Salaire émancipateur !

mis en ligne le 27 juin 2013
Doit-on supprimer le salariat pour supprimer le capitalisme ? Les deux sont-ils irrémédiablement liés ? Peut-on concevoir pour le salariat un avenir autre, opposé à l’exploitation ? Sur les sites, les mêmes arguments se succèdent, souvent (sans le savoir !) inspirés de Proudhon et (revendiqués ! proclamés !) de Marx : le salarié n’est pas payé à hauteur des richesses qu’il produit, le patron se met le reste dans la poche, cela s’appelle plus-value ou survaleur. Les profits trouvent là leur origine. Je simplifie beaucoup, mais ce n’est pas ce que je cherche à développer. Ainsi, le salariat, c’est vendre sa force de travail, c’est se vendre, c’est subir une oppression. Nous contestons la propriété privée des moyens de production ? À bas le capitalisme ! Donc, abolition du salariat !
Mais que critiquons-nous dans le salariat ? « Le salariat, j’ai lu, c’est la forme la plus subtile de l’exploitation et de l’oppression. On se croit « libre travailleur », mais on subit l’enfermement au travail tout en n’étant soi-même qu’une marchandise concurrente des autres travailleurs sur le marché du travail. » Oui, le salariat existe avec le marché du travail, le marché de l’emploi. Avec ce que cela implique de soumission, d’humiliation, de dépendance vis-à-vis de l’employeur… Peut-on imaginer un salariat qui ne soit pas dépendant d’un marché de l’emploi ? Ce n’est pas parce que l’aviation, l’ordinateur, le conteneur et la Sécu ont été inventés sous le capitalisme qu’ils disparaîtront avec lui.
J’ai trouvé aussi, sur Internet : « Le travail capitaliste – le salariat – engendre, exige, l’atomisation des travailleurs, leur solitude, la division de leur vie au travail et hors travail, leur soumission institutionnelle, la division entre ce qui serait « politique » et non politique, économique, existentiel ; bref l’oppression du travail salarié engendre, exige la décomposition de l’existence des travailleurs. » Ouais… On peut dire aussi exactement le contraire : le salariat, ça socialise, ça permet de voir du monde, de se rencontrer au boulot ou hors boulot, cela permet de soulever des problèmes, de se poser des questions sur son travail, ses buts affichés et réels, sur les moyens d’améliorer ou de bouleverser les conditions de travail, la production, la société, d’organiser les luttes, etc.
Perso, pour avoir connu les joies des contrats précaires, l’intermittence, la course aux cachets et aux petits boulots, je vous le dis, avoir un salaire qui tombe tous les mois, ça fait du bien au moral. C’est con, hein, mais cela me rassure. J’ai des angoisses, mais plus celle de n’avoir rien demain. Donc si je laisse un moment de côté les proclamations péremptoires, je me dis que je n’ai jamais été aussi « confort » que depuis que j’ai un salaire. Et je ne dois pas être le seul… Ce salaire dépend de ma qualification (fonctionnaire !), qui n’a rien à voir avec mon sexe, le métier de mon père, sa corporation, mes origines ethniques ou de caste. Eh oui ! Parce que l’aliénation salariale et l’exploitation capitaliste, d’accord, mais avant et ailleurs, c’est pas vraiment l’émancipation !
Et je ne vois aucun inconvénient à ce que ce statut de qualifié et donc de salarié à vie soit généralisé à l’ensemble de la population, dans une échelle de salaires réduite. Qu’une part de mon salaire soit socialisé et utilisé par la société pour répondre aux besoins collectifs me semble l’évidence.
Or, si les entreprises (appelons-les coopératives) ne paient plus de salaires directement à leurs salariés, mais versent l’argent à une caisse générale (une mutuelle, au sens premier) qui rémunère en fonction des qualifications. Si les salaires brut comportent les salaires net, ainsi que la Sécurité sociale et l’investissement. La valeur ajoutée de l’entreprise est socialisée, le profit est supprimé. Si ces caisses mutuelles, dirigées par les producteurs eux-mêmes, ont la maîtrise de l’investissement, elles peuvent financer projets, productions, chantiers sans remboursement et sans taux d’intérêt. (Plus besoin d’actionnaires ou de prêteurs !) Elles décident de la viabilité et de l’utilité des projets. Se pose la question de quoi et comment produire ? Les salariés, qualifiés comme (les vrais) producteurs (de richesses) et reconnus comme tels, tranchent les conflits sur les valeurs d’usage à produire, sur les conditions de travail, sur le périmètre de l’entreprise et les relations interentreprises. Le crédit bancaire est supprimé. La monnaie n’est plus créée en anticipation du rendement d’un investissement, comme le font les banques, mais en prévision de la qualification de nouvelles personnes (productrices de richesses). Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes ! À bas le capital ! Vive le salariat !