La valise mexicaine

mis en ligne le 30 mai 2013
Cette exposition présente la fameuse et mystérieuse « valise mexicaine » de Robert Capa. De quoi s’agit-il ? En fait de trois boîtes contenant les négatifs de 4 500 photographies prises par Capa, sa compagne Gerda Taro et leur ami Chim, durant la guerre civile espagnole de 1936 à 1939. Ces trois boîtes de rouleaux photos avaient disparu en 1939 (en France) et ne sont réapparues après bien des pérégrinations qu’en 2007 à… Mexico. Elles sont présentées aujourd’hui à Paris au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme 1. Raison évidente du choix du lieu, l’origine des auteurs : Robert Capa (de son vrai nom Endre Ernö Friedmann), juif hongrois, Gerda Taro (Gerta Pohorylle), juive allemande, Chim (Dawid Szymin alias David Seymour), juif polonais, auxquels il faut adjoindre Fred Stein, juif allemand dont certains clichés datant de 1935 figurent aussi dans l’exposition (à cette époque Gerda Taro louait une chambre dans l’appartement de Chim). Quatre juifs donc fuyant les persécutions dans leur pays, se retrouvant à Paris puis se rendant (pour les trois premiers) dans l’Espagne révolutionnaire.
Nous avons donc accès à des planches-contact et à certaines photos qui en sont extraites, présentant un intérêt certain. Celles de Chim – destinées au magazine communiste Regards – sont prises en 1937 au Pays basque. Celles de Capa et Taro concernent, elles, Barcelone, le front d’Aragon et Madrid. C’est d’ailleurs près de Madrid, pendant un combat à Brunete en juillet 1937, que Gerda Taro perdra la vie, écrasée accidentellement par un char d’assaut républicain, et devenant ainsi la première femme photographe tuée au combat. Capa et Taro, dont les photos étaient destinées au magazine Vu, ont pratiquement inventé (ou réinventé) le photoreportage de guerre en opérant au plus proche des combats.
Un autre intérêt de l’exposition est de rendre à César ce qui appartient à César, en l’occurrence à Gerda Taro, dont le travail a souvent été occulté ou attribué à son compagnon Robert Capa. Ici on peut voir les planches de l’une et de l’autre côte à côte et les comparer. Ainsi par exemple cette barrière fortifiée photographiée par Capa : miliciens de dos, dirigeant leurs fusils vers l’ennemi. Sur la photo de Taro, le même mur fortifié, les mêmes fusils posés dessus et dirigés vers l’ennemi, mais plus un seul milicien ; explication : c’était l’heure de la sieste !
Exposition intéressante donc, mais deux réserves : d’abord, à part les photos et les reproductions de unes de journaux, les planches-contacts, sont difficiles à visualiser, même avec les tablettes-loupes mises à disposition par le musée. Ensuite, les reportages ont été effectués dans le cadre des Brigades internationales et du 5e régiment de Lister (le fossoyeur des collectivités d’Aragon). Autant dire que les anarchistes ne sont guère présents sur ces photos ; ce qui n’est pas une raison de se priver d’une visite à ce musée.
Une autre raison ? Un cliché (le plus beau à mon avis) de Robert Capa pris à Paris en 1935. On peut voir sa compagne Gerta Taro en pyjama, allongée sur son lit et dormant toujours, absolument radieuse dans la beauté de ses vingt-cinq ans et semblant avoir, comme disait Rimbaud, « réinventé l’amour ».


Rosine Pélagie
Groupe Salvador-Seguí
de la Fédération anarchiste




1. Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, 71, rue du Temple, 75003 Paris. Métro Hôtel-de-Ville ou Rambuteau. Entrée : 7 euros. Jusqu’au 30 juin 2013.