L’heure du syndicalisme révolutionnaire est arrivée

mis en ligne le 6 juin 2013
17091ermai1936Dimanche, le «peuple souverain» a voté. La victoire tant attendue du Front populaire est établie. Maintenant, il va falloir agir. La situation économique actuelle nécessite des solutions hardies. Les hommes qui ont capitulé devant le mur d’argent en 1926, devant l’émeute en 1934, sont incapables d’envisager ces solutions. Les fonctionnaires, au moment de l’application des décrets-lois, ont manifesté aux cris de : « Daladier au pouvoir, la police avec nous. »
Si nous donnons tout son sens à ce cri, «Daladier au pouvoir», cela voulait dire que, lorsque ce dernier sera de nouveau au gouvernement, ces décrets de misère disparaîtraient. Aujourd’hui, le Front populaire est moins affirmatif, on parle seulement de les humaniser.

C’est une capitulation anticipée
La crise budgétaire, l’assaut de la finance, qui est déjà commencé détermineront une aggravation de la crise économique, la lutte des classes va s’accentuer. La désillusion sera grande. Jusqu’alors, le Parti socialiste, malgré l’exemple malheureux de tous ses partis frères en Europe, s’est toujours maintenu par une démagogie adroite. Son argument décisif était qu’il n’avait jamais été amené à prendre le pouvoir : demain, il y sera. Toutes les habiletés de Léon Blum ne pourront que retarder l’échéance de la faillite, mais ne l’éviteront pas. L’heure n’est plus aux habiletés politiques, aux combinaisons de couloir, elle est à l’action.
Le terrible problème du chômage est là, il faut le résoudre. Il faut donner à manger à ceux qui ont faim : l’adresse peut permettre d’échapper à certaines, mais ne résout rien. On dit souvent que l’histoire est un éternel recommencement. Si cela n’est pas absolument exact, il est certain que les mêmes situations déterminent des réactions à peu près identiques. Si l’on se reporte à la fin du siècle dernier, au moment de l’affaire Dreyfus, on retrouve une situation politique assez semblable à celle présente. À cette époque aussi, une sorte de Front populaire s’était constitué pour lutter contre l’antisémitisme, le nationalisme, qui représentaient le fascisme de ce temps. Dès la victoire, les partis politiques se sont précipités à la curée, ce fut l’époque où fleurit le millerandisme. Mais la classe ouvrière, se détournant de ces partis, affirma son droit de cité.
Des hommes venus de l’anarchisme, du socialisme révolutionnaire se rencontrèrent sur cette plate-forme nouvelle, le syndicalisme révolutionnaire. Sous leur influence, les organisations économiques du prolétariat se déclarèrent majeures, elles prétendirent que, par leur propre action directe sur le terrain du travail, dans les luttes journalières, les travailleurs trouveraient la voie de leur émancipation. Ce fut cette idée-force qui anima le syndicalisme français d’avant-guerre.
Et lorsque l’on voit les dirigeants de la CGT à la recherche d’une idée-force, d’une mystique, on est en droit de sourire, lorsqu’on les voit tenter de les établir autour de leur fameux plan de travail.

Une idée-force ?
Mais le syndicalisme la possède en lui-même. C’est l’affirmation de la capacité créatrice des masses ouvrières. Mais aujourd’hui les chefs de la CGT sont devenus sceptiques, ils n’y croient plus. Ils n’ont plus confiance que dans un bon gouvernement qui voudra bien condescendre à prendre leur plan au sérieux.
Pourtant, malgré eux, la classe ouvrière passera d’ici peu à l’action, poussée par les nécessités économiques. Les dirigeants confédérés devront rompre avec le Front populaire s’ils ne veulent pas se couper de leurs troupes.
Alors, face à la banqueroute des partis, comme après l’affaire Dreyfus, le syndicalisme révolutionnaire deviendra le pôle attractif des ouvriers désillusionnés. Cela est indispensable ou alors le fascisme l’emportera.
Donc, une fois de plus, il sera prouvé que le prolétariat ne doit attendre que de lui-même sa libération. Les solutions révolutionnaires à la crise s’imposeront dans tous les esprits. Face aux partis politiques et à tous les gouvernements, la classe ouvrière devra revendiquer son droit à la possession et à la gestion des moyens de production et d’échange.
Elle seule est capable d’établir une juste répartition de la production.
L’heure du syndicalisme révolutionnaire est arrivée.
Dès maintenant, la minorité de la CGT se doit de l’affirmer.


Frémont
Le Libertaire, 1er mai 1936