Un ruban autour d’une bombe

mis en ligne le 21 novembre 2013
Il y a quelques années, un de mes professeurs avait pour habitude de rebaptiser systématiquement avec mépris la spécialité « histoire de la mode et du costume » – qui était la mienne – « la minute mode et chiffon ». La biographie de Frida Kahlo de Maud Guély et Rachel Viné-Krupa est à mettre en priorité entre les mains de tous ceux qui continuent à considérer le vêtement comme une enveloppe futile et vide de sens. Cet ouvrage s’appuie sur l’idée que le vêtement est pour celui qui le porte à la fois un moyen de se mettre en scène, d’être au monde, en affichant ses choix identitaires et idéologiques. Une citation de l’historienne du textile Annegret Hesterberg clôt cet essai graphique : « S’il est évident que le vêtement ne fait pas la personne, il projette en revanche l’image que celui qui le porte veut transmettre à travers lui. C’est une sorte de “seconde peau” qui, à la différence de celle du corps, peut être choisie, créée et modelée librement en fonction, bien sûr, du matériau, de la confection, de la décoration et de la manière de la porter. Dans tout code vestimentaire réside une “mise en scène”, consciente ou inconsciente, par le biais de laquelle chacun manifeste son propre moi 1. »
Le très beau titre de cet essai, Un ruban autour d’une bombe, est tiré de la description de l’art de Frida Kahlo par André Breton 2. La collaboration entre Rachel Viné-Krupa, auteur d’une thèse sur la peintre mexicaine Frida Kahlo et de Frida Kahlo (1907-1954), portrait d’une identité (éditions Hermann), et l’artiste Maud Guély conduit à un ouvrage original et fascinant à lire en parallèle de l’exposition Frida Kahlo-Diego Rivera : l’art en fusion. L’œuvre de Frida Kahlo n’ayant pas été exposée en France depuis quinze ans, l’artiste mexicaine est, en effet, à l’honneur cet automne au musée de l’Orangerie, à Paris. Maud Guély ne se contente pas d’illustrer l’essai. Elle propose à chaque page de véritables réinterprétations de la garde-robe de Frida Kahlo et de beaux portraits de l’artiste mexicaine.
Les deux auteurs nous invitent à voir en Frida Kahlo autre chose que la femme égocentrique habituellement mise en avant dans les autres ouvrages qui lui sont consacrés. Cette « biographie textile » traite, bien évidemment, des épisodes marquants de la vie de l’artiste ; son accident, sa maladie, ses relations amoureuses tumultueuses, en particulier avec son mari Diego Rivera. Cependant, la vie du peintre est observée à travers le prisme du vêtement qui, plus qu’une simple parure, est vu comme l’affirmation d’une identité plurielle et des choix idéologiques. Ainsi, l’artiste a adopté au cours de sa vie des styles vestimentaires très variés. Frida Kahlo abandonne progressivement l’uniforme sobre des jeunes militantes du Parti communiste et les costumes masculins qu’elle affectionne adolescente pour adopter un style féminin très élaboré. Elle n’hésite pas à arborer, au nom de l’idéologie post-révolutionnaire nationaliste, des créations mexicaines traditionnelles. Par patriotisme, elle adopte également les coiffures et les bijoux des indigènes. Tout ceci représente un marquage culturel fort pour cette femme aux origines métissées qu’elle mettra du temps à accepter tout à fait (son père, Wilhelm Kahlo, est Allemand et sa mère, Matilde Caldéron, Mexicaine, de père indigène et de mère espagnole). Par revendication féministe, elle n’hésitera pas à se glisser à nouveau dans des costumes d’homme, dans des moments d’indépendance. L’artiste « montre ainsi que les traits saillants d’une personnalité se modifient par étapes au cours d’une vie » en matérialisant par le vêtement les différents personnages qu’elle incarne au cours de sa vie.









1. Annegrer Hesterberg, « Presencia reconstruida. Una segunda piel », in Artes de Mexico.
2. André Breton, « Frida Kahlo de Rivera », in Le Surréalisme et la peinture.