Vous avez dit « prise d’otages » ?

mis en ligne le 15 janvier 2014
1728JhanoBon, je sais que, parmi les lecteurs du Monde libertaire, il n’y a pas que des salariés et des prolos, mais je ne sais pas pour vous, mais moi, il y a un truc que j’aime bien, lors d’un conflit social dur (suite à une annonce de suppression d’emplois, par exemple), c’est lorsque, au milieu d’une de ces sempiternelles réunions de négociations, tout le monde déboule et envahit la salle. Tout le monde dit ce qu’il a sur le cœur, la tension monte, le taulier desserre sa cravate, la DRH se plonge dans la lecture de ses notes… On peut dire que c’est assez jouissif. On se fait entendre. Et puis, voilà qu’à un moment des collègues disent : « De toute façon, on ne vous laissera pas partir tant qu’on n’aura pas obtenu satisfaction. » Et ça dure des heures et des heures. Les cadres dirigeants, dans leur formation, au même titre qu’un stage de saut à l’élastique dans le Vercors, ont été formés à ce type d’action. Ce qui n’empêche pas certains de péter les plombs ou de se jeter sur leurs cachetons de Prozac. Certains manifestants plus énervés veulent mettre une baffe au boss, ou un truc comme ça, mais en France, on est raisonnable et il y a toujours quelqu’un pour calmer le jeu (en Chine ou en Indes, il y a eu quelques exemples un peu plus violents ces derniers temps). C’est lorsque ça commence à durer que les médias parlent de « prise d’otages » ou de « séquestration ». Les grands mots sont lancés. C’est simplement la criminalisation du mouvement social. Retenir ses patrons à la table des négociations devient un délit. Comment s’en étonner lorsque brûler une poubelle lors d’une manif un peu chaude passerait pour un acte de terrorisme ?
Comme le disent les salariés de Goodyear : « Il est quand même ahurissant de constater que les patrons bretons qui détruisent du matériel urbain obtiennent des milliards d’aides et que des salariés qui ne demandent qu’à garder leur emploi ont comme seule réponse une criminalisation de leur combat et, en retour, un matraquage de la part des CRS et certains médias à la solde du pouvoir en place. »
Cela fait sept années que les salariés de Goodyear Amiens Nord se battent contre la fermeture de leur site. D’après l’enquête parlementaire, c’est en 1995 que Goodyear a décidé de se débarrasser de cette usine, mais elle a pris son temps. Pas facile pour une multinationale qui engrange des bénéfices de parler de dépôt de bilan, elle a donc étudié des stratégies qui se sont mises en place au fil des années, pour aboutir, en 2007, à de premières véritables attaques. Chantage à l’emploi, dégradations des conditions de travail. Lorsque l’usine voisine Goodyear-Dunlop a connu ses premières restructurations, les salariés d’Amiens Nord ne se sont pas laissés faire. Pour faire face à la multinationale américaine, ça n’a pas toujours été simple. Il s’agit d’un patronat de combat, droit dans ses bottes et tenant de la pensée libérale où le « dialogue social » ne fait pas partie de son vocabulaire.
N’empêche que, pendant ces sept années, les Goodyear, par leurs luttes, qu’elles soient sociales ou juridiques, ont réussi à tenir et à retarder les échéances.
Il y a deux ans, les dirigeants de Goodyear ont voulu passer la main en trouvant un repreneur, M. Taylor, fabricant de pneus Titan pour les engins agricoles. Le passage chez Titan se faisait avec de la casse (plus de 500 départs « volontaires »). Mais c’était aussi sans compter sur un nouveau patron de choc, encore plus réac et méprisant, traitant les salariés français de fainéants, les grévistes de bandits, etc.
Le plan de restructuration, accepté dans un premier temps, a été refusé par les salariés. Et, mais je vous dis ça de façon très personnelle, je pense que les Goodyear, qui ont la plupart du temps plus de vingt ans d’ancienneté et des années de lutte, n’ont pas eu envie de se retrouver avec un patron pareil.
D’autre part, Hollande et Montebourg avaient promis, là aussi, qu’ils interviendraient et interdiraient les licenciements dans les groupes qui font des bénéfices. Dans les faits, aujourd’hui, Montebourg n’est plus qu’un agent commercial pour Titan, ce que dénonce la CGT Goodyear.
Début janvier, les 1 100 salariés de Goodyear, qui n’ont pas réussi, cette fois, à faire reculer le plan de suppression d’emplois, ont reçu leur lettre de licenciement. La fermeture de Goodyear Amiens (avec 2 000 sous-traitants) va avoir des conséquences désastreuses dans la région.
Ce qui explique les actions qui s’en sont suivies, comme cette « prise d’otages » suivie de l’occupation de l’usine et de la prise de guerre (250 000 pneus) qui sert à négocier, soit pour que l’usine continue à vivre et à produire, soit pour obtenir une très forte prime de licenciement. Comme l’ont fait les Conti en leur temps, d’autant qu’avoir sur son CV un passage chez Goodyear Amiens Nord ne va pas aider à retrouver un emploi.