Les idiots du dimanche

mis en ligne le 16 octobre 2013
Ces derniers temps, l’exploitation salariale a, de nouveau, témoigné de sa perversité. Les « victimes », ou plutôt devrions-nous parler d’« idiots », se font appeler les Bricoleurs du dimanche. Impossible que vous n’en ayez pas entendu parler, tant le battage médiatique autour de la fermeture des magasins le dimanche les a mis en avant. Il s’agit, ni plus ni moins, de salariés des enseignes de bricolage Castorama et Leroy Merlin ayant décidé de se battre pour… de meilleurs salaires ? Non ! De meilleures conditions de travail ? Non ! Non et non ! Ces salariés-là ont décidé de se battre contre les syndicats du Clic-P (Comité de liaison intersyndicale du commerce parisien, regroupant CGT, FO, SUD, CFDT, CGC, Seci), lesquels luttent depuis des années contre les ouvertures illégales de ces commerces le dimanche. Leur slogan ? Ils n’en sont pas peu fiers, et il ne vous aura sans doute pas échappé : « Yes, week-end ! »
Le patronat pouvait-il rêver mieux que de voir ces employés s’acharner contre les organisations syndicales ? Assurément pas. Et c’est d’ailleurs pourquoi il n’a pas hésité une seconde à mettre la main au porte-monnaie – d’ordinaire si précieux – pour remplir les caisses des Bricoleurs du dimanche. C’est le Huffington Post qui révèle l’information dans son édition Internet du 30 septembre 2013. Le collectif, créé en décembre 2012 pour faire avancer (reculer…) le gouvernement sur la question du travail dominical, s’est ainsi vu offrir, par les directions de Castorama et de Leroy Merlin, les services (onéreux) de l’agence de communication Ateliers Corporate, laquelle s’est empressée d’encadrer les salariés favorables au travail du dimanche. C’est sans doute elle qui a trouvé le minable slogan cité plus haut 1 et qui a fait fleurir pancartes, banderoles, tee-shirts et badges dans et à proximité des magasins. Mais ça ne s’arrête pas là… Les salariés « militants » ont aussi pu assister à des formations en communication ! Le Huffington Post publie d’ailleurs, sur son site Internet, un extrait édifiant d’un entretien avec un des salariés ayant assisté à la formation ; voilà ce qu’il en dit : « On a commencé par un cours sur la communication de crise, ils nous ont notamment dit ce qu’ils voulaient éviter, les actions violentes par exemple. Ils nous ont aussi parlé des Pigeons, citant notamment en exemple leur présence sur les réseaux sociaux. L’après-midi, on a été divisé en sous-groupes pour travailler sur différents thèmes, comme les moyens d’action à mettre en place, le nom du collectif, etc. En présentant notre travail aux consultants, certains ont eu l’impression que le débat était orienté et qu’ils nous menaient là où ils le voulaient. Ils ont d’ailleurs éliminé pas mal de nos idées et, au final, les moyens d’action que nous avons arrêtés ressemblaient beaucoup à ceux qu’ils nous avaient présentés le matin. » En outre, la formation était prise sur le temps de travail (donc rémunérée), les frais de déplacement intégralement remboursés par la direction et un buffet gourmand attendait les « élèves ». Alors, forcément, quand le porte-parole du collectif, un certain Gérald Fillon, nous assure qu’il n’y a pas la moindre manipulation et instrumentalisation et que l’indépendance est réelle, on rigole doucement – à défaut de pleurer devant tant de naïveté.
Pas si spontanés que ça, donc, les bougres ! Bien sûr, les grands médias nous ont inondés de discours antisyndicaux, qualifiant l’action du Clic-P d’« archaïsme » (Le Parisien), et la considérant comme un frein à la compétitivité économique de la France. Outre ces quelques arguments – qui, une fois de plus, prouvent que, quelles que soient les obédiences, les journaux relayent toujours le discours du pouvoir –, un autre a régulièrement été brandi, celui du misérabilisme : les salariés veulent bosser le dimanche pour s’assurer des fins de mois moins difficiles. On s’en doute, les travailleurs de base de Castorama et de Leroy Merlin ne gagnent pas des mille et des cents, sûrement un petit smic, sans compter ceux qui ne bossent pas à temps plein. Mais la question qui se pose, c’est de savoir pourquoi ces employés pauvres et précaires ne construisent pas de vraies revendications salariales – augmentation du salaire horaire, fin de la précarité (ou compensations financières), etc. – plutôt que de faire copain-copain avec le patron pour pouvoir bosser le dimanche. D’autant que, ne nous leurrons pas, la légalisation des ouvertures dominicales des magasins appelle, à moyen terme, la fin des primes et des salaires double pour ceux qui iront bosser ce jour-là. Quand ce sera le cas (et, croyez-moi, ça viendra, c’est la tendance), on se demande bien ce que feront alors les Bricoleurs du dimanche… On pourra toujours leur dire « on vous l’avait dit, bande de crétins », mais ça ne servira sans doute à rien… En tout cas, s’ils nous rejoignent dans la lutte – et si on leur pardonne cet écart –, on ne fera pas appel à eux quand il s’agira de trouver des slogans et de faire des pancartes.

Guillaume Goutte
Groupe Salvador-Segui de la Fédération anarchiste








1. Le slogan est d’autant plus mauvais qu’on pourrait croire qu’il porte le message inverse : dire « oui » au week-end, c’est dire « oui » au dimanche chômé.