Producteurs, sauvons-nous nous mêmes…

mis en ligne le 20 juin 2013
J’ai basé mes dernières chroniques sur les analyses de Réseau salariat et de Bernard Friot dont je ne peux que vous recommander la lecture assidue. Extraits de leur manifeste Pour un statut politique du producteur : « Depuis plus de trente ans, l’entreprise de “réforme” engagée vise à disqualifier les salariés comme producteurs de valeur économique, dans le but de les enfermer dans un univers marchand où la délibération politique n’a plus droit de cité. Ainsi faut-il comprendre les attaques contre les statuts professionnels (fonction publique, régimes spéciaux, intermittents du spectacle, etc.), le développement des rémunérations conditionnées à l’atteinte d’objectifs, la substitution de la “compétence” à la qualification et le développement d’une fiscalité tutélaire en lieu et place du salaire (contrats aidés, crédits d’impôts, etc.). »
Que nous disent ces attaques, menées tant par la droite que la gauche ? A contrario, « que nous apprennent le statut du fonctionnaire et la situation des retraités ? Qu’il est possible de travailler hors du marché du travail et de l’emploi, grâce à l’attribution d’une qualification personnelle et d’un salaire à vie. Parallèlement, la cotisation sociale ouvre une perspective à ce jour encore inexplorée : celle de faire des salariés que nous sommes des producteurs dotés d’un statut politique leur permettant de maîtriser l’investissement. Autrement dit, il s’agit de lier les trois termes suivants, constitutifs du salariat émancipé : premièrement, la qualification personnelle en tant qu’expression du potentiel de création de valeur économique du travailleur, ensuite, le salaire à vie qui lui correspond, enfin, la cotisation sociale comme technologie de financement permettant la maîtrise de la répartition de la valeur ajoutée. L’articulation de ces trois termes porte en elle la possibilité révolutionnaire de transformation du salarié en un sujet politique dans une organisation de la société véritablement démocratique.
» Maîtriser démocratiquement l’investissement est à notre portée, cela contre la propriété lucrative, au nom de laquelle les soi-disant “investisseurs” prétendent légitimer la ponction sans cesse accrue qu’ils opèrent sur la valeur ajoutée.
» Pour ce faire, la cotisation sociale est notre modèle : collectivement délibérée et répartie sans passer par l’accumulation financière ni le crédit, elle a fait ses preuves en finançant pendant des années la santé, la retraite, le chômage et la famille. Cette réussite fonde la possibilité de son extension pour financer l’investissement.
» Cette extension peut opérer à travers une cotisation-investissement (ou cotisation économique), répartie par des caisses d’investissement créées sur le modèle actuel des caisses de sécurité sociale, et dont la gestion démocratique serait le pendant. Une telle extension de la cotisation ouvre à la maîtrise des choix, des moyens, des conditions, des objets et des niveaux de production par ceux qui créent la valeur économique ».
Aucun projet, aucune politique à droite ou à gauche, pour « résoudre le problème des retraites, des déficits, etc. », (mais aucune riposte à « la réforme » non plus !) n’a pour perspective une remise en cause du discours dominant, des arguments patronaux, parce qu’aucun ne désire la fin du capitalisme. Donc tous font de la gestion, de l’accompagnement, prennent ou contestent des mesures qui amputent les droits acquis, mais aucune alternative. Et chez les opposants, il ne s’agit bien souvent que de slogans sympathiques, vus et revus, mais sans aucun poids. D’analyse fouillée, de réflexion d’ensemble, pointue, on ne trouve guère…
Là où cela devient rigolo, c’est que la seule alternative digne de ce nom (que je connaisse) prend pour base révolutionnaire anticapitaliste la promotion du salariat. Pour le lecteur ou la lectrice qui ne se souvient pas des principes de base de la Fédération anarchiste (et c’est bien envisageable), je rappelle que s’y trouve l’abolition du salariat. Vue l’absence totale de réactions aux dernières chroniques, plusieurs hypothèses : certes, je ne peux pas ne pas prendre en compte la possibilité de l’illisibilité desdites chroniques. Un lecteur qui, en début d’année, dénonçait plusieurs de nos travers, ne manquera pas de pointer une formation économique déficiente. À moins qu’il y ait tant de chats à fouetter ou de chameaux à faire passer dans le chas d’une aiguille, (au sens figuré évidemment : aucun animal, sauf peut-être l’anarchiste, n’a été brutalisé dans cette chronique) que la contradiction ne soit pas apparue aussi nette. La voilà formulée noir sur blanc. (Chat !)