éditorial du hors-série n°50

mis en ligne le 17 juillet 2013
Le pirate comme miroir de nos sociétés

Les pirates fascinent. Et ils fascinent tellement qu’ils ont depuis longtemps investi notre imaginaire collectif pour, finalement, s’y faire une bonne place. Immortalisés par la littérature – de L’Histoire générale des plus fameux pyrates de Daniel Defoe (1724) au Pirates de Michael Crichton (2009), sans oublier, bien sûr, les classiques de notre jeunesse comme L’Île au trésor de Robert Louis Stevenson (1881) – et le cinéma – du Pirate Ship de Lewin Fitzhamon (1906) au dernier volet en date de Pirates of the Caribbean (2011), en passant par des chefs-d’oeuvre cinématographiques comme The Black Pirate d’Albert Parker (1926) –, ils ont également été l’objet de plusieurs études universitaires (études d’ailleurs difficiles en raison d’une mythification de la figure du forban). Normal, me direz-vous, les pirates existent depuis que la marchandise circule sur les mers et les océans… ce qui ne remonte pas à hier ! Et, bien que voguant sur les flots depuis l’Antiquité (souvenez-vous de ces pirates qui harcelèrent les navires de la Méditerranée avant d’être « éliminés » par Pompée en 67 av. J.-C.), ils défraient encore parfois la chronique en ce début de XXIe siècle (en témoignent, notamment, les récents épisodes en Somalie). Mais, alors, pourquoi ces « gueux de mers », comme disait Gilles Lapouge, nous fascinent-ils autant ? Parce qu’ils font peur et que cette peur est largement entretenue par les légendes les plus noires – et les plus fantasques – qui circulent à leur sujet (et qui, dans une certaine mesure, les servent aussi). Mais aussi, et surtout, parce que les pirates 1 des XVIe et XVIIe siècles – période considérée comme l’âge d’or de la piraterie – ont toujours plus ou moins incarné une certaine idée de la liberté (qui est aussi celle de l’aventure) et de l’égalité. Partage équitable du butin, « sécurité sociale » avant l’heure, élection des responsables, prises de décisions en assemblée, dépassement – relatif – de quelques préjugés sexistes et racistes : certains équipages pirates ont en effet expérimenté des pratiques en totale rupture avec la société occidentale de l’époque. Pour autant, non seulement tous ne l’ont pas fait, mais l’aventure pirate comptait aussi son lot de misère, de malheur, de souffrances, que les forbans infligeaient et subissaient. Et s’il est compréhensible que, de par quelques aspects, elle conduit aujourd’hui certains de nos contemporains – et parfois camarades – à la fantasmer, il est néanmoins nécessaire de conserver un regard critique et de ne pas faire de la piraterie ce qu’elle n’était assurément pas, c’est-à-dire un embryon de l’anarchisme à venir. La fameuse colonie Libertalia décrite par Daniel Defoe n’a jamais existé, et il est peu probable que les pirates aient un jour pensé un projet de société quelconque, et encore moins révolutionnaire. Et de même régnait-il plus souvent sur les navires pirates une discipline de fer qu’une parfaite démocratie directe. Libertaire ou pas, il est en revanche indéniable que la piraterie s’inscrit pleinement dans la lutte des classes. Réaction violente à un ordre social et économique profondément inégalitaire et encore plus violent, elle est révélatrice de l’organisation de nos sociétés d’hier et d’aujourd’hui. Et sa persistance en 2013 montre bien que, si le monde a beaucoup changé depuis l’Antiquité, il n’en reste pas moins un monde de dominants et de dominés, de possédants et d’exploités, de riches et de traîne-misère. En cela, la piraterie nous donne non seulement des clés pour comprendre notre époque et les raisons de nos maux, mais elle nous indique aussi quelques pistes pour nous conduire vers leur guérison.

Guillaume Goutte



1. Nous parlons bien, ici, des pirates, et non des corsaires. Ces derniers, bénéficiant d’une lettre de marque (autorisation), agissaient au service d’un État dans le cadre d’un conflit guerrier, contrairement aux pirates qui oeuvraient pour eux-mêmes. Cette distinction n’est toutefois pas forcément judicieuse, des pirates pouvant se faire corsaires le temps d’une guerre, et des corsaires devenir pirates une fois les hostilités terminées. Bien d’autres termes ont aussi désigné les pirates (boucaniers, flibustiers, forbans), recouvrant et recoupant différentes réalités. Mais la place nous est ici comptée, alors nous n’entrerons pas dans ces détails.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


tête noire

le 7 août 2013
Bonjour,

je cherche désespérément ce numéro que je ne trouve pas chez mon libraire, comment puis-je me le procurer? Merci de me répondre!