Décès de Maurice Nadeau : à 102 ans, il est mort au travail

mis en ligne le 27 juin 2013
Maurice Nadeau nous a quittés. Il était un infatigable travailleur. J’ai fait sa connaissance en 1985, dans le local de La Quinzaine littéraire, lorsque toute l’équipe logeait rue du Temple avant de s’installer face à Beaubourg. Je me revois franchissant pour la première fois la grande porte cochère bleue puis monter l’escalier le cœur battant. J’étais un tout jeune écrivain, un sans nom. Assis derrière son bureau, une cigarette blonde fumant dans le cendrier, il corrigeait les épreuves de la prochaine livraison. Anne Sarraute, sa très fidèle amie, se tenait à côté de lui. Il me demanda d’un ton bourru ce que je voulais : « Écrire dans votre journal », lui dis-je. Dans un tas de livres qu’il avait à portée de main, il en sortit un et me le tendit. « Voilà, me dit-il, tu n’as qu’à écrire là-dessus. » Ce fut ainsi que commença une collaboration qui devait durer cinq ans. Maurice n’était pas un homme qui se livrait facilement. Le principe étant accepté qu’il ne paierait jamais un seul article, il ne restait plus qu’à travailler. Les collaborateurs étaient payés en livres mais chichement et les premiers servis emportaient les meilleurs. Maurice savait exactement ce qu’il pouvait obtenir de ses pigistes. Serge Fauchereau, lui et moi-même étions originaires de la même région des Charentes. Il aimait le souligner, quelquefois avec un certain chauvinisme. La dernière fois que nous nous sommes revus, nous sommes allés déjeuner dans un petit restau des Halles, avec un jeune écrivain lui aussi charentais et qu’il aimait bien. Les mondanités et les obligations n’avaient pas eu raison de sa simplicité et de son naturel. Il était réellement très attachant malgré le cynisme dont il faisait parfois preuve à l’encontre de ses collaborateurs de plume. Maurice Nadeau était un remarquable découvreur de talents et respectait scrupuleusement la liberté d’autrui. Parmi tous ces talents, il ne faut pas oublier le principal. Maurice était un remarquable écrivain, un immense lecteur et un essayiste de premier ordre. Son célèbre Flaubert n’a pas pris une ride. Il fut, il restera une figure majeure de la littérature du XXe siècle et un immense professionnel, l’un des rares qui avaient réellement compris que le livre, avant d’être un produit, était un transmetteur d’idées et de pensées. Au revoir Maurice, bon vent dans l’infini et un petit salut de notre part à Gustave, Malcom, et les autres, lorsque tu les verras.



Claude Margat