sujet des 7 milliards Le Monde nous rappelait, le 3 mai, que « Bruxelles a, dans la foulée, ouvert une enquête approfondie au sujet du plan de restructuration du groupe Peugeot, et d’une garantie de 7 milliards d’euros dont sa filiale bancaire a bénéficié de la part de l’actuel gouvernement ». De même, avec une austérité gravée dans le marbre avec l’adoption du traité de stabilité, on voit mal l’État sortir encore beaucoup de milliards à l’avenir.
Pour quoi faire de toute façon ? Libération a d’ailleurs bien expliqué la chose le 6 mai 2013 : « Les syndicats de France Télécom accusent [l’État] régulièrement de valider le versement de dividendes jugés trop élevés. Le pouvoir de l’exécutif dans les sociétés cotées est très limité. […] En clair, l’État n’a pas le droit d’imposer des mesures contraires à l’intérêt des entreprises. » Une journaliste du quotidien, le même jour, ira même plus loin en plein conflit à Aulnay : « Et vendre des parts dans des entreprises publiques pour financer un réseau de PME laissé à l’abandon comparé à celui de l’Allemagne. »

Solidarité et essoufflement
« Beaucoup n’en avaient pas les moyens, mais nous soutenaient », raconte Philippe Julien, délégué CGT d’Aulnay, au Monde le 18 mai. « On était 600 grévistes au début du combat, on a terminé à plus de 200, avec un fort soutien des non-grévistes », déclarait Mercier à Libération le 17 mai. « Le manque de moyens a d’ailleurs contribué à l’essoufflement du mouvement, même si la CGT avait organisé plusieurs opérations “péage gratuit” pour récolter de l’argent auprès des automobilistes », précisent Les Échos du 21 mai. En tout, et pour le moment car les dons vont probablement continuer à arriver, près de 900 000 euros ont été récoltés pour les grévistes. La solidarité, si elle n’a peut-être pas été suffisante, a été incontestablement très importante. Elle montre d’ailleurs la vitalité du mouvement de soutien.
Hélas, elle n’est pas suffisante pour faire perdurer le mouvement. La détermination de PSA est grande et l’isolement des grévistes d’Aulnay est certain. C’est une petite victoire assurément, mais une réelle victoire dont la classe ouvrière avait bien besoin. La suspension de la grève ne devrait pas, sauf coup de théâtre, redéboucher sur une reconduction, surtout si « près de 130 grévistes sur 180 ont choisi de partir avant la fin du mois de mai, tandis que 50 d’entre eux ont préféré demander un reclassement en interne ». Les restants seront probablement isolés. Cela dit : « “D’accord, il fallait trouver une solution, mais ils vont être obligés de généraliser ces indemnisations pour tout le monde, sinon, ça va chauffer”, prévient Brahim Loujahdi, délégué CFTC de l’usine. » (Le Figaro, le 17 mai). Chiche ?


Nathan
Groupe Salvador-Seguí de la Fédération anarchiste






1. Un conflit entre la CGT et le représentant de SUD a surgi durant ce conflit. Il nous est difficile ici d’expliquer le peu d’éléments connus sur ce sujet, mais nous nous devons de constater que certaines divisions dangereuses entre syndicats combatifs perdurent et qu’elles sont regrettables.