Pneumatiquement vôtre

mis en ligne le 20 juin 2013
Alors que le chômage ne cesse d’augmenter en France et que le gouvernement socialiste s’embourbe dans une politique libérale à moitié assumée, l’usine Michelin ne trouve rien de mieux que d’annoncer la suppression de 700 emplois dans son usine de Joué-lès-Tours. Pourtant, financièrement, la boîte n’est pas à plaindre, et la hausse de 24,5 % de son résultat d’exploitation en 2012 doit même rendre jaloux plus d’un patron. Alors, pourquoi fermer ? D’après la direction, le secteur des pneus pour poids lourds – principalement produits à Joué-lès-Tours – connaîtrait depuis quelques années un déclin aujourd’hui significatif (surcapacité de 50 %, paraît-il) et l’activité de l’usine de Joué-lès-Tours poserait donc de sérieux problèmes de rentabilité à ceux qui ne jurent que par ce mot.

La migration ou le licenciement
Michelin prévoyait le coup de longue date puisque, depuis 2011, les départs en retraite n’étaient plus remplacés et les CDD ne se voyaient plus renouvelés. Le leader du pneumatique n’en est pas non plus à son premier coup : en 1999, le bougre avait déjà annoncé la suppression de 7 500 emplois malgré la réalisation d’énormes bénéfices. Pour se donner une idée de cette remarquable (sic) continuité de la politique d’entreprise de Michelin, sachez que l’usine de Joué-lès-Tours ne comptait pas moins de… 4 000 salariés dans les années 1980 ! Un précédent plan social avait déjà supprimé 340 postes en 2009, alors que le site employait 1 200 personnes. Pour l’heure, on en compte 930, mais si Michelin vient à satisfaire ses récents désirs, la masse salariale de l’usine de Joué-lès-Tours tomberait à 230. Soit plus de 3 770 emplois supprimés en même pas trente ans !
Pour faire passer la pilule, Michelin prétend écarter, pour l’instant, toute idée de départs contraints. Des retraites anticipées devraient ainsi être proposées aux potentiels bénéficiaires. Quant aux autres, l’aimable direction leur laissera un choix de premier ordre : le licenciement ou la mobilité. Pour aller où ? À La Roche-sur-Yon, en Vendée, soit à plus de deux cent cinquante kilomètres… Une mobilité qui a des airs de migration. Et un choix qui n’en est pas un. Ce que confirme d’ailleurs Claude Guillon, délégué CGT de l’entreprise, dans L’Humanité du 8 juin 2013 : « Malheureusement, nous estimons qu’environ 300 personnes pourraient être licenciées et ne pourront pas bouger, parce que les conjoints ont un travail dans l’agglomération de Tours. » Pour Olivier Coutan, délégué SUD, les « mesures de mobilité [sont] impossibles à accepter pour la plupart ». Autrement dit, elles ne sont là que pour soulager la conscience de Michelin (mais en a-t-il seulement une ?) et le faire passer pour un bon petit patron attaché au sort de ses salariés qu’il dégage pourtant à grands coups de pompes cirées.
Lundi 10 juin, révoltés et dégoûtés par cette annonce, 150 salariés de l’usine de Joué-lès-Tours ont débrayé et dénoncé les ambitions antisociales de leur patron. D’autant que, malgré le maintien de deux activités et la préservation de 180 emplois, c’est assurément la fermeture de l’ensemble du site qui se dessine à moyen terme. Pour l’instant, les salariés n’en sont qu’aux débrayages, mais ils promettent déjà une forte mobilisation. « Nous sommes déterminés et nous envisageons toutes formes d’action, même les plus dures s’il le faut », a affirmé, lundi, la CGT. Gageons que leurs camarades et collègues des autres sites leur emboîtent le pas pour que, sous la pression de grèves multiples, Michelin se carre son avidité dans le derrière.

Le discours dominant
Les jours suivant l’annonce des suppressions de postes, économistes et experts ès tout sujet se sont succédé à la télé et à la radio pour expliquer au brave citoyen que, à bien y réfléchir (et, croyez-moi, il remue bigrement leurs méninges !), cette décision faisait honneur à Michelin. Ainsi, la direction, mue par un humanisme fondateur, aurait depuis toujours essayé de prévoir les coups durs, et ce afin d’éviter les mesures de redressement trop radicales. Mais vraie ou pas, cette assertion n’enlève cependant rien au fond du problème : dans l’urgence ou dans la prévision, ce sont toujours les salariés qui payent les frais des réajustements. Pouvions-nous toutefois nous attendre à autre chose ? Non. Pas tant qu’on refusera de reconnaître que le travail n’est pas un coût (et encore moins un coût qu’il faudrait réduire pour remonter la pente de la sacro-sainte croissance), mais bien la base de toutes les richesses produites. Mais reconnaître cela, c’est déjà admettre la nécessité absolue d’un changement radical de société.