Une odeur de cramé chez Fagor

mis en ligne le 14 novembre 2013
La liste n’en finit pas de s’allonger. Après PSA, Arcelor-Mittal, Goodyear, Continental, Alcatel, Doux, Gad, Tilly-Salbo, Marine Harvest, une nouvelle catastrophe industrielle est en vue : dépôt de bilan pour Fagor-Brandt. C’est quoi Fagor ? En France, cette entreprise d’électroménager est implantée sur quatre sites : Vendôme (Loir-et-Cher), Orléans (Loiret), La Roche-sur-Yon et Aizenay (Vendée), employant 1 870 personnes. Les quatre usines sont à l’arrêt depuis la mi-octobre suite aux déboires de la maison mère, laquelle se trouve en Espagne, mais emploie 5 700 personnes dans le monde. Fagor, qui fabrique et commercialise les marques Brandt, Sauter, Vedette, De Dietrich, Thomson, est une filiale du groupe espagnol Mondragon, pour être plus précis du conglomérat basque Coopératives Corporation Mondragon (CCM). Il s’agit d’une coopérative créée au Pays basque dans les années 1950, à ce jour la plus grande au monde, présente dans une vingtaine de pays avec 80 000 personnes qui y travaillent, et aux activités diverses : électroménager, équipements d’automobiles, matériel sportif… À noter, toutefois, que le système coopérativiste en Espagne a montré ses limites et est en perte de vitesse. Même si certains continuent de claironner qu’il y a moins de suppressions d’emplois que dans les entreprises traditionnelles, force est de constater qu’il y a cinq ans on comptait, dans ce pays, 25 000 coopératives employant 317 000 travailleurs. Or, aujourd’hui, on est tombé à 21 500 coopératives employant 287 000 travailleurs. En ce qui concerne Mondragon, ses coopératives ont dû « s’adapter » comme n’importe quelle entreprise capitaliste : baisse des salaires, allongement de la durée de travail, flexibilité… Le plus beau fleuron de Mondragon était Fagor, mais les temps ont changé. L’Espagne a subi – et continue de subir – une crise immobilière sans précédent, et donc : moins de constructions de logements et, par conséquent, moins d’achats d’équipements électroménagers qui y sont liés. Résultat des courses, la filiale Fagor se retrouve au bord du gouffre : 89 millions d’euros de pertes en 2012 et une dette de 859 millions (« seulement » 250 millions pour Fagor France). Panique dans les treize usines réparties dans cinq pays (Espagne, France, Pologne, Maroc et Chine) quand le groupe Mondragon a annoncé qu’il renonçait à renflouer sa filiale basque. Effet immédiat : dépôt de bilan pour Fagor-Mastercook, la filiale polonaise (1 400 salariés), et même chose pour Fagor-Brandt, la filiale française (1 870 salariés). Hors d’Espagne, il s’agit bien de salariés et non de « membres coopérativistes », car si Mondragon a autant délocalisé, ce n’était pas pour implanter ailleurs le modèle coopérativiste, mais bien pour rechercher une main-d’œuvre à meilleur marché. De plus, Mondragon exploite les coopérativistes comme n’importe quelle entreprise exploite ses salariés. Ces coopérativistes mal ou pas informés de la situation ne sont pas décideurs de quoi que ce soit. Mondragon a été soutenu par le gouvernement autonome basque et les partis nationalistes qui ont subventionné à tout va, sans autre contrepartie que de « bons » votes aux élections 1. Ce modèle de production et de distribution n’est finalement qu’un modèle de capitalisme des plus classiques : main-d’œuvre docile acceptant de diminuer les salaires (moins 20 % en quatre ans) et d’investir ses économies dans la boîte qui les exploite. Si Fagor ferme – et c’est bien parti pour – les coopérativistes, de par leur statut, n’auront droit à aucune indemnité, ni pension ; quant à leurs économies investies dans le groupe, ce ne sera plus qu’un souvenir amer. Les aides publiques ne servent en définitive qu’à permettre à ceux d’en bas de juste survivre, pendant que d’autres en haut se gavent. Ce qui n’empêche pas Fagor de rappeler sur son site Web que le service après-vente est toujours assuré. Il n’y a que les payes qui ne le sont pas !
La situation est donc plus que tendue des deux côtés des Pyrénées : Mondragon ne renflouera pas le Fagor espagnol, signant également ainsi l’arrêt de mort du Fagor français. Ici, les syndicats français n’ont eu qu’une réaction : se tourner vers l’État providence. Ils n’ont reçu que « l’assurance des pouvoirs publics que tout serait mis en œuvre pour maintenir l’outil de travail ». Arnaud Montebourg, notre ministre du Redressement productif, et son homologue espagnol, José Miguel Soria, ont « décidé d’agir ensemble ». Nous voilà rassurés. Pas d’illusions à se faire, chacun va jouer sa carte personnelle. Montebourg, quant à lui, lance un énième appel à repreneur, la mise en redressement de la filiale française permettant de geler les dettes et d’accorder à notre ministre un délai pour souffler un peu. Mais, en résumé, aucun engagement, aucune perspective concrète ; une seule certitude : les salaires d’octobre ont été assurés. Et après ? Une lettre de licenciement comme cadeau de Noël ?









1. Informations données par la CGT espagnole. Voir le site CGT-LKN bizkaia.